Conclusion
En conclusion, je voudrais évoquer la réaction d’un proche de Sartre, Michel Contat, après la publication du Spectateur Engagé. Dans un article du Monde, Contat estime que le dialogue entre Sartre et Aron n’a jamais cessé. On peut y lire ce qui suit : « ces deux pensées antagonistes malgré leur communauté de culture (la phénoménologie, le marxisme) sont les deux pôles entre lesquels se tend jusqu’au déchirement le débat intellectuel du siècle […] C’est dans nos têtes que […] s’affrontent les deux voix fraternellement ennemies, nos deux voix : celle qui énonçant le souhaitable, le désirable pose un projet indéfini et celle qui, lui opposant raisonnablement le possible, la réalité têtue, met en garde […] la gauche reste sa famille et, d’une certaine manière, elle l’est toujours restée, même quand il campa chez l’adversaire puisque c’est contre elle qu’il argumente comme pour lui dessiller les yeux […]Il est un analyste froid qui prend position, un partisan dépassionné ».
Fondamentalement je suis convaincu du fait qu’il vaut mieux avoir raison à la manière d’Aron que tort à la manière de Sartre. Réfléchir avec Aron c’est en effet réfléchir sur l’essentiel, sur ce qui est au fondement des attitudes politiques et des systèmes de pensée qui influencent les actions des hommes, sachant que parmi ces systèmes certains sont mortifères et ont fait la preuve des terribles dangers dont ils sont porteurs, alors que d’autres sont stériles et paralysent l’action.
Il me semble que nous devons nous inspirer de la posture d’Aron aujourd’hui, à un moment où la société française a besoin de réformes et doit faire évoluer le contrat social et le pacte républicain hérités de l’après-guerre mais qui manifestement ne sont plus adapté aux exigences de notre temps.
Sa méthode de pensée est une antidote indispensable face au retour des idéologies qu’elles soient ultranationalistes, populistes, altermondialistes ou fondamentalistes. Tout ce qu’il a dit sur le soviétisme est transposable aux régimes et aux mouvements inspirés par le fanatisme religieux.
Aron pour ne pas déraisonner, pour garder son bon sens et rester intelligent.
Pour terminer une dernière citation figurant sur la 4ème de couverture du numéro de la revue Commentaire qui lui est consacré : «Entre la tentation totalitaire et les aspirations libérales, la bataille continue, elle se poursuivra aussi loin devant nous que porte notre regard. Les libertés dont nous jouissons gardent la fragilité des acquis les plus précieux de l’humanité ».
Sources
- Le Spectateur engagé, Julliard, Paris, 1981
- mémoires d’Aron, Julliard, Paris, 1983
- Le n° 28/29 de la revue Commentaire, Julliard, Paris, 1985
- Le siècle des intellectuels, Michel Winock, Seuil, Paris, 1997 et 2015
Ce qu’on devrait lire
- Les étapes de la pensée sociologique et en priorité les chapitres sur Tocqueville et Weber, Gallimard, Paris, 1967
- Les 18 leçons sur la société industrielle, Gallimard, Idées, Paris, 1962
- L’essai sur les libertés, Calmann-Lévy, Paris, 1965, qu’il considère comme un de ses livres les plus philosophiques
- Le spectateur engagé, Julliard, Paris, 1981