Les entreprises, vecteurs du changement
Les problématiques
- Quelles ont été leurs transformations depuis la Révolution Industrielle ?
- Quel rôle ont-elles joué dans la première et celles qui lui ont succédé ?
I – Les entreprises au cœur de l’innovation
L’entreprise est habituellement présentée comme une personne morale combinant du travail et du capital pour transformer des consommations intermédiaires en biens et services vendus sur le marché. Mais c’est aussi une organisation où se nouent de multiples contrats et des relations humaines complexes dont elle assure la coordination. A ce titre elles sont en mesure d’impulser les mutations du système productif en même temps qu’elles sont transformées par elles.
Ainsi au XIXe siècle, dans les secteurs moteurs que sont le textile et la sidérurgie, elles ont systématiquement appliqué au plan commercial et industriel des inventions, les transformant ainsi en innovations. Elles ont donc été des acteurs décisifs du processus d’industrialisation qui en retour les a transformées. Avec Francois Perroux on peut donc qualifier l’entreprise d’ « institution cardinale du capitalisme », celle autour de laquelle s’ordonnent toutes ses mutations.
II – Leur rôle dans la première révolution industrielle
Avant la première révolution industrielle, la fabrication des objets est le fait de vastes réseaux d’ateliers familiaux dispersés dans les campagnes et animés par des marchands-fabricants. Ceux -ci fournissent les consommations intermédiaires, récupèrent les produits finis et les vendent sur des marchés en général lointains. De ce monde dit de la proto-industrie émergent des individus qui créent leurs entreprises avec des capitaux restreints, en ont la propriété et la direction, en tirent des profits élevés et pour l’essentiel s’autofinancent. Ces structures de taille encore modeste sont des espaces d’innovation qui impulsent la première révolution industrielle.
Avec la nécessité de rassembler des capitaux plus importants se développent aussi des formes sociétaires limitant la responsabilité des associés et les incitant de ce fait à prendre des risques. L’essor de ces sociétés de capitaux est impulsé par le déploiement des chemins de fer. Structurant le secteur bancaire, elles sont présentes dans les activités les plus capitalistiques comme les transports, la chimie, les constructions mécaniques et la sidérurgie. Elles sont les vecteurs de la concentration sous ses différentes formes : technique économique et/ou financière.
Eléments à retenir
- Entreprise : entité dotée de l’autonomie juridique à la différence d’un établissement qui n’est qu’une unité technique de production de biens et ou de services. De ce fait, une entreprise peut comprendre plusieurs établissements dont elle dirige et coordonne l’activité. Elle peut aussi faire partie d’un groupe qui contrôle son financement mais en la laissant subsister comme personne morale
- Modalités de la concentration : selon le niveau auquel elle opère, elle peut être technique (accroissement de la taille des établissements), économique (hausse de celle des entreprises) ou financière (expansion des groupes)
- Société : sur la base d’un contrat, elle rassemble des associés qui, dans le cadre de la loi, en définissent l’objet et les règles de fonctionnement. La loi sur les sociétés anonymes (qui sont l’exemple-type des sociétés de capitaux) date en France de 1867. Elle permet aux associés de limiter leurs responsabilités envers les fournisseurs et les créanciers de l’entreprise au montant de leurs apports et de faire publiquement appel à l’épargne. A l’inverse, si il s’agit d’une société en nom collectif (qui relève des sociétés de personnes) leur responsabilité est illimitée.
III – Leur poids dans la seconde révolution industrielle
À la fin du XIXe siècle, certaines innovations apparaissent encore dans un cadre quasiment artisanal. Mais de plus en plus souvent elles sont issues des activités de recherche institutionnalisées au sein de laboratoires crées par de grandes entreprises, en lien avec les universités. En Allemagne, la concentration s’intensifie avec le soutien des banques elles-mêmes fortement concentrées. Cela contribue au comblement du retard pris sur la Grande Bretagne selon une dynamique de rattrapage. Aux États-Unis, les entreprises géantes se multiplient dans le pétrole, l’électricité et l’acier, ce qui suscite une réaction du pouvoir politique attaché à la concurrence sans freiner durablement le processus. En France et en Grande Bretagne, le mouvement est nettement plus lent.
En parallèle, du fait de l’essor des sociétés de capitaux, on observe une dilution de la propriété des actions. Alfred Chandler rend compte de la montée en puissance de ce capitalisme managérial de grandes unités et établit un lien entre concentration et performance qui invalide le point de vue inverse que défendait Karl Marx. Suzanne berger montre comment la première mondialisation, celle d’avant 1914, à catalysé cette évolution. Ont joué dans le même sens l’organisation scientifique du travail, la mise en sommeil des lois anti-trust aux États-Unis puis la dynamique des 30 glorieuses. Articulant production et consommation de masse, celles-ci ont stimulé l’internationalisation des entreprises, l’accroissement de leur taille et l’emprise de la technostructure, soit de l’ensemble des salariés qui au sein de la firme participent au processus de décision.
IV – Leur place dans la troisième
La crise des années 1970 favorise la réhabilitation des petites et moyennes entreprises (P.M.E) qui apparaissent plus souples plus réactives et plus créatives. La révolution des services dont sont porteuses les technologies numériques contribue à leur dynamisme. Il est aussi favorisé par les grandes entreprises qui, en se recentrant sur leur cœur de métier, externalisent une partie de leurs activités. En s’agglomérant dans la Silicon Valley au nord de San Francisco, les petites structures que sont à l’origine les « start up » en font le foyer des innovations de la 3ème révolution industrielle. Comme le montre David Byrch dès 1979 (The job génération process) les P.M.E jouent aussi un rôle moteur et croissant dans la création d’ emplois.
Le phénomène est toutefois à nuancer puisque la part des salariés des entreprises de moins de 250 personnes en France est aujourd’hui similaire à ce qu’elle était il y a 30 ans, autour de 60 % des effectifs. Des logiques de concentration n’en sont pas moins toujours à l’œuvre dans un contexte de mondialisation accrue qui pousse à la constitution de très grands groupes recentrés sur leur métier de base. On peut le relier à la hausse des coûts des activités de recherche et développement ainsi qu’à lutte pour le partage des marchés. En résultent des opérations de fusions et acquisitions de très grande ampleur comme celle qui a vu en 1999 le rapprochement des pétroliers américains Exxon et Mobil ou en 2017 le rachat d’actifs de la Twenty-First Century Fox par Walt Disney. Le mouvement est animé par une logique industrielle doublée d’une logique financière qui parfois l’emporte. Les Etats le favorisent par des mesures de déréglementation ou de privatisation ainsi que par des incitations fiscales en faveur des grands groupes.
Eléments à retenir
- Lois anti-trust : la première est le Sherman act adopté en 1890, complété en 1913 par le Clayton act puis par toute une série de dispositions dont le contrôle est en dernier ressort exercé par la Cour Suprème des Etats-Unis
- La main visible des managers : titre du livre de l’historien Alfred Chandler montrant pourquoi la coordination hiérarchique des activités au sein d’une entreprise est souvent plus efficace que la coordination par le marché (The Visible Hand: The Managerial Revolution in American Business, 1977)
- Innovation : application industrielle et commerciale d’une invention. La typologie de Schumpeter distingue celles qui portent sur de nouveaux produits, sur de nouvelles méthodes de production et de transports, sur de nouveaux marchés, sur de nouveaux types d’organisation industrielle ou sur de nouvelles sources de matières premières et d’énergie