Les trente glorieuses au Japon: une croissance exponentielle
A l’issue de la seconde guerre mondiale l’économie du Japon est détruite. Sa société est restructurée en profondeur par les Etats-Unis. Sous l’égide du général Douglas MacArthur qui de 1945 à 1951 supervisa l’occupation du Japon, ils imposent de profonds changements économiques, politiques et sociaux. En résulte une longue période de croissance exceptionnellement vigoureuse.
I – Une économie résiliante
1. Un relèvement rapide
Dès 1954, le maximum de 1939 est retrouvé ; par la suite, le PIB continue à croître de 10 % par an, tandis que la production industrielle progresse de 15% en rythme annuel. Par ailleurs, de 1950 à 1973, la productivité de l’industrie japonaise se rapproche de celle des pays occidentaux : elle passe de 14 à 46 % du niveau américain, de 43 à 65 % du niveau allemand. En 1973, le PIB par habitant a rejoint celui de la Grande-Bretagne et de l’Italie, et la production industrielle globale comme le PIB est du même ordre que ceux de la RFA. À la même date, les exportations, qui partaient de très bas, ont rattrapé celles de la France. Dix ans après avoir rejoint l’OCDE, le Japon dispute à la RFA le rang de deuxième puissance économique du monde capitaliste.
2. Des handicaps multiples
A l’issue de la guerre, le déséquilibre est manifeste entre la population et les ressources : il faut faire face au retour de 6 millions de réfugiés, alors même qu’en 1947, le taux de natalité est encore de 34 pour mille. Les lois dites eugéniques de 1948 entraînent sa rapide décroissance, en favorisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse. Mais les effets sur la population active ne se font sentir que bien plus tard et le marché du travail doit absorber des classes d’âge nombreuses jusque vers 1965. Par ailleurs, privé de ses possessions extérieures, le Japon est confronté à l’effondrement de ses échanges avec la Chine devenue communiste et doit faire face à une inflation galopante qui ne sera maîtrisée qu’en 1954 (entre 1939 et 1949, le niveau général des prix a été multiplié par mille).
II – Une croissance exceptionnellement rapide
1. La croissance d’après-guerre a permis de relever ces défis.
L’emploi total progresse de 2 % par an, alors que l’exode rural est deux fois plus intense qu’en France à la même époque. L’effort d’accumulation du capital est considérable, avec des taux d’investissement record (30 % du PIB en 1960 et 35 % en 1973). Principalement tourné vers l’investissement productif dans l’industrie, cet effort est soutenu par la vigueur de l’épargne.
2. Elle repose sur la conjonction de trois éléments.
Le premier est le dualisme de l’économie japonaise. Il ne se limite pas à la juxtaposition d’un secteur moderne et d’un secteur traditionnel, car ces deux secteurs sont unis par des liens étroits. D’une part, les zaibatsu* (littéralement « cliques financières ») détiennent un ensemble diversifié d’entreprises dans les industries clés. Ils ont chacun leur maison de commerce (sogoshosha). Ils contrôlent leurs propres établissements financiers, ce qui leur permet de mobiliser directement de l’épargne et de financer leurs projets par des possibilités très élastiques de crédit. Cela ne va pas sans un manque de transparence des circuits de financement. Mais ces groupes ont les moyens de redéployer leurs activités vers des industries d’avenir, alors que le Japon est initialement spécialisé sur des marchés peu porteurs à long terme. Ils pratiquent le système de l’emploi à vie. Le secteur des petites entreprises sous-traitantes joue un rôle essentiel dans le processus d’adaptation permanente. Faiblement capitalistiques, elles contribuent à absorber le surplus de main-d’œuvre non qualifiée et bon marché. Ainsi, en 1958, les entreprises de moins de 200 salariés emploient 70 % de la main-d’œuvre industrielle. Par ailleurs, en période de ralentissement de l’activité, les grandes entreprises réservent le travail en priorité à leurs employés et recourent moins à la sous-traitance. Le secteur des petites entreprises sert donc d’amortisseur en cas de fléchissement conjoncturel et contribue à stabiliser la croissance du secteur moderne.
Le deuxième est d’ordre culturel. Il tient à la prégnance de comportements sociaux propres à la société japonaise. Marqués par la tradition, ils découlent à la fois d’un héritage culturel spécifique et d’éléments objectifs. Ainsi, le niveau élevé du taux d’épargne des ménages doit être mis en relation avec les déficiences de la protection sociale, le coût élevé des études supérieures, le faible développement du crédit à la consommation et l’importance des primes de fin d’année dans la rémunération. De même, le dualisme contribue à expliquer la modération des revendications salariales, car les titulaires d’emplois à vie font figure de privilégiés.
Troisième élément, État et patronat agissent en symbiose. Ainsi, l’intervention de l’État qui fixe les orientations de la croissance repose sur un dialogue permanent avec les fédérations patronales. Cette action s’est constamment adaptée au cours des phases successives de la croissance d’après- guerre. Dans un premier temps, l’intervention des pouvoirs publics a été systématique avec des investissements publics directs et des crédits aux investissements privés. Par la suite, cette intervention est devenue plus sélective et modulée sous l’égide du ministère de l’Industrie et du Commerce International (MITI) : maître d’œuvre de la croissance, il orchestre les fusions et les restructurations, ainsi que l’effort de recherche et d’innovation.
III – Une ouverture croissante
1. Des ressorts d’abord internes. Cette croissance s’appuie en premier lieu sur l’élargissement du marché intérieur. Mais son dynamisme renforce la compétitivité des entreprises japonaises pour toute une gamme de produits industriels et leur assure progressivement de nouveaux avantages comparatifs à l’exportation. Au cours des années 1960, la croissance du Japon devient de ce fait plus ouverte. A la fin des années 60 Il participe aux négociations du GATT en parvenant à limiter ses concessions. Pour s’engager dans la voie de l’ouverture, il a attendu de s’être assuré de solides excédents commerciaux. Dès 1970, l’excédent chronique de ses échanges avec les États-Unis pose d’ailleurs problème.
2. L’envers du décor. À la fin de la période, la croissance du Japon conserve tout son élan. Au passif du bilan, on trouve la pénurie de logements et d’équipements sociaux, ainsi qu’une pollution industrielle record que symbolise l’affaire de l’empoisonnement au mercure des poissons de la baie de Minamata.