Les entreprises vues par la théorie économique
Les problématiques
- Quelle est la nature des firmes ?
- Pourquoi existent-elles ?
- Comment se fixent leurs frontières ?
I – De l’absence à la multiplicité des théories de la firme
La théorie néo-classique a longtemps considéré que l’entreprise n’était qu’une sorte de boite noire dans laquelle entraient des facteurs de production (travail, capital) et dont ressortaient des biens et/ou des services. Dotée d’une rationalité parfaite, elle était supposée évoluer dans un contexte dépourvu de toute incertitude, être preneuse de prix et avoir pour unique objectif de maximiser le profit.
Or il résulte de ces hypothèses que l’entreprise ne peut exister que si le mécanisme des prix est défaillant. Si ce n’est pas le cas le marché suffit en effet à coordonner efficacement toutes les transactions.
Construire une théorie de la firme supposait de rompre avec cette approche dite standard. Cette rupture est initiée par Ronald Coase (1937) et consommée par Oliver Williamson (1975) dont les travaux font de la firme un objet d’étude à part entière. L’analyse explicite de la firme prend alors deux directions : celle des approches contractuelles qui voient la firme comme un lieu de confrontation et celle des approches non contractuelles qui la conçoivent comme un lieu de mise en œuvre de connaissances, le défi étant aujourd’hui de les articuler.
II – Une première approche contractuelle : la théorie des coûts de transaction
Coase montre que les transactions ont un coût du fait des défaillances du marché et en particulier des externalités qui s’y manifestent du fait que sur de nombreuses ressources les droits de propriété ne sont ni définis ni attribués. Cela fonde l’intérêt d’une coordination non plus marchande par les prix mais internalisée selon une logique hiérarchique d’autorité. Dans cette optique la firme devient un mode d’allocation alternatif au marché. Elle a vocation à s’étendre aussi longtemps que les coûts d’organisation sont inférieurs aux coûts de transaction.
Dans les années 1970 l’apport de Williamson est d’approfondir l’analyse des coûts de transaction en montrant qu’ils sont liés aux caractéristiques des agents (rationalité limitée avec pour conséquence des comportements opportunistes) et des transactions (fréquence, incertitude, spécificités des actifs mis en jeu). Selon ces caractéristiques, la forme organisationnelle qui limite le mieux les coûts de transaction peut être le marché, la sous-traitance ou l’internalisation.
Eléments à retenir
- Rationalité limitée : hypothèse selon laquelle dans un contexte d’incertitude et d’information limitée les agents cherchent seulement à trouver une solution satisfaisante mais non à maximiser leur utilité ou leur profit. Herbert Simon la qualifie aussi de rationalité procédurale et l’oppose à la rationalité parfaite (ou substantielle) d’agents qui seraient parfaitement informés et donc omniscients
- Coûts de transaction : Coûts induits par le recours au marché (choix du fournisseur, rédaction du contrat, contrôle de son exécution, règlement d’éventuels conflits).
III – Une deuxième approche contractuelle : la théorie de l’agence
Dans une relation d’agence trois éléments sont à prendre en compte : l’agent (A) qui est la partie informée, le principal (P) qui est la partie mal informée et la nature (N) qui est l’environnement dans lequel ils évoluent. Si P a une information limitée sur les caractéristiques de A, on parle d’antisélection (ou sélection adverse). Si P observe imparfaitement le comportement de A on parle de risque moral. Les coûts d’agence sont ceux du système de contrôle et d’incitation qu’il faut mettre en place pour limiter les effets négatifs d’une relation d’agence (présente par exemple dans les contrats d’assurance, de franchise, de travail, avec les fournisseurs ou encadrant la gouvernance de l’entreprise). Dans cette optique la firme est un nœud de contrats ; elle existe pour régler les problèmes d’agence et minimiser les coûts associés à la gestion des relations marchandes et d’emploi.
IV – Les approches non contractuelles
Elles postulent l’existence de la firme et se demandent pourquoi elles ont des caractéristiques, des comportements et des performances différentes. Une première approche dite behavioriste (Simon, March, Cyert) met en avant le concept de rationalité procédurale ; elle avance que les objectifs de la firme sont le fruit d’un marchandage entre ses membres avec pour horizon non la maximisation mais la satisfaction.
L’approche évolutionniste (Nelson, Winter) se réfère à la biologie et éclaire le comportement des firmes par des éléments d’hérédité (« leurs gênes ») et des mécanismes de sélection conduisant à des mutations. La firme est avant tout une équipe compétente de sélection et de gestion de connaissances qui s’accumulent par apprentissage selon des routines. Elle est un processeur d’informations dont la coordination est assurée par des mécanismes cognitifs, hiérarchiques et incitatifs.
Le défi est aujourd’hui d’articuler ces différentes approches et de penser la firme comme lieu de tensions entre des impératifs de gestion d’informations, de connaissances et de savoir-faire mais aussi de gestion des conflits d’intérêt devant aboutir à des compromis entre les parties prenantes.
Eléments à retenir
- Asymétrie d’information : inégal accès à l’information entre participants à l’échange. Certains disposent d’informations pertinentes que d’autres n’ont pas. Cette situation contredit l’hypothèse de transparence qui est une des conditions de la concurrence parfaite. Elle est à l’origine de l’antisélection et du risque moral.
- Un exemple d’antisélection : sur le marché des voitures d’occasion, le vendeur est en position de tromper l’acheteur qui n’a aucun moyen simple de savoir si le vendeur est honnête. La méfiance s’installe et rend le marché inefficace comme l’a montré Akerloff.