La Montagne : Les Français sont-ils nuls en économie ?
Un désamour qui nous coûte cher, d’après cet agrégé de sciences économiques et sociales. Pierre Robert, auteur de Fâché comme un Français avec l’économie (Larousse), évoque un enjeu de société.
Qu’est-ce qui vous permet de dire que les Français sont nuls en économie ?
“Disons plutôt que leur méconnaissance dans ce domaine est assez grande… Des enquêtes et des études le montrent avec notamment un test national mené sous l’égide du Ministère des finances dont la note moyenne est inférieure à 8. Les résultats ne sont guère meilleurs pour ceux ayant fait des études économiques. Peu de Français sont capables, par exemple, d’évaluer correctement l’inflation ou la situation du commerce extérieur de la France. Cela concerne le grand public, comme nos élites. On tend souvent à privilégier le point de vue de l’État, la macro-économie, au détriment de la micro-économie qui étudie les comportements des individus. Face à l’épargne, ceux-ci révèlent une aversion très française face au risque qu’il faut relier à leur manque flagrant d’éducation financière.”
Comment peut-on expliquer que les Français soient fâchés avec l’économie ?
“Les racines culturelles et historiques sont très profondes. Le fond catholique joue un rôle, avec une tradition d’hostilité à l’égard de l’argent, de la finance, de la richesse. Les écrits de Saint Thomas d’Aquin sont très clairs sur ce point. La religion catholique sanctifie le pauvre et on se méfie de l’argent corrupteur. C’est quelque chose de profondément enraciné. L’analyse marxiste développe également une analyse négative de l’économie de marché qui a mauvaise presse dans notre pays. Notre vision est aussi très corporatiste : chacun veut protéger ses intérêts particuliers parfois au détriment de l’intérêt général. Cela remonte à la Révolution, où le système des corporations de métiers a été aboli. Les moins protégés, livrés au marché de façon brutale, se sont retrouvés en situation défavorable. Cela reste ancré dans les mémoires.”
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Le souci, avec les économistes, c’est qu’ils ne sont pas tous d’accord entre eux. Est-ce une science ou une idéologie ?
“L’économie est à la fois une science et un discours avec nécessairement une coloration idéologique. Nous disposons toutefois de plus en plus de données qui nous permettent d’établir des faits. Par exemple, on sait qu’augmenter le Smic au-delà d’un certain niveau n’est pas un bon moyen pour réduire la pauvreté. Cela nuit à l’emploi, notamment des moins qualifiés. Il existe d’autres leviers plus efficaces comme compléter le salaire avec des primes d’activité. Il y a là un aspect scientifique.
Pour ce qui est des médias, ce qui les intéresse le plus, ce sont les duels montés de toutes pièces entre économistes. Pour faire le show, on convoque deux personnes et il faudrait que ce soit binaire. Il n’y a plus de place pour la nuance. Cela devient un spectacle. Or, l’économie n’est pas qu’une affaire d’opinions, avec l’un qui dit blanc, l’autre noir.
Après, sur cette base de connaissances bien établies, on peut développer différents points de vue. Je pense au dernier livre de Thomas Piketty, Capital et Idéologie. Celui-ci recense de manière remarquable des données étoffées sur l’état des inégalités dans le monde, mais la conclusion qu’il en tire sur la nécessité de supprimer la propriété privée relève de l’idéologie. Quand il avance que, dans la période où aux États-Unis les hauts revenus étaient beaucoup plus fortement taxés, la croissance était deux fois plus forte qu’aujourd’hui où les impôts sont deux fois moins lourds, il transforme une corrélation en causalité. On peut donc biaiser le raisonnement et comme on dit « faire parler les chiffres ». Pour ce qui est des médias, ce qui les intéresse le plus, ce sont les duels montés de toutes pièces entre économistes. Pour faire le show, on convoque deux personnes et il faudrait que ce soit binaire. Il n’y a plus de place pour la nuance. Cela devient un spectacle. Or, l’économie n’est pas qu’une affaire d’opinions, avec l’un qui dit blanc, l’autre noir. Dire par exemple qu’augmenter le Smic n’est pas un bon moyen de réduire la pauvreté ne fait pas de l’économiste qui le dit un affreux libéral. C’est caricatural de réduire le débat à cela. Tout comme on ne devrait pas se satisfaire du fait que pas un budget n’ait été voté à l’équilibre depuis 1975 en France. C’est une fuite en avant qui ne pourra pas durer éternellement.”
