La croissance en GB et en France dans la première moitié du 19ème siècle
Problématiques
- Pourquoi la GB a-t-elle été la première ?
- La France a-t-elle connu une phase de décollage ?
Ligne directrice – De 1820 à 1850, la croissance se poursuit
en Grande Bretagne et fait ses débuts en France.
I. La Grande-Bretagne maintient une avance considérable
Son industrialisation trouve un deuxième souffle
Dans les années 1820, l’impulsion donnée par la modernisation de l’industrie textile s’affaiblit. Mais dès les années 1840, avec l’essor des chemins de fer et de toutes les activités qui lui sont liées, la révoution industrielle anglaise trouve un second souffle. La « railway mania » fournit à la sidérurgie et aux constructions mécaniques le débouché de masse qui leur manquait pour devenir des activités motrices. En quelques années, la Grande-Bretagne se couvre d’un réseau complet de lignes quadrillant son territoire. Dans le même temps, son industrie devient capable de fournir aux autres pays, en particulier à l’Allemagne et aux États-Unis, les rails et le matériel dont ils ont besoin pour s’équiper à leur tour. Ainsi, l’avance britannique est écrasante pendant toute la première moitié du siècle et reste importante après 1850.
Son avance sur le reste du monde est quantifiable
A l’instar de Jean-Charles Asselain, on peut quantifier cette avance sur la base d’indicateurs pertinents pour mesurer le degré d’industrialisation dans le contexte de l’époque. Ainsi, en 1840, la consommation de coton brut par habitant de la Grande-Bretagne est cinq fois supérieure à celle de la France. Pour la production de fonte, le rapport est de 1 à 4 et pour la production de houille, de 1 à 10. Quant à la productivité du travail dans l’agriculture, elle est supérieure de 40 % à celle de la France. Globalement, l’industrie française a quarante ans de retard sur celle de la Grande-Bretagne, alors que son agriculture n’atteint qu’en 1910 le niveau de productivité anglais de 1840. Avec les autres pays d’Europe continentale, les écarts sont encore plus accentués en 1840, mais on observe que l’Allemagne, partie plus tard les résorbe plus vite que la France.
Entre 1850 et 1875, l’avance de la Grande-Bretagne sur le reste du monde est à son maximum : en 1840 comme en 1860, elle assure 25% du commerce international. Aux mêmes dates, elle fournit 21 % de la production industrielle mondiale et cette part monte jusqu’à 32 % en 1870.
Elle adopte le libre-échange
Son expansion commerciale repose sur son avance technologique et la supériorité de son industrie qui est à même de bénéficier de la demande soutenue émanant des pays qui à sa suite s’industrialisent. La « nation de boutiquiers » que dénigrait Napoléon devient l’usine du monde et le centre des échanges planétaires. Cela pousse les élites du pays à se convertir au libre-échange avec, en 1846, l’abrogation des corn laws, c’est-à-dire des mesures qui protégeaient l’agriculture anglaise de la concurrence étrangère. À court terme, les conséquences de cette décision sont moins brutales que prévues. Il n’y a pas d’effondrement du prix des céréales et l’agriculture anglaise se spécialise dans les activités les plus rentables, comme l’élevage et la production laitière. En revanche, ainsi qu’en témoignent les chiffres cités par Michel Beaud, cela accélère les processus déjà engagés d’émigration (2,6 millions de per- sonnes entre 1821 et 1850 ; 4,6 millions entre 1851 et 1880), d’urbanisation (en 1851, 52 % de la population est urbaine contre 36 % en Allemagne, 25 % en France et 13 % aux États-Unis) et de salarisation : dès le dernier tiers du siècle, la part des salariés dans la population active atteint les trois quarts (contre 57 % en France en 1882, 63 % aux États-Unis en 1880 et 64 % en Allemagne en 1882).
II – La France entre à son tour dans l’ère de la croissance économique moderne
Les signes de la révolution industrielle
Dans les deux premiers tiers du XIXe siècle, ils sont manifestes en France. Les techniques nouvelles s’y diffusent largement et la production mécanisée et concentrée s’y développe. Comme en Grande- Bretagne, la mutation commence dans l’industrie cotonnière. À partir de 1820-1830, cette poussée d’industrialisation à l’anglaise gagne ensuite l’industrie de base productrice de biens d’équipe- ment. Dans la période 1845-1865, l’essor du chemin de fer entraîne une nette accélération. Ainsi, la sidérurgie au charbon se développe et les hauts fourneaux à coke se multiplient : au nombre d’une quarantaine en 1849, ils sont plus de 200 en 1856. En parallèle, l’extraction de la houille progresse rapidement dans le Massif central, puis dans le Nord. Par ailleurs, la demande ferroviaire stimule les constructions mécaniques (locomotives et wagons), où apparaissent de vastes ateliers employant plus de mille personnes et utilisant du matériel de pointe. Dès le milieu du siècle, la France accède au rang de puissance industrielle majeure, autonome et compétitive. Les succès obtenus dans la fabrication des locomotives et du matériel ferroviaire sont un bon signe du dyna- misme et du potentiel de son économie qui semble apte à affronter la concurrence anglaise.
