La croissance, définition et mesure
Problématique
- Qu’est ce que la croissance économique ?
- Comment le processus s’inscrit-il dans le temps ?
- Quels en sont les traits saillants ?
- En quoi est-il difficile de le mesurer ?
I – Définitions
En 1961, dans L’Economie du 20ème siècle, François Perroux définit la croissance comme étant « l’augmentation soutenue d’un indicateur de dimension ; pour la nation : le produit global brut ou net, en termes réels ». Il l’assimile donc à une amélioration purement quantitative. Dans son ouvrage, le développement désigne en revanche « la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Bien que distincts, ces deux phénomènes sont liés car, précise l’auteur, « aucune croissance observée n’est homothétique ; la croissance s’opère dans et par des changements de structure » qui sont les vecteurs du développement.
Ces deux dimensions, quantitative et qualitative, sont présentes et s’entrecroisent dans la notion de croissance économique moderne mise en avant par Simon Kuznets. Dans son discours de réception du Prix Nobel en décembre1971, il avance que « La croissance économique d’un pays peut être définie comme une hausse de long terme de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques ; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle requiert. Ces trois composantes de la définition, gamme croissante, progrès technique et ajustement revêtent la même importance. L’augmentation constante de l’offre de biens est le résultat de la croissance économique mais elle lui est identifiée. »
II – Dynamique
La croissance économique désigne donc un processus d’augmentation continue du volume de la production de biens comme de services et s’accompagne de leur diversification illimitée. Ce processus qui dure depuis la Révolution industrielle a permis de faire reculer sans cesse le mur de la rareté. Il parait désormais irréversible et d’autant plus souhaitable qu’il permet de créer de l’emploi et d’assurer la progression des niveaux de vie.
A l’échelle historique, une telle évolution de nos sociétés est pourtant récente : selon les estimations d’Angus Maddison, le PIB mondial aurait crû en moyenne de 0,33% entre 1500 et 1820. Mais entre 1820 et 1992 ce chiffre passe à 2,17% par an : il est donc multiplié par plus de 8. Il ne s’agit que d’ordres de grandeur. Ils n’en sont pas moins éclairants. Avec un taux de croissance de 0,33% il faut près de 250 ans à une grandeur pour doubler. S’il s’élève à 2,17% un peu plus de 30 ans suffisent. En outre cette dernière valeur est supérieure à la vitesse d’accroissement du nombre des hommes et autorise donc la hausse durable et significative du PIB par tête
Astuce – Pour calculer le temps de doublement d’un phénomène dont on connaît le taux de croissance, on peut appliquer la règle commode suivante :
70 divisé par le taux de croissance = Temps de doublement
Illustration : si une grandeur croit de 7% par an il lui faut 10 ans pour doubler (70 que divise 7 = 10)
III – Caractéristiques
Dans son discours de réception à l’Académie Nobel, Simon Kuznets précise ce que recouvre sa conception de la croissance en indiquant que les deux premières caractéristiques du processus sont des taux élevés de croissance du produit par tête et de la population d’une part, de la productivité d’autre part. A titre de 3ème caractéristique il évoque un rythme rapide des transformations structurelles de l’économie en citant en particulier les transferts de main d’oeuvre du primaire vers le secondaire et le tertiaire, la concentration des entreprises, l’extension du salariat et les mutations de la structure de la consommation. Il poursuit son énumération de la manière suivante :
« Quatrième caractéristique : mutations rapides des structures sociales et de l’idéologie qui leur est apparentée. L’urbanisation et la laïcisation viennent aisément à l’esprit comme éléments du processus de modernisation décrit par les sociologues.
Cinquième : par leurs pouvoirs techniques accrus, en particulier les moyens de transport et de communication (à la fois pacifiques et militaires), les pays économiquement développés ont tendance à s’étendre au reste du monde ;ils modèlent ainsi un seul monde, ce qui n’a jamais existé aux ères pré modernes.
Sixième caractéristique : malgré cet impact planétaire partiel, la diffusion de la croissance économique moderne est limitée : les trois quarts de la population mondiale sont encore très au-dessous des niveaux minima accessibles grâce au potentiel technique moderne. »
Du texte de Kuznets il ressort que la croissance économique moderne est un phénomène allant bien au-delà de l’augmentation des quantités produites et que la difficulté pour les économistes est de rendre compte de la croissance, non du PIB global, mais de celle du PIB par tête.
IV- Mesures
La mesure de la croissance s’appuie sur un ensemble de concepts et de techniques mises en œuvre par les spécialistes de la comptabilité nationale (chapitre 1- 5)
C’est dans ce cadre que sont calculés les principaux agrégats, en particulier le PIB. Ensemble des richesses produites chaque année dans une économie donnée, il est égal à la somme de toutes les valeurs ajoutées (optique de la production) ainsi qu’à la somme de tous les revenus distribués (optique de la répartition) et à la somme de tous les emplois possibles des ressources crées par les agents résidents (optique de la dépense).
Il est l’indicateur le plus usité de mesure de la croissance. Mais son calcul se heurte à des difficultés pratiques (mise en cohérence de données multiples venant de sources hétérogènes, séparation de la variation des quantités et de la variation des prix pour quantifier la production, séparation de ce qui est justifié par l’amélioration de la qualité des produits, et de ce qui ressort de l’inflation pour apprécier l’évolution des prix). Ce type de difficulté a été bien mis en valeur par les travaux de la commission Boskin créée à la demande du Sénat des Etats-Unis pour évaluer la manière dont était élaboré l’indice américain des prix à la consommation. Ses travaux ont établi que l’inflation avait été surestimée en moyenne de 1,3 points par an en moyenne jusqu’en 1996. Les gains de productivité ont donc été mécaniquement sous-estimés et les performances réelles de l’économie américaine n’ont pas été correctement mesurées.
En outre, la signification de cet outil de mesure fait l’objet d’interrogations de fond car il ne prend en considération ni l’état de l’environnement, ni l’éventail des inégalités sociales et ne peut donc prétendre rendre compte du niveau de bien-être d’une nation.
Pour répondre à ces interrogations, le P.N.U.D, s’est appuyé sur les analyses d‘Amartya Sen pour adopter en 1991 l’indicateur de développement humain ou IDH. Cela marque une première avancée. Par la suite, les travaux de la «Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social » également dite commission Stiglitz (2008) ont clairement identifié les défauts et les limites du PIB et conforté la mise au point de nouveaux indicateurs pour aller dans le sens du développement durable. Ainsi l’épargne nette ajustée mesure l’évolution dans le temps de la richesse des nations en prenant en compte la diminution et la dégradation de l’environnement, la dépréciation des actifs produits et les investissements en capital humain. La notion a été conceptualisée par Kirk Hamilton de la Banque mondiale. Dans le même ordre d’idée William Rees est à l’origine de la notion d’empreinte écologique que l’OCDE définit comme étant la « mesure en hectare de la superficie biologiquement productive nécessaire pour pourvoir aux besoins d’une population humaine de taille donnée ». Il n’en demeure pas moins que le PIB, en un chiffre unique, fournit toujours aux gouvernements l’outil de mesure auquel ils se réfèrent pour la conduite de leur politique économique.
Compléments
- Le rapport final de la Commission Stiglitz peut être consulté sur le site de la documentation française
- Pour aller plus loin sur les indicateurs de développement durable, vous pouvez cliquer ici
- Pour en savoir plus sur l’approche d’Amartya Sen, vous pouvez cliquer là
- Une vidéo en anglais synthétise les critiques faites aujourd’hui au PIB: (Rise and fall of GDP)