Destructions et reconstruction
De par les bouleversements qu’il a entraînés, le deuxième conflit mondial a été le creuset d’un nouveau régime de croissance.
I. La guerre comme ouragan de destruction créatrice
Les destructions
Le bilan humain est difficile à établir en l’absence de mesures statistiques fiables pour des pays comme la Chine ou l’URSS. On estime toutefois qu’il est de l’ordre de 60 à 70 millions de morts, soit des pertes trois à quatre fois plus lourdes qu’entre 1914 et 1918. Le nombre de civils tués est beaucoup plus élevé que lors du précédent conflit. En outre, l’arme atomique a été employée à deux reprises contre le Japon et six millions de victimes juives ont été exécutées par les nazis.
De plus, les destructions matérielles dépassent partout celles de 1914. En URSS, à l’effet des combats s’ajoutent les dévastations systématiques de l’occupant. Pillée pendant des années par l’armée d’occupation, l’économie française sort très affaiblie du conflit : en 1945, l’investissement s’est effondré, l’appareil productif a vieilli et s’est dégradé, les infrastructures et le matériel de transport sont très endommagés, un immeuble sur cinq est effondré ou hors d’usage, la population manque de tout et l’inflation flambe. À la même époque, l’économie allemande sombre dans le chaos et la situation du Japon est tout aussi dramatique.
Les effets d’entraînement
L’incidence «créatrice» de la guerre tient au fait qu’elle oblige à renouveler les équipements en les modernisant ; cet effet jouera à plein dans la phase de reconstruction. Dans l’immédiat, le conflit mondial a exercé une puissante impulsion sur l’économie des États- Unis, dont le PIB a augmenté de moitié.
Au Royaume-Uni, l’effort de guerre a permis de corriger en partie les points faibles de l’économie, tout en renforçant la cohésion sociale.
L’URSS est le pays le plus éprouvé mais, dans le même temps, ses victoires sur l’Allemagne nazie en Europe la font accéder au rang de superpuissance.
Quant à la France, la défaite de 1940 a provoqué un choc, une prise de conscience et un sursaut d’énergie. À l’issue de la guerre, les mentalités sont complètement transformées.
Les nouveaux rapports de forces
L’Armée rouge est désormais installée au cœur du continent européen, dont l’espace économique est durablement amputé par l’inclusion des « démocraties populaires » dans le bloc soviétique. Globalement, l’Europe connaît un abaissement économique bien plus grave qu’en 1918. Les échanges intra- européens sont au plus bas, les recettes de la balance des invisibles ont fondu et dès 1945, les grands conflits de décolonisation s’annoncent. La production ayant lourdement chuté, l’Europe dépend des importations et des crédits extérieurs pour couvrir ses besoins vitaux. À titre d’exemple, les exportations françaises ne couvrent que 20 % de ses importations en 1945 et, avec les États-Unis, le taux de couverture ne dépasse pas 2 % la même année.
En revanche, la suprématie américaine est plus manifeste que jamais. La disproportion des forces financières s’est encore accrue. Les États-Unis concentrent 75 % du stock d’or mondial ; l’essor de leurs investissements extérieurs se poursuit, alors que la France et la Grande-Bretagne continuent à liquider leurs avoirs extérieurs. Envers toutes les régions du monde, les excédents américains sont massifs, alors qu’aucune possibilité de rééquilibrage des échanges ne s’annonce dans un avenir prévisible.
II. Les bases de la reconstruction
Le dirigisme
Différence majeure avec le premier après-guerre, il n’y a pas cette fois-ci d’idéalisation de l’avant- guerre, ni d’illusion sur un retour possible à l’ordre antérieur des choses. À des degrés divers et sous des formes différentes, les tendances dirigistes l’emportent partout ; et partout, l’État sera le maître d’œuvre de la reconstruction et de la croissance. Le plein emploi et un taux de croissance économique rapide deviennent les objectifs prioritaires des gouvernements nationaux, qui se donnent les moyens de les atteindre.
Le plan Marshall
Autre différence capitale avec 1918, les États-Unis sont cette fois pleinement conscients de leurs responsabilités internationales en tant que puissance dominante. Dans le contexte de la guerre froide et tirant la leçon des années 1920, ils n’ont pas exigé le remboursement des dettes de guerre. De plus, en juin 1947, le secrétaire d’État Marshall a déclaré que « si les pays européens s’entraidaient et établissaient un plan d’ensemble, les États-Unis seraient disposés à leur fournir, même gratuitement, les produits dont ils auraient besoin pour se relever ». Mis en œuvre entre 1948 et 1952, le plan Marshall a porté sur 14 milliards de dollars de l’époque et a contribué de manière décisive au relèvement de l’Europe. Cette aide tournée vers l’investissement a permis d’importer sans avoir à les payer des matières premières et du matériel d’équipement. Elle comportait aussi de l’assistance technique. En France, le tiers des opérations du fonds de modernisation, c’est-à-dire du premier plan, ont été réalisées grâce aux fonds américains. Cela a notamment été le cas des investissements de nos grandes entreprises nationalisées.
La refonte des institutions internationales
- En matière d’organisation commerciale, un accord général sur les tarifs douaniers et les échanges commerciaux (AGETAC selon le sigle français et GATT selon le sigle anglais) est signé en 1947 à la suite de la conférence de La Havane. Par de grandes négociations, dites « rounds », les signataires du GATT ont peu à peu réduit les droits de douane et favorisé l’essor du commerce international. Le dernier cycle s’est ouvert en 1986 en Uruguay et a abouti à la création de l’Organisation mondiale du commerce.
- En matière monétaire, le Fonds monétaire international* (FMI) a été la grande innovation de l’après-guerre. Les moyens du Fonds proviennent des souscriptions effectuées par les pays membres, soit en or, soit dans leur monnaie nationale. Ses réserves lui permettent de prêter aux pays membres des devises étrangères pour les aider à surmonter des difficultés transitoires de leur balance des paiements. Le Fonds monétaire international était la pièce essentielle du système monétaire international issu des accords de Bretton Woods. Il s’agissait d’un système fondé non sur l’or, mais sur le dollar jugé aussi bon que l’or. Chaque pays devait déclarer au Fonds la parité ou valeur officielle de sa monnaie par rapport à la monnaie américaine et s’engager à la défendre. En contrepartie, les États-Unis s’engageaient à ce que les banques centrales des autres pays puissent convertir en or, si elles le souhaitaient, les dollars qu’elles détenaient au taux de 35 dollars pour une once d’or (soit environ 31 g). Ce système a perduré jusqu’à ce que le 15 août 1971, le président Nixon suspende la convertibilité du dollar en or. On s’est alors orienté vers le flottement des principales monnaies les unes vis-à-vis des autres et le FMI a été investi d’un nouveau rôle : celui de fournir des crédits aux pays en difficulté financière et, en contrepartie, de leur prescrire des politiques économiques de rééquilibrage de leur situation.
- En matière financière, on a créé le groupe de la Banque mondiale qui rassemble trois institutions : la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, puis, plus tard, l’Association internationale pour le développement et la Société financière internationale. Ces organismes ont pour but de faciliter les investissements à long terme dans les pays les plus démunis.
Cette organisation internationale de l’économie a été un grand apport de l’après-guerre. Aussi imparfaites que soient ces institutions, leur mise en place a permis de ne pas retomber dans les impasses de l’entre-deux-guerres. Grâce à elles, on a pu éviter l’exaspération des nationalismes et favoriser le développement des échanges de marchandises, de services et de capitaux.