La croissance, théories et modèles
I – Les orientations générales
Avec les marginalistes qui raisonnent en termes d’équilibre, la réflexion sur la croissance disparaît du champ de l’analyse économique. Après une longue éclipse, ce n’est qu’à partir de la fin des années 1930 qu’elle refait surface à travers la construction de modèles et en prenant deux directions :
- keynésienne avec le modèle d’Harrod et Domar
- néoclassique avec le modèle de Solow, puis ceux de la croissance endogène.
Cette réflexion s’organise autour de deux débats :
- un débat sur le caractère stable ou instable de la croissance,qui oppose le modèle d’Harrod et Domar à celui de Solow et est centré sur des questions telles que « Une croissance équilibrée est-elle possible ? », «Si oui, à quelles conditions ? » ;
- un débat sur le caractère exogène ou endogène de ses facteurs, qui oppose le modèle de Solow aux nouvelles théories de la croissance. Les sources de la croissance sont-elles extérieures à la sphère de l’analyse économique ou dépendent-elles des comportements des agents en matière d’innovation, d’éducation ou encore de mise en place des infrastructures ?
Pour répondre à ces questions, les théoriciens de la croisssance suivent une démarche spécifique qui relève du long terme et s’appuie sur la construction de modèles.
II – Les théories de la croissance ne traitent que du long terme
À long terme, l’analyse économique prend en compte les effets de l’accumulation des diverses formes de capital, alors qu’à court terme, ils sont ignorés. Ainsi, à court terme, l’investissement est considéré comme un élément de la demande qui ne modifie pas les conditions de l’offre. En revanche, à long terme, ce dernier joue aussi et surtout sur l’offre.
De cela, il découle que les théories de la croissance ne s’intéressent ni au chômage, ni à l’inflation, ou du moins les rejettent à la périphérie de l’analyse. Dans l’optique des théories de la croissance, on considère en général que les déséquilibres de court terme suscitent des fluctuations de l’activité qui n’ont pas d’incidence sur le rythme de croissance de long terme. Inversement, on suppose que la vitesse plus ou moins grande de la croissance n’affecte pas les évolutions de la conjoncture.
III – Elles s’appuient sur des modèles
Un modèle est un système abstrait de relations entre des phénomènes expliqués et des phénomènes explicatifs, soit entre des variables endogènes et des variables exogènes au modèle. Sa fonction est de représenter la réalité de façon simplifiée, mais formalisée par des paramètres et des équations. Les modèles sont construits sur la base d’hypothèses globales posées sur les phénomènes économiques à partir d’observations concrètes, dont on tire des énoncés d’ordre général par le procédé de l’induction. Ils font également appel à la déduction, en établissant des relations le plus souvent conditionnelles du type « si…, alors », par exemple « si le capital par tête augmente, alors qu’en résulte-t-il pour la production par tête ? ». Répondre à ce type de questions nécessite de supposer qu’aucun autre élément pouvant affecter le résultat n’a connu entre-temps la moindre variation. Cette hypothèse est celle de la clause « toutes choses égales par ailleurs ».
Aucun modèle ne prétend rendre compte de l’ensemble des mécanismes explicatifs de la croissance sur laquelle jouent de nombreux éléments mal élucidés, qu’ils soient d’ordre culturel, politique ou institutionnel. Il n’en reste pas moins nécessaire de se focaliser sur ce qui, aux yeux des économistes, paraît essentiel dès lors qu’on veut progresser dans la compréhension de processus complexes. Toutefois, ni les hypothèses sur lesquelles ils sont bâtis, ni les conclusions sur lesquelles ils débouchent ne doivent entrer en contradiction avec la réalité, elle-même conceptualisée de manière simplifiée sous la forme de quelques caractéristiques fondamentales ou faits stylisés.
IV – Les modèles doivent être conformes à quelques faits stylisés
Les « faits stylisés » (on dit aussi simplifiés) sont des relations entre grandeurs économiques, ou des évolutions d’une grandeur particulière, que la majorité des économistes s’accordent à observer dans la réalité. Ces relations sont en général décrites de manière sommaire (du type « A évolue dans le même sens que B », « l’augmentation de C est moindre que celle de D en longue période ») et concernent le plus souvent des tendances de long terme. Ainsi Nicholas Kaldor établit en 1961 que les théoriciens de la croissance doivent prendre en compte le fait qu’à long terme :
- La production par tête croît de manière continue.
- Le capital par tête est croissant.
- Le taux de rendement du capital est constant.
- Le ratio capital-produit est constant.
- Les pays ont des taux de croissance de la productivité différents.
Il apparait en outre que :
- Les parts du capital et du travail dans le revenu national ont longtemps été constantes (élément aujourd’hui discuté).
- Depuis le début des années 1970 le taux de croissance de la productivité ne cesse de décliner dans les PDEM passant de 3 à 1 % par an.
V – Tous les modèles intègrent une fonction de production
Au plan microéconomique, il s’agit d’une relation mathématique entre la production d’un bien et les intrants utilisés du type y = f(k,l). Cette relation permet de mesurer l’impact d’une variation quantitative de l’un ou de l’autre des intrants (travail sous ses différentes formes, capitaux de différentes natures) sur la production totale d’un bien.
Pour l’utiliser au niveau macroéconomique, il faut agréger les fonctions de production de toutes les entités productives opérant au sein de l’économie considérée. On obtient alors une relation du type : Y = F(K,L) où Y représente la production totale, K l’ensemble du capital mis en œuvre et L la totalité du travail utilisé pour obtenir cette production. Sommer les différents types de biens de capital utilisés alors qu’ils sont d’âge et de caractéristiques différentes ne va pas sans poser de délicats problèmes d’agrégation. Il en est de même pour le travail, puisqu’il faut additionner des heures de travail de nature très hétérogène.
Une autre source de difficultés porte sur la nature des relations supposées entre les facteurs. Les modèles de croissance d’inspiration keynésienne font appel à des fonctions faisant l’hypothèse qu’ils sont complémentaires : la proportion selon laquelle ils peuvent être utilisés est fixe (soit par exemple un chauffeur pour un camion). Les théories de la croissance d’inspiration néoclassique s’appuient, en revanche, sur des fonctions à facteurs substituables, dont la plus connue est celle de Cobb-Douglas