La deuxième révolution industrielle
I. Les traits saillants de la deuxième révolution industrielle
Pendant les vingt années qui précèdent le premier conflit mondial, le système productif est renouvelé par un ensemble d’innovations qui redonnent un nouvel élan à la croissance des pays industrialisés.
- Les foyers de cette deuxième révolution industrielle sont l’Allemagne et les États-Unis.
- Ses matériaux dominants sont l’acier, l’aluminium et tous les alliages à base de fer.
- Ses sources d’énergie se diversifient avec la montée en puissance du pétrole et de l’électricité.
- Ses personnages clés sont l’ingénieur et le manager.
- Ses secteurs moteurs sont la chimie, l’automobile et les biens d’équipement.
Au plan technique, elle est le fruit d’innovations multiples apparues en grappes. Il ne s’agit pas ici de les recenser toutes, mais seulement d’évoquer les plus importantes de celles qui ont trait à la chimie, à l’électricité et au moteur à explosion.
La naissance de la chimie moderne
Elle est liée à la mise au point des colorants de synthèse, dont la fabrication nécessite la production en quantités importantes d’autres produits chimiques, tels que les acides sulfurique et nitrique. Partie d’Angleterre, puis de France, cette nouvelle industrie devient vite un point fort de l’Allemagne qui disposait de laboratoires bien outillés, d’un système d’écoles techniques dispensant aux futurs ingénieurs un enseignement de haut niveau, d’hommes d’affaires entreprenants, et où l’on avait su établir des liens étroits entre l’industrie et les universités.
C’est en Allemagne qu’apparaissent des firmes comme Bayer, Hoechst et BASF, appelées à devenir des géants de cette industrie. C’est aussi en Allemagne que sont mis au point, avec Paul Ehrlich, des traitements à base de colorants contre la syphilis ou la malaria, et que naît la chimiothérapie. En 1914, la chimie allemande exerce sur le monde une suprématie incontestée. Par ailleurs, les progrès de la chimie des matières plastiques, avec les Américains Hyatt et Eastman, vont permettre à la photographie, puis au cinéma de devenir des activités industrielles. Ils ont aussi rendu possible l’essor des fibres artificielles.
Les progrès de l’électricité
Ils découlent directement de ceux de la physique. L’œuvre de James Clerk Maxwell (1864) couronne une longue série de recherches savantes.
- Elle ouvre une ère très féconde d’applications pratiques lorsqu’en 1869, le Belge Zenobe Gramme met au point la dynamo. Moteur universel capable de fournir de la force motrice lorsqu’on y fait passer un courant ou de produire du courant lorsqu’on la fait tourner, elle a reçu de multiples applications qui ont bouleversé les conditions de production.
- L’invention par Thomas Edison en 1879 de la lampe à incandescence a également eu par la suite un impact considérable en révolutionnant l’éclairage.
- L’essor de l’électricité a aussi permis à la production de l’aluminium, qui en consomme énormément, de passer au stade industriel. Alors que ce métal est encore inconnu en 1850, on en fabrique plus de 50 000 tonnes en 1912.
- C’est aussi grâce aux progrès dans la connaissance des ondes électriques que Graham Bell aux États-Unis invente le téléphone en 1876 et que l’Italien Guglielmo Marconi met au point la télégraphie sans fil (TSF) en 1896.
La mise au point du moteur à explosion
Le premier moteur à combustion interne est présenté en 1878 par l’Allemand Nikolaus Otto. En 1885, Daimler trouve le moyen de l’alimenter avec de l’essence, ce qui ouvre un nouveau et considérable débouché à l’industrie pétrolière. En 1886, avec Benz, il réalise la première voiture automobile. En 1903, Ford se lance dans la production de masse.
L’invention du moteur à essence permet également à l’aéronautique de prendre son essor. En 1903, les frères Wright font pour la première fois voler un biplan mû par un tel moteur. En 1909, Blériot franchit la Manche.
Toutes ces inventions trouvent à la fin du XIXe siècle un terrain propice à leur application dans le domaine industriel et commercial. Devenues des innovations, elles bouleversent en peu de temps les données de l’économie mondiale.