Dépassionner l’économie, c’est possible ?
“Ce n’est pas aisé car on touche à des questions très sensibles.”
Ce déficit en culture économique des Français, dont on a beaucoup entendu parler pendant la crise des Gilets jaunes notamment, a-t-il un impact au quotidien ?
“Je crois que cela fragilise notre économie quand on en est à ce point d’absence de dialogue. Pour se parler, il faut un langage commun. On a d’un côté le « président des riches » et, de l’autre, des gens qui proposent tout et n’importe quoi comme augmenter les services publics et baisser les impôts. Ce bain culturel tue l’innovation, tue la croissance. En France, la politique passe devant l’économie.”
Des raisons d’espérer ?
“Avec l’équipe au pouvoir, les choses bougent un peu notamment à travers les nouveaux programmes du lycée proposant d’enseigner l’économie autrement, sur la base d’un socle de connaissances et non de courants idéologiques. Commençons par apprendre aux élèves à raisonner sur une base solide car, je le répète, l’économie n’est pas qu’une affaire d’opinions.”
Propos recueillis par Florence Chédotal
Envie de se cultiver en économie ?
Pierre Robert, qui a enseigné l’économie et la sociologie en classes préparatoires et a crée le site Hecosphère (hecosphere.com) destiné à mettre l’économie à la portée de tous, propose de commencer par le livre très accessible du Prix Nobel Jean Tirole, L’économie du bien commun (PUF), pour « se constituer une culture économique ». Il conseille aussi d’écouter Entendez-vous l’éco ? avec Tiphaine de Rocquigny sur France Culture, L’Edito Eco de Dominique Seux sur France Inter ou encore La librairie de l’Eco avec Emmanuel Lechypre sur BFM Business. Il pense aussi à ce magazine mensuel baptisé Pour l’Eco, qui a pour ambition de décoder l’économie. Plus pédagogique, mais apportant de bonnes bases, il cite Économie au concours des grandes écoles de Claude-Danièle Echaudemaison, chez Nathan.
Read MoreITW : Qui est Pierre Robert, le grand témoin des Trophées des entreprises du Cantal ?
Fâché comme un Français avec l’économie : c’est à la fois le titre du dernier ouvrage et le sujet de prédilection de Pierre Robert, membre de l’institut Sapiens, professeur d’économie. Ce petit-fils d’entrepreneur cantalien sera le grand témoin des Trophées des entreprises du Cantal, jeudi 26 septembre.
L e postulat de base est fort : « Les Français sont nuls en économie », et cela nous coûterait même de la croissance. Ce constat livré à l’institut Sapiens, think tank dont il est membre, le professeur d’économie Pierre Robert, l’assume, le défend dans les médias nationaux, et en a même fait un livre : Fâché comme un Français avec l’économie.
Tous nos articles sur les Trophées des entreprises du Cantal édition 2019
Jeudi, il sera le grand témoin des Trophées des entreprises du Cantal, une manière de lier ce département qu’il connaît bien et cette volonté de faire découvrir les sciences économiques au plus grand nombre.
Ma mère est née à Riom-ès-Montagnes. Le père de ma mère, Antoine Tible, était un pionnier, coureur cycliste. Il avait créé son propre vélo, puis il est devenu un très gros concessionnaire automobile, qui, à partir de Riom, couvrait toute l’Auvergne. Il a également été vice-président de la chambre de commerce, dans les années trente.
Parcours. Né en 1949 à Paris, Pierre Robert rentre dans la fonction publique, puis la quitte bien vite pour créer un négoce d’antiquité avec son épouse. C’est sur le tard qu’il devient professeur d’économie, à 38 ans. Fondateur du site Hécosphère, qui propose des cours d’économies gratuits, il s’intéresse au manque de culture économique des Français, au sein de l’institut Sapiens, think tank dont il est membre.
