I- Un parcours exemplaire
I- Un parcours exemplaire
Les années de formation
Revenir sur la vie de cette très grande figure intellectuelle que fut Raymond Aron est l’occasion d’une plongée dans l’histoire de ce siècle tragique que fut le 20ème siècle
En 1928, brillant sujet de l’école normale supérieure, il est reçu major à l’’agrégation de philosophie. La même année, comme le dit Aron, Sartre « éprouve le besoin » de se faire recaler. Immédiatement après ce succés, il traverse une crise intérieure, presque de désespoir. Il est écrasé par le certitude d’avoir perdu des années à n’apprendre selon ses propres dires « presque rien ». Il vit une sorte de révolte contre l’enseignement qu’il a reçu et qui ne l’a pas préparé à comprendre le monde et la société dans laquelle il vit. Il se demande sur quoi faire de la philosophie et se répond « sur rien, ou bien faire une thèse de plus sur Kant », ce qu’il ne l’enthousiasme pas du tout.
Au printemps 1930 il décide de quitter la France et son milieu pour partir à la rencontre des philosophes et des sociologues allemands . Assistant pendant 18 mois à l’université de Cologne, il est ensuite en poste à Berlin. Pendant ce séjour de 3 ans il découvre une Allemagne déchirée par la marche au pouvoir d’Adolf Hitler. Frappé par la violence nationaliste des allemands, il prend tout de suite conscience des risques d’une nouvelle guerre, le problème n°1 devenant de savoir comment l’éviter. A Berlin il va aux réunions publiques, il écoute Goebbels, il écoute Hitler. Hitler, d’emblée, lui inspire la peur et l’horreur ; il dit en avoir perçu presque tout de suite le satanisme, ce qui, ajoute-t-il n’était pas évident pour tout le monde au début.
Or face à Hitler, ses maîtres, que ce fussent Alain ou Brunschvicg ne faisaient pas le poids. Alain est un chantre du pacifisme ; Brunschvicg est à la Sorbonne le gardien du temple néo-kantien.
En Allemagne, il lit la phénoménologie de l’esprit de Husserl ainsi que le premier Heidegger. Il approfondit sa connaissance de l’œuvre de Marx et est influencé par Karl Mannheim. Il découvre les philosophes de l’histoire et en particulier Max Weber.
Chez ce dernier, il trouve ce qu’il cherchait c’est à dire un homme qui, dit-il, «avait à la fois l’expérience de l’histoire, la compréhension de la politique, la volonté de la vérité et, en point d’arrivée, la décision et l’action ». Il trouve chez Weber les deux impératifs liés qui guideront toute sa vie : rechercher la vérité de la réalité d’une part, agir de l’autre.
Ce voyage en Allemagne l’enrichit donc au plan intellectuel. Il change aussi sa compréhension de la politique. L’arrivée au pouvoir de Hitler, soutenu par les masses, lui fait voir l’irrationalité fondamentale des mouvements de foule, l’irrationalité de la politique et la nécessité pour faire de la politique de jouer des passions irrationnelles des hommes.
Il en déduit que pour penser la politique il faut être aussi rationnel que possible, mais que pour en faire il faut inévitablement utiliser les passions des autres hommes. L’activité politique est donc impure. Il préfère la penser.
Dès cette époque, il trace l’itinéraire intellectuel qu’il suivra toute sa vie. Il décide d’être celui qui prend parti sur les événements tout en les analysant objectivement. Il décide d’être un spectateur engagé. Spectateur de l’histoire se faisant, il s’agit d’être aussi objectif que possible envers elle. En même temps, il s’agit de s’engager, de prendre parti, par la parole et par les mots. Sa thèse a pour sous-titre « les limites de l’objectivité historique » ; il l’écrit précisément pour montrer les limites dans lesquelles on peut être à la fois un spectateur et un acteur.
Dans le combat des démocraties contre le totalitarisme nazi, il reste toutefois, dans un premier temps surtout un spectateur. L’engagement viendra plus tard, avec la défaite, en 1940.
En effet, de retour à Paris en 1933, il ne cherche pas à témoigner politiquement et ne participe que de loin au mouvement antifasciste. En tant que juif il pense qu’on peut le suspecter de ne pas être objectif.
Il considère aussi que les quelques textes qu’il a écrits pendant son séjour en Allemagne sont détestables. Voici ce qu’il dit à ce sujet : « Ils sont détestables parce que d’abord je ne savais pas observer la réalité politique ; en plus je ne savais pas distinguer de manière radicale le souhaitable et le possible. Je n’étais pas capable d’analyser la situation sans laisser paraître mes passions ou mes émotions, et mes émotions étaient partagées entre ma formation, ce que j’appelle « l’idéalisme universitaire », et la prise de conscience de la politique dans sa brutalité impitoyable ».
