Entreprises : gare à l’excès d’optimisme
Les informations rassurantes sur la santé économique de la France publiées cet automne ne doivent pas faire illusion. Elles masquent la situation globalement préoccupante des entreprises fragilisées par la crise sanitaire.
En termes de politique économique, la rentrée a été l’occasion d’un festival de bonnes nouvelles. Selon l’INSEE, le taux de chômage baisse significativement. De 8,5 % de la population active avant la crise sanitaire, il passe à 8 % au 2e trimestre 2021 et devrait fléchir à 7,6 % au 3e pour rejoindre ses plus bas niveaux d’avant crise d’après la dernière note de conjoncture de l’Institut. À cela s’ajoutent des perspectives très encourageantes sur l’évolution du pouvoir d’achat qui aurait progressé de 8 % dans les 5 dernières années, soit deux fois plus vite que lors des deux quinquennats précédents.
La Banque de France n’est pas en reste. Elle s’attend désormais à ce que du fait d’un rebond bien plus rapide que ce qu’elle avait d’abord prévu, le PIB augmente de 6,3 % cette année, puis de 3,7 % en 2022 et de 1,9 % en 2023.
Si l’on en croit les statistiques étatiques on se rapproche à grands pas de la situation idéale qualifiée de ” carré magique ” par l’économiste keynésien Nicolas Kaldor avec une inflation encore faible, une situation de l’emploi encourageante et une croissance vigoureuse.
À condition toutefois de faire l’hypothèse bien hasardeuse que la hausse des prix n’est qu’un épisode transitoire et de mettre sous le tapis les mauvais résultats du commerce extérieur. Sur ces deux lignes de front, les nuages s’accumulent et l’horizon devient beaucoup plus chargé.
Attention, bombes à retardement !
C’est aussi le cas si on observe avec lucidité le terrain micro-économique, celui des entreprises qui vivent des réalités beaucoup plus sombres. En dépit de la manne dont elles ont bénéficié, leur vitalité a été gravement altérée par la crise sanitaire et par les décennies d’erreurs économiques cumulées par des gouvernements convaincus des bienfaits du dirigisme.
C’est ce que soulignent les économistes d’Euler Hermès. Leur dernière étude montre sans ambiguïté que la crise du Covid-19 et plus encore la manière dont elle a été amortie à coups de subventions en tous genres a créé une bombe à retardement en matière de défaut de paiement et de faillites. Grâce à un soutien étatique d’envergure, les défaillances d’entreprises ont certes reculé en France de -38 % en 2020 et continueront de baisser en 2021 (-17 %). Mais cette période de calme avant la tempête va s’interrompre brutalement. En 2022 les faillites devraient bondir de 40 %, ce que les experts du leader mondial de l’assurance-crédit qualifient de “début de normalisation” annonçant une forte recrudescence des défaillances d’entreprises en France.
Les effets pervers du “quoi qu’il en coûte”
On sait en effet d’ores et déjà que la stratégie du “quoi qu’il en coûte” a permis la survie d’un grand nombre d’”entreprises zombies” promises à la disparition avant la crise sanitaire et qui n’ont survécu que grâce aux mesures exceptionnelles de soutien dont elles ont bénéficié sans grand discernement de la part des autorités. On sait aussi que dans un environnement économique, fiscal et réglementaire toujours difficile, bien des entreprises viables vont avoir les plus grandes difficultés à rembourser les PGE (prêts garantis par l’État) qui leur ont été consentis en faisant exploser leur endettement.
De nombreux acteurs sont donc aujourd’hui en situation de grande fragilité réelle ou potentielle, ce qui va apparaitre au grand jour avec l’inévitable retrait des dispositifs qui ont maintenu les uns et les autres à flot. Au passage, le parachute financier déployé par l’État pour retarder la chute des plus fragiles aura fait grimper la dette publique à près de 120 % du PIB. À la détérioration de la santé financière des entreprises, s’ajoutent donc les problématiques de soutenabilité de la dette publique dont le poids croissant repousse à des échéances toujours plus lointaines le rééquilibrage de nos finances publiques.
Vers la stagflation ?
Autre danger pour les entreprises, mais sans doute par pour l’État dont cela pourrait alléger le fardeau, on assiste manifestement à un retour en force de l’inflation , prévisible depuis longtemps, mais toujours nié. L’hypothèse d’un réamorçage de la boucle prix-salaires devient de plus en plus crédible si on considère la pénurie actuelle de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs essentiels de l’économie française. Si on rapproche ce processus déjà bien enclenché de hausse des prix et la vague de faillites qui se profile avec ses effets de restriction d’une offre déjà fortement perturbée par la multiplication de difficultés logistiques, la stagflation devient une hypothèse de plus en plus crédible. Ce que cache le paravent des statistiques officielles est donc peu réjouissant. Les bonnes performances actuelles ne sont qu’apparentes.
Des remèdes qui seraient pires que le mal
Le seul espoir de redressement porte sur les entreprises alors qu’à l’approche des élections présidentielles certains ne rêvent que d’une chose : leur faire supporter ainsi qu’à leurs actionnaires la facture de la crise en rétablissant l’ISF, en supprimant la flat tax et en alourdissant leur fiscalité. Ce serait un grave contresens, mais notre pays est malheureusement coutumier de ces erreurs d’appréciation. Pour écarter ce noir scénario, il est impératif de faire de la question des faillites et de la fragilité de notre tissu productif un point central de la campagne à venir.
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