En 1860, à l’instigation de l’empereur Napoléon III, est signé avec la Grande-Bretagne un traité de commerce. Ce traité dit Cobden-Chevalier, du nom de ses négociateurs, initie une baisse impor- tante des tarifs* douaniers* et amorce une dynamique libre-échangiste : il est le premier d’une série d’accords du même type liant les pays européens à partir de 1861 et jusqu’en 1879, date à laquelle l’Allemagne les dénonce.
Les limites du processus d’industrialisation de la France
Elles ressortent de la comparaison avec la Grande-Bretagne :
- Les rythmes sont différents. Au XIXe siècle, le taux de croissance est systématiquement inférieur d’environ un point au taux anglais. De plus, on n’observe pas dans notre pays de phase courte d’accélération brutale de la croissance, ce qui remet en cause l’hypothèse formulée par Rostow d’un décollage de l’économie française entre 1830 et 1860.
- L’évolution des structures productives est différente : malgré les progrès de la mécanisation, le poids de la petite entreprise et de l’atelier artisanal reste considérable en France et supérieur à ce qu’il est en Grande-Bretagne, dont l’économie est pourtant encore assez peu concentrée. De plus, l’industrie n’arrive pas à imposer sa prééminence au XIXe siècle. Sa part reste inférieure à celle de l’agriculture, aussi bien dans la production que dans l’emploi, et le système proto-industriel per- dure jusque dans les années 1870. En France, le “putting-out system* reste longtemps articulé au “factory system*, et les structures industrielles sont marquées par le dualisme. Elles le sont aussi par la variété des secteurs moteurs. Coton et fer ne tirent pas seuls la croissance. Les industries légères de consommation orientées vers le luxe jouent un rôle essentiel dans la croissance de notre pays.
- Les progrès de l’agriculture sont de bien moindre ampleur qu’en Grande-Bretagne et la France ne connaît pas de véritable révolution agricole.
- L’urbanisation reste faible, de même que la pression démographique. La France connaît un proces- sus original de transition démographique* : la chute de la natalité est précoce et intervient alors que la hausse du niveau de vie qui est censée la provoquer n’a pas encore eu lieu. Dans le même temps, la chute de la mortalité est moins rapide que dans les autres pays en voie d’industrialisation.
Les spécificités de l’industrialisation française
De ce fait, on a longtemps parlé de retard, de semi-échec, voire de ratage du développement industriel en France. Cette vision pessimiste a par la suite été contestée et les historiens de l’économie s’accordent aujourd’hui pour souligner le fait que la France a suivi une voie originale, mais bien adaptée à sa dotation en facteurs de production.
- Du côté des capitaux, un système bancaire encore archaïque ne permet pas de les mobiliser efficacement jusqu’aux années 1850. Le développement dualiste permet de limiter les investissements lourds aux seuls secteurs où la mécanisation est indispensable. Il témoigne de l’adaptation au contexte financier.
- Pour ce qui est des ressources naturelles, les ressources de la France en charbon sont faibles, alors qu’il y a abondance relative de bois et d’énergie hydraulique. En découle le refus de tout miser sur le charbon.
- En ce qui concerne la main-d’œuvre, la France est longtemps le premier pays d’Europe par la masse de sa population (27,5 millions en 1780 et 37 millions en 1860). Elle dispose donc de vastes réserves de main-d’œuvre rurale sous-employée. D’où la dispersion hors des villes d’une partie du travail industriel selon une logique cohérente avec la configuration des rapports sociaux. Les structures agraires sont en effet marquées par le maintien d’une petite paysannerie nombreuse, avec 5,5 millions d’actifs agricoles à la veille de la révolution de 1789, mais 7,2 millions à la fin du Second Empire (soit le double des effectifs de l’industrie à la même époque). La Révolution les a enracinés au sol en diffusant largement la propriété de la terre, mais ils ont besoin d’un revenu d’appoint que peut leur fournir la dispersion du travail industriel dans les campagnes. C’est une différence structurelle majeure avec la Grande-Bretagne, où les enclosures ont été les instruments d’un long processus d’expropriation de la paysannerie au profit des grands propriétaires fonciers. Dans le contexte propre à notre pays, les préoccupations des ruraux rejoignent celles des élites qui, par peur des troubles sociaux, cherchent à freiner la concentration ouvrière dans les villes.