La famille de mon père est originaire de Maurs. J’y ai également passé beaucoup de temps, je partageais mon mois de juillet entre les deux quand j’étais adolescent. Mes grands-parents étaient montés à Paris pour créer un café, d’abord à Auteuil, puis avenue du général-Leclerc. Mon père et ma mère sont tous deux profondément enracinés en Auvergne.
Quelle vision avez-vous de l’entrepreneur cantalien ?
C’est une vision qui vient de ma propre histoire. En Auvergne, il y a des qualités de ténacité, de détermination de résistance, de robustesse, un sens du sérieux, de l’engagement, un peu têtu peut-être (rire). Il y a un sens de l’effort, je l’ai vu dans ma famille, même si je ne sais pas si on peut en faire une vertu auvergnate, et il y a le sens de l’épargne, souvent caricaturé… Cela a marqué les mentalités collectives.
Quel sera votre discours, en tant que Grand témoin ?
Il y a cette étude, que j’ai réalisée pour l’institut Sapiens, sur le manque de culture économique des Français, prolongée par un livre qui vient de sortir. C’est ce dont je suis capable de parler, mais il ne s’agit pas de tout focaliser sur ce livre. Ma petite intervention pourrait partir de là, puis aller sur le thème de l’innovation, sachant qu’en Auvergne, il y a des entreprises qui savent prendre l’air du temps, avec toute cette responsabilité sociale, environnementale qui vient derrière.
Est-ce que les Trophées des entreprises, organisés par La Montagne, ne participent pas de cette démocratisation de l’économie ?
Complètement, et c’est ce qui m’intéresse dans cette démarche ! On parle de façon positive de l’économie, et des entrepreneurs, des entreprises, des innovateurs, alors que le discours que l’on entend le plus souvent dans les médias et dans le monde intellectuel, c’est « attention, les inégalités sont en voie d’accroissement, la propriété c’est le vol… »
Il y a une énorme méfiance dans une partie de l’opinion envers tous ceux qui impulsent du dynamisme à l’économie. C’est une bonne chose d’allumer des contre-feux…
Vous expliquez justement que les Français restent attachés à la petite entreprise ?
On aime bien les petites entreprises, c’est dans la mentalité collective française, mais c’est parce que l’on se méfie des grandes. C’est par opposition à cette entreprise, tentaculaire, qui va vous exploiter, contre la petite entreprise, plus humaine, ouverte. C’est sans doute un cliché qui a une part de réalité.
Dans le Cantal, justement, on est resté sur un modèle où l’immense majorité des structures ne dépassent pas les 50 salariés. Tout le monde connaît le patron…
C’est un atout pour l’avenir. Avec les évolutions technologiques, cela peut être une carte à jouer très, très importante.
Ce n’est pas un modèle dépassé, cela peut être l’avenir, dès qu’on le couple avec un esprit d’innovation sur les nouvelles technologies, avec la 5G par exemple. D’autant que dans la région, on sait faire preuve d’énergie, de ténacité…
Est-ce que le Cantal n’a pas une carte à jouer, avec son cadre de vie ?
Bien sûr. C’est un atout important de cette région, où l’environnement est encore préservé, où l’on trouve à se loger pour beaucoup moins cher qu’ailleurs.
[…] Cela fait longtemps que l’on parle du télétravail, mais les entreprises ont l’air de s’y mettre davantage, d’autant plus que la technique le permet. Tout cela prendra du temps, mais l’Auvergne, et le Cantal, tout particulièrement, a certainement une carte à jouer dès lors qu’il y a de bonnes autoroutes de l’information. Il y a certainement un potentiel à exploiter.Cela nécessite des infrastructures, et donc une forme de dépendance…
C’est un problème, et c’est là que les politiques entrent en jeu. Jacques Mézard a été ministre, en son temps, Valery Giscard-d’Estaing a fait avancer le dossier de l’autoroute, il n’a pas fait que la banque de France à Chamalières.
[…] Il faudrait qu’une figure émerge et arrive à porter davantage les intérêts économiques locaux. Sans infrastructure, le département va continuer à patiner un peu, et ne pourra pas développer tout son potentiel.Est-ce qu’un événement comme les Trophées des entreprises, qui rassemble ces acteurs locaux, peut avoir un rôle à jouer ?
