La sociologie vue par ses précurseurs
Les problématiques
- Pourquoi le projet sociologique est-il né au 19ème siècle ?
- Quels sont les apports respectifs de Tocqueville et de Marx ?
I – Le projet sociologique et le contexte dans lequel il est né
La sociologie a pour projet d’étudier scientifiquement la société en mettant à jour ses structures à un moment donné et en comprenant les mécanismes par lesquels elle se transforme et change. Ce projet est né au 19ème siècle au sein des sociétés qui ont été les premières à connaitre la révolution industrielle.
Le contexte intellectuel y est alors marqué par une tendance de fond à la rationalisation de la connaissance. Il s’agit de rendre compte du réel de manière logique et scientifique en s’affranchissant des considérations de type religieux ou métaphysique. Auguste comte (1798-1857), avec le positivisme, initie le premier une démarche s’en tenant strictement aux faits que l’observation permet d’établir. Inventeur du terme « sociologie » qu’il conçoit comme une sorte de physique sociale, il est aussi l’auteur de la loi des trois états qui distingue trois moments dans l’histoire de l’esprit humain.
Le contexte historique est celui du passage de la société traditionnelle à la société de marché. L’ordre social antérieur était caractérisé par la terre, la religion, la parenté, l’appartenance à des communautés de base (la famille élargie, le village, la corporation).
L’ordre social qui émerge accorde une place centrale à la propriété mobilière, aux individus et aux conflits entre les groupes sociaux.`Les premiers sociologues s’interrogent tous sur ce passage d’un ordre à un autre. Mais si les préoccupations de départ sont proches, les réponses sont multiples, comme le montre la confrontation des grandes synthèses opérées par les précurseurs de la sociologie que sont Tocqueville et Marx.
Elément à retenir
La loi des trois états (Auguste Comte) : Dans l’état théologique, les hommes trouvent aux phénomènes des explications surnaturelles. Dans l’état métaphysique ils se réfèrent à des abstractions (telles que les 4 éléments: l’eau, l’air, la terre et le feu). Dans l’état positif, par l’observation des faits, ils mettent en évidence des lois, soit des relations stables entre les phénomènes observés.
II – La société démocratique selon Alexis de Tocqueville (1805 – 1859)
Le passage d’un ordre social à un autre, Tocqueville l’interprète comme une étape d’un processus plus général tendant à l’égalisation des conditions. C’est ce processus qu’il appelle démocratie (cf De la Démocratie en Amérique , 1835, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856). Sous l’ancien régime les individus naissaient inégaux en droit. En revanche dans les société nées des révolutions américaine et française, ce n’est plus le cas. Entre les groupes sociaux les barrières se sont dissoutes. Les professions les plus en vue et les honneurs sont en droit accessibles à tous ou tendent à le devenir. D’où une lutte effrénée pour le prestige, le pouvoir et l’argent animée par ce qu’il appelle « l’obsession dévorante du statut ». Dans cette société il y a des riches et des puissants mais ils ne forment pas une classe en ce sens qu’il n’y a pas hérédité des positions. C’est donc la lutte non pas des classes mais des places.
S’il n’y a pas de classe, il y a toutefois des niveaux mais qui à terme sont voués à se rapprocher ; un nombre croissant d’individus finira par former un vaste groupe central offrant à ses membres des conditions comparables d’existence.
Le chemin que suivront les différentes nations n’est toutefois pas traçé à l’avance. Il peut conduire à la liberté ou à la tyrannie de la majorité : « Les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales ; mais il dépend d’elles que l’égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères »
Citation marquante (A. de Tocqueville, Oeuvres Complètes, T. I, 2ème vol, p. 103-104)
Je pense que les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté. Livrés à eux-mêmes, ils la cherchent, ils l’aiment et ils ne voient qu’avec douleur qu’on les en écarte. Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible. Ils veulent l’égalité dans la liberté, et s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage
III – La société de classes selon Marx (1818 – 1883)
Pour Marx une société se définit par son mode de production, concept qui articule deux niveaux : celui des forces productives, c’est-à-dire de l’ensemble des ressources dont dispose une société et celui des rapports de production qui sont des rapports de propriété sur les ressources
De ces rapports de production dérivent des rapports d’exploitation. De l’exploitation nait la lutte des classes, qui sont des acteurs collectifs dont les conflits transforment l’organisation économique et sociale. Pour définir une classe le premier critère avancé par Marx est sa place dans les rapports de production. Le second est le sentiment d’appartenir à un groupe ayant des intérêts communs, soit la conscience de classe dont l’éclosion n’est pas automatique. Marx cite l’exemple des paysans qui sont une classe « en soi » mais qui n’ayant pas conscience du rôle qu’ils pourraient jouer ne constituent pas une classe « pour soi » : ils sont « comme des pommes de terre dans un sac ».
Une classe n’existe que dans ses rapports conflictuels avec la classe qui lui est antagoniste. Dans son analyse du mode de production capitaliste (M.P.C.), Marx s’intéresse avant tout au conflit qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie et voue la société à la bipolarisation. La sociologie de Marx est donc une sociologie du conflit et une sociologie matérialiste. Dans la perspective marxiste, les sociétés modernes sont et continuent d’être des sociétés de classe : une classe supérieure y concentre les attributs du prestige, du pouvoir et de la richesse. Les positions sociales y sont marquées par l’hérédité. Mais cette inégalité de fait n’est pas fondée en droit . Elle est donc contestée, ce qui alimente la lutte des classes.
Eléments à retenir
- Loi de bipolarisation de la société : selon Marx au fur et à mesure que le mode de production capitaliste se développe toutes les catégories sociales situées entre le prolétariat et la bourgeoisie sont vouées à disparaitre
- Loi de paupérisation du prolétariat : au sein du M.P.C à l’accumulation du capital est inexorablement liée celle de la misère