2. L’impact de la deuxième révolution industrielle
Sur les conditions de vie et les structures sociales
- De nouveaux secteurs se développent, dont la production va bouleverser les conditions de vie. La société technicienne telle qu’elle se dessine à l’issue de la deuxième révolution industrielle apporte à ses membres une meilleure hygiène, une alimentation plus variée et plus abondante, une espérance de vie accrue, des transports et des communications plus faciles, une productivité sans cesse améliorée, avec pour corollaire des coûts de production et des prix plus bas. Les gains de productivité induits par le progrès technique rendent possible la diminution du temps de travail et l’augmentation des rémunérations, même si les inégalités de revenus restent considérables. Le recours de plus en plus systématique aux machines réduit l’effort physique à fournir et, en général, la pénibilité du travail.
- Elle change aussi les structures de la société. Le nombre des indépendants régresse, alors que celui des salariés de l’industrie augmente. Par ailleurs, entre les entrepreneurs qui occupent le sommet de la pyramide et les travailleurs salariés situés à sa base, une part croissante d’actifs vient s’insérer pour constituer les nouvelles classes moyennes dont le statut est fondé sur la compétence et les capacités acquises. En se développant, l’industrie fait en effet de plus en plus appel à des ingénieurs, des techniciens, des gestionnaires, des financiers et des commerciaux formés sans cesse en plus grand nombre par des institutions spécialisées. En parallèle, les professions libérales s’étoffent au fur et à mesure que se multiplient les besoins en médecins, chirurgiens, juristes, comptables et architectes.
- Infirmant les prédictions de Marx sur la bipolarisation de la société, cette diversité accrue des emplois se conjugue avec une plus grande mobilité des situations. Comme l’a bien montré Georg Simmel, en se développant, les classes moyennes modifient la donne sociale. Elles insufflent leurs caractéristiques aux autres groupes sociaux, atténuent la lutte des classes et deviennent des arbitres du conflit entre prolétariat et bourgeoisie.
Sur la hiérarchie des nations
- Les Anglais, pourtant pionniers de la première phase de l’industrialisation, n’ont qu’un rôle de second plan dans ce qui se joue à la fin du XIXe siècle. Dans cette période charnière où l’automobile et l’aviation prennent leur véritable essor, ils laissent l’initiative à des Allemands, des Américains et, dans une moindre mesure, des Français. On a vu (chapitre précédent) le rôle que jouaient les mutations du capitalisme en Allemagne et aux États-Unis dans l’essor des nouvelles techniques et des nouvelles activités.
- Bien qu’encore très rurale et semi-industrialisée, la France offre un terrain propice au cinéma et à l’aviation, où elle joue un rôle d’avant-garde, ainsi qu’à l’automobile : à la veille de la guerre de 1914, elle occupe le premier rang en Europe avec une production annuelle de 45 000 véhicules. Elle est également bien placée dans les domaines de l’électricité et de l’aluminium. L’amélioration du commerce extérieur reflète le regain de dynamisme de notre pays, dont la production d’acier sextuple entre 1890 et 1913. Pendant cette période, l’écart se réduit sensiblement avec la Grande- Bretagne et se stabilise avec l’Allemagne. Elle est toutefois trop courte pour modifier le rapport de forces en Europe et opérer une transformation fondamentale des structures de l’économie.
- Au plan international, le déclin relatif de la Grande-Bretagne et l’affirmation de la puissance industrielle de l’Allemagne, des États-Unis et, dans une moindre mesure, du Japon exacerbent la concurrence entre nations. Dans un contexte de durcissement des rivalités entre grandes puissances, la compétition économique et financière se renforce. Chaque pays pousse son effort à l’exportation et cherche à la fois à élargir sa zone d’influence et accroître son emprise.
- Les exportations de capitaux prennent de plus en plus d’ampleur, les prises de participation et les créations de filiales à l’étranger se multiplient. L’interpénétration de plus en plus manifeste du capital industriel et du capital financier nourrit les thèses sur l’impérialisme de John A Hobson et Rudolf Hilferding, qui sont reprises par Lénine et Rosa Luxemburg. Entre grands pays industrialisés, les tensions s’exacerbent et des heurts répétés mènent à la guerre. L’aphorisme de Lénine, selon lequel le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage, ne semble pas à l’époque sans fondement.