C’est un événement qui a une certaine pérennité, qui existe depuis trois ans. Autour de cela, il peut se greffer des synergies, se diffuser des informations. C’est une façon d’exister, de faire parler de soi.
C’est indispensable : aujourd’hui, il faut crier très fort pour être entendu.
Tous les événements de ce genre, et celui-ci en particulier, sont indispensables.
Pierre Chambaud
Read MoreContrepoints : compte rendu de “Fâché comme un Français avec l’économie”
« Fâché comme un Français avec l’économie » de Pierre Robert
Un ouvrage bienvenu. Une analyse approfondie des causes du rejet des Français pour l’économie et des implications que cela engendre. Ou comment combattre les idées reçues pour mieux nous réconcilier avec les réalités.
Par Johan Rivalland.
« Il n’y a pas de pire ignorant que celui qui croit savoir » écrit Olivier Babeau dans la préface de cet ouvrage qu’il qualifie à juste titre de salutaire. Non seulement l’ignorance des Français est criante en matière d’économie, mais on peut hélas constater pour ainsi dire tous les jours que les idées fausses et simplistes aveuglent jusqu’à nos politiques, qui se laissent régulièrement davantage influencer par des sophismes économiques et argumentations fallacieuses ou militantes que par une réelle compréhension des mécanismes économiques, y compris de base.
Raisonnements binaires, discours caricaturaux et confusions en tous genres semblent régner en maître et nous conduisent trop souvent au désastre. C’est pourquoi un ouvrage tel que celui de Pierre Robert, professeur renommé en classes préparatoires aux concours des grandes écoles de commerce, est plus qu’utile en la matière.
Il s’agit à la fois d’une excellente occasion offerte à tous ceux qui souhaitent y voir un peu plus clair en matière d’économie de revenir sur un certain nombre de notions de base, mais aussi de mieux mesurer à quel point les dégâts peuvent être considérables lorsqu’on laisse l’ignorance œuvrer, en lieu et place de la connaissance et du bon sens.
DÉPASSIONNER LE DÉBAT
Déplorant l’excès malsain de passion que suscite généralement le débat économique et le caractère trop souvent partisan des analyses, Pierre Robert en appelle à revenir à davantage de modération et à ériger un cadre commun qui permette de comprendre les enjeux économiques, sans pour autant nier les divergences.
S’opposer au simplisme et au spectacle médiatique que tentaient de dénoncer de manière probablement mal comprise Pierre Cahuc et André Zylberberg dans un ouvrage retentissant qui fut fortement sujet à polémique, est un moyen de pourfendre l’idée selon laquelle les Français haïssent l’économie, lui préférant depuis longtemps la politique et ses affichages d’idées utopiques.
Si seulement encore cette méconnaissance des mécanismes de base de l’économie et le caractère jugé trivial de celle-ci ne touchaient qu’une multitude de personnes ne se sentant pas forcément à l’aise ou un peu dépassées (ce que les sondages cités dans l’ouvrage ne montrent d’ailleurs pas forcément)… Mais il y a pire encore :
Comme le note Éric Le Boucher, cette ignorance affecte également la classe politique, les fonctionnaires, les juges, la plupart des intellectuels et la majorité des journalistes. Or, les premiers sont chargés de conduire les politiques publiques, les deuxièmes d’élaborer les normes qui encadrent les activités économiques, les troisièmes du contentieux du droit des affaires et des relations professionnelles, alors que les autres façonnent l’opinion.
Au sein des élites même règne un inconscient collectif datant du mépris aristocratique de l’argent dans l’ancienne société de cour, analyse l’auteur. Sans compter l’héritage des théories marxistes…
Mais la raison essentielle tient aussi à la quasi-absence de l’enseignement de l’économie dans certaines grandes écoles à l’image de l’ENA, ou d’une approche très technocratique, à l’instar de ce qui se pratiquait encore dans les IEP il y a peu, par exemple, dont le renouvellement pédagogique n’en repose pas moins sur des présupposés idéologiques d’une grande partialité tournant systématiquement autour d’analyses sous l’angle de l’injustice, des inégalités, des défaillances du marché et des carences des entreprises. Pas beaucoup mieux dans les écoles de management et business schools, note Pierre Robert, ou dans les grandes écoles scientifiques.
UNE SITUATION PRÉOCCUPANTE
Si ni les concepts de base, ni les ordres de grandeur ou mécanismes les plus élémentaires ne sont connus, pas davantage que les simples faits, ou la différence entre un bénéfice et un chiffre d’affaires par exemple dans la sphère de l’entreprise, alors comment peut-on comprendre les enjeux des politiques publiques ?
Comment peut-on comprendre le fonctionnement du monde qui nous entoure ? Puis, par suite logique, relever les défis qui se présentent à nous ? Ou encore, comment ne pas s’interroger sur la nature de la démocratie et son devenir ? Nous sommes là, bel et bien, face à des questions existentielles de première importance.
Ce désamour des Français pour l’économie viendrait, selon l’auteur, du programme très dirigiste du Conseil National de la Résistance au sortir de la guerre et de la prise des commandes par l’État, qui a pu laisser penser que la croissance exceptionnelle des Trente Glorieuses était issue du savoir-faire de l’élite technocratique et de la version très simplifiée de la pensée keynésienne empruntée.
Sans oublier le rôle de la longue tradition illibérale dans l’histoire des idées en France, dont il présente les origines et les différentes phases, ainsi que les principaux préceptes. Mais lorsque l’économie s’est ouverte et que les premières désillusions sont apparues, nombreux sont ceux qui, faute de culture économique, se sont mis à maudire les marchés, la mondialisation, les grandes entreprises, les actionnaires, ou encore la concurrence, faisant tour à tour figure d’épouvantails bien commodes, tant le dirigisme continue d’imprégner les esprits.
Or, pour sortir des mystifications, rien ne saurait être plus efficace que la culture économique, que Pierre Robert qualifie de véritable antidote. Et qui permettra, selon lui, en référence à la pensée de Frédéric Bastiat, « de contrer un penchant naturel au monde politique qui est de se focaliser sur ce qui se voit sans prendre en compte ce qui ne se voit pas […] ».
Le problème, cependant, réside dans la manière de transmettre cette culture économique. Un chapitre très instructif sur la vision ou l’engagement idéologique des programmes, des manuels scolaires, voire des enseignants, permet de comprendre bien des choses.
Avec Keynes, Marx, Durkheim et Bourdieu toujours au centre de ces enseignements et l’exécration de l’entreprise, caricaturée de manière incroyable, comment peut-on concevoir que même les élèves issus de formation à caractère économique (ou le plus souvent, à forte dose, sociologique ou politique), faisant régulièrement l’impasse sur certains des mécanismes de base de l’économie, puissent ne pas être clairement orientés ?
Quant aux médias, exemples à l’appui, Pierre Robert montre comment on préfère le sensationnel et les fameux duels d’orateurs, favorisant les visions polémiques et caricaturales plutôt que la connaissance, l’analyse et la réflexion. Aboutissant à ceci :
Dans cette société du spectacle continu et pas cher, on finit par tout voir en noir et blanc en perdant le sens des nuances. Cela ne grandit pas la profession, mais entretient beaucoup de gens dans l’idée que l’économie n’a rien de scientifique et n’est en définitive qu’une affaire d’opinion. C’est un obstacle supplémentaire à la diffusion d’une culture économique de nature à favoriser une compréhension commune des enjeux.
S’ÉCHAPPER DE CE CARCAN MENTAL
Après avoir esquissé un diagnostic du mal qui nous ronge et montré ses conséquences plus que fâcheuses, Pierre Robert livre sa réflexion sur les moyens d’y remédier.
Plutôt que de céder à la dictature de l’émotion et au déni des réalités les plus élémentaires, sources de conflit et de défiance, et de sombrer dans l’impuissance politique, pourquoi ne pas en revenir aux sources de la prospérité, telles que définies par Edmund Phelps ?
Une économie tournée vers l’innovation valorise le risque, la responsabilité, le changement, la difficulté, la découverte et le goût de l’exploration pour elle-même […] Quand un nouveau savoir apparaît dans un secteur, il bénéficie à la société toute entière sous la forme en particulier d’une baisse de prix. Pour avancer, une économie moderne se nourrit donc d’une culture économique motivante. Pour la transmettre, l’enseignement de l’économie doit être tourné vers la connaissance du monde de l’entreprise et donner le goût d’entreprendre […] L’innovation dans bien des cas précède la science […] L’élément clé, c’est une configuration particulière d’éléments tenant aux comportements, à la culture et aux institutions économiques […] Seule une économie de libre entreprise associe cette garantie et une culture économique motivante qui pousse à innover […] Si une oligarchie est aux commandes et limite l’accès au marché aux membres du sérail, si le secteur des affaires est soumis à une forme de contrôle politique, il s’agit de corporatisme mais non de capitalisme.
Il y a nécessité pour notre économie de se réformer. En premier lieu en cherchant à reconfigurer l’État, qui ne peut indéfiniment faire reposer le soutien à l’économie sur l’endettement. Comme l’ont fait d’autres pays avant nous et à qui cela a profité. Et Pierre Robert passe en revue tout un ensemble de maux qui minent notre économie, apportant à chaque fois les pistes qui lui semblent les plus judicieuses pour y parvenir, toutes fondées sur une bonne connaissance de la culture économique, plutôt que sur les habituelles considérations à visées politiques.
Mais pour échapper véritablement au carcan mental qui nous ronge, l’auteur passe surtout en revue – et c’est un véritable temps fort du livre, absolument passionnant et instructif – pas moins de 50 clichés courants. Dix sur le marché du travail et le chômage, dix sur les politiques publiques et les finances de l’État, dix autres sur la situation et le fonctionnement de la maison France, puis dix autres encore sur l’économie de marché et la sphère financière, pour finir par dix derniers relatifs à l’Europe et la mondialisation. De quoi, dit-il, se réconcilier avec l’économie… et espérer que nous progressions un jour sur toutes ces questions qui déterminent notre avenir.
Pierre Robert, Fâché comme un Français avec l’économie, Larousse, septembre 2019, 304 pages.
Source
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« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Fâché comme un Français avec l’économie
Pierre Robert – Larousse
Parmi les centaines de livres qui font la rentrée littéraire, en voilà un qui a retenu toute notre attention et qu’il importe de lire.
Malgré une vie consacrée à l’enseignement de l’économie, Pierre Robert, comme bien d’autres, constate l’insuffisante éducation des français en la matière, et comme l’a confirmé le deuxième baromètre du Cercle Jean-Baptiste SAY.
Il en révèle les origines multiples, culturelles, historiques et idéologiques. Et les origines doivent être bien identifiées pour avoir l’ambition de corriger ce défaut national.
Car ce défaut met en péril notre prospérité. Qu’on soit épargnant, consommateur, retraité, fonctionnaire, employé ou dirigeant d’entreprise comme dirigeant politique, la méconnaissance des mécanismes économiques conduit à des décisions ou à des comportements qui menacent notre maintien au meilleur niveau des sociétés développées. Car le niveau d’ignorance est malheureusement proportionnel au niveau de certitude qui les inspirent. Riche d’exemples démontrant cette incurie générale et ses conséquences, chacun après cette saine lecture aura intérêt à suivre l’auteur sur son site Hecosphère qui offre de multiples leçons et outils pour bien comprendre l’économie. Une vie d’enseignement mise à la disposition et au service de tous. Le Cercle Jean-Baptiste Say qui encourage la pédagogie économique ne peut dire qu’un mot à Pierre Robert : bravo !
Source
Read MoreA bas le réel !
Un grand nombre de citoyens sont aujourd’hui très en colère. Cette colère est même le seul point qui les rassemble vraiment. Ils sont unis par le sentiment que la transition économique et sociale en cours leur échappe complètement et qu’ils en font les frais alors que d’autres en profitent outrageusement.
On se met en colère quand on ne comprend pas ce qui se passe. Le réflexe de ceux qui détiennent le pouvoir est alors de tout mettre sur le dos du manque de pédagogie : pour être compris il aurait fallu expliquer davantage.
Mais comment se faire entendre,comment avoir la moindre chance d’être écouté si ceux auxquels le message est destiné n’ont pas un minimum de culture économique ?
Or dans notre pays cette condition essentielle à la réception du message n’est absolument pas remplie.La liste des 42 revendications des gilets jaunes adressée à l’Assemblée Nationale en témoigne.
Non exhaustive, elle est issue d’un sondage en ligne auquel 30 000 personnes auraient pris part.
Parmi ces « directives du peuple » que les députés sont priés de transposer en lois figurent de nombreuses dispositions révélant une profonde ignorance des réalités économiques.
Parmi elles figure notamment une série d’interdictions et de contraintes qui bloqueraient complètement le fonctionnement de nos entreprises et nous pousseraient hors du cadre de l’économie de marché
N° 13 – Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations
N° 14 – Fin du travail détaché
N° 15 – Limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI
N° 16 – Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène
N° 28 – L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
N° 29 – Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publiques et que les prix baissent de manière conséquente.
Nos entreprises privées ont déjà au pied de lourdes chaines. Toutes ces mesures les entraveraient encore davantage, ce qui ne peut que provoquer des faillites et des licenciements en masse. Elles conduisent aussi à re-nationaliser ce qui a été privatisé et à rétablir le contrôle administré des prix,deux procédés qui dans le passé ont amplement fait la preuve de leur inefficacité
Sont également exigées une avalanche de dépenses nouvelles qui achèveraient de ruiner nos finances publiques :
N° 24- Augmentation des allocations handicapés.
N° 27 – Moyens conséquents accordées à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. .
N° 30 – Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste,des écoles et des maternités.
N° 32 – Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la Terminale.
N° 36 – Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillées dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans.
Si nos dépenses publiques déjà très élevées (56% du PIB) font un tel bond,comment les financera-t-on ? Par des impôts supplémentaires ?
D’autres encore reposent sur une incompréhension profonde des réalités de l’économie de notre pays et isoleraient dangereusement la France du reste du monde
N° 17 – Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale
N° 26 – Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage aéroport…)
Mais notre pays n’ a jamais mis en œuvre de politiques d’austérité. On se trompe complètement sur l’étiquette. Depuis 1975 nos administrations dépensent systématiquement plus qu’elles n’ont de recettes. Le déficit du budget pour l’année 2018 va dépasser les 70 milliards d’euros. S’imaginer que la fraude fiscale se monte à 80 milliards d’euros qui vont combler le trou, c’est la confondre avec l’optimisation fiscale qui est légale et qui est souvent une condition indispensable au maintien de l’emploi dans un pays où les entreprises sont surtaxées.
Le déficit des administrations va donc continuer à alourdir une dette déjà colossale de plus de 2300 milliards d’euros. Ne pas en rembourser les intérêts mettrait notre Etat dans l’incapacité de se financer sur les marchés de capitaux et inévitablement le conduirait à la banqueroute. Au passage tous ceux qui ont placé leur épargne en assurance-vie la verraient partir en fumée, sans que cela améliore en rien la situation des autres. Dans ce domaine un pays comme l’Argentine a montré ce qu’il ne faut pas faire. Faut-il vraiment l’imiter ? On a aussi l’exemple de la Grèce dont le budget a du être mis sous tutelle et qui a été forcée de vendre le port du Pirée.
D’autres revendications enfin relèvent d’une démarche purement morale en fixant un objectif sans indiquer comment l’atteindre
1 – Zéro SDF : URGENT
31 – Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
C’est louable mais on oublie de préciser la marche à suivre dans un monde marqué par la rareté…
En définitive on est en présence d’un catalogue de souhaits contradictoires qui enfonceraient notre pays dans d’inextricables difficultés au détriment de tous, y compris et surtout des plus défavorisés.
Pour éviter de tomber à nouveau dans de un tel piège, il est impératif de tout mettre en œuvre pour élever le niveau des Français en économie.
Sinon tôt ou tard l’incendie se rallumera et notre pouvoir d’achat partira en fumée, ce qui en fera pleurer plus d’un, même sans gaz lacrymogène.
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