Si le commentateur à chaud n’est pas encore prêt, il apparaît aussi que l’intellectuel n’a rien produit. La priorité du moment est d’écrire et de publier.
En 1935 parait un livre intitulé La Sociologie Allemande contemporaine , rapporté de son séjour en Allemagne. En 1938 il publie son premier grand livre qui a pour titre : Introduction à la Philosophie de l’Histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique.
Raymond Aron dit avoir vécu les années 30 avec le désespoir de la décadence française, avec le sentiment que la France s’enfonçait dans le néant. Pour lui, « La France des années 30 c’était la France décadente par excellence. Au fond elle n’existait plus ; elle n’existait que par ses haines des français les uns contre les autres ».
Il ne peut répondre à la question de savoir pourquoi les choses sont ainsi mais il vit intensément cette décadence, avec une tristesse profonde, tout en étant heureux avec sa famille, avec ses amis et dans son travail.
A l’époque ses amis les plus proches se nomment Eric Weill, Alexandre Koyré, Alexandre Kojève, André Malraux, Jean Paur Sartre, Robert Marjolin. « Jamais je n’ai vécu dans un milieu aussi éclatant d’intelligence et aussi chaud d’amitié que dans les années 30 et jamais je n’ai connu le désespoir historique au même degré car, après 1945, la France était transformée »
Il lit le livre de Boris Souvarine qui déjà dénonce les crimes de Staline, mais il ne met pas Hitler et Staline sur le même plan. Il n’est libéré dans son regard et son jugement sur l’URSS que par la signature du pacte germano-soviétique : « La vérité c’est qu’il est difficile de penser qu’on a deux menaces sataniques simultanément avec la nécessité d’être allié avec l’une des deux. Ce n’était pas plaisant mais c’était la situation historique ».
La seconde guerre mondiale
Survient la drôle de guerre, la bataille de France et le désastre. Comme les autres il est emporté avec sa famille sur les routes par l’exode civil en éprouvant un sentiment de honte et d’indignité. Le 22 juin il se trouve du côté de Bordeaux ; l’armistice est signé. Il lui est presque impossible de ne pas partager le lâche soulagement général.
En analyste rationnel il mesure à quel point dans toutes les guerres il y a une donnée démographique ; la 1ère guerre a été presque mortelle pour la France, elle n’aurait pas supporté une deuxième saignée.
Et toujours il a le goût du paradoxe et un sens aigu des ironies de l’histoire.
Voilà ce qu’il dit sur la défaite : « La rapidité même de la défaite a rendu possible le relèvement démographique, économique et politique de la France ; je le pense très profondément bien que ce ne soit pas très agréable de dire qu’on a été sauvé par un désastre ».
Il considère que l’armistice est une réplique au pacte germano-soviétique. Encore une ironie de l’histoire : « Au bout du compte le pacte était une invitation de Staline au français de se battre jusqu’au dernier pour l’Union Soviétique, et les français ont répondu galamment pourquoi ne feriez vous pas la même chose pour nous. Bien entendu ils ne l’ont pas pensé mais ils l’ont fait »
Il part à Londres sans avoir entendu l’appel du 18 juin et s’engage dans une compagnie de chars. Contacté par l’état major du Général de Gaulle, il participe à la création d’une revue qui a pour titre « La France Libre ».
C’est un tournant de sa vie. Sa destinée en est transformée.
Dans le premier numéro, il publie un article analysant la défaite dont le manuscrit a été lu et approuvé par Charles de Gaulle qui en marge annote plusieurs passages de très professoraux B au crayon rouge.
A Londres, il est gaulliste à sa manière et se défie de l’entourage du chef. Il pense que la propagande gaulliste culpabilise à tort les cadres de l’armée et de la fonction publique restés sur le territoire national. Il lui semble qu’en profondeur Pétain et de Gaulle avaient les mêmes objectifs, que leurs querelles n’étaient pas inexpiables et que la majorité des français pensent de même en rêvant de la réconciliation des deux hommes.
Il est exaspéré par l’héroïsme facile des français dans la tranquillité de Londres : « C’était trop facile d’être héroïque à Londres ».
Vient le temps de la libération et de la reconstruction de la France. Le pays sort de la phase de décadence pour entrer dans celle du redressement. Revenu à Paris, Aron est attiré par l’action politique. Il refuse un poste universitaire à Bordeaux, effectue un bref passage au cabinet d’André Malraux, ministre de l’information puis entre au journal Combat en 1946. En mai 1947 les ministres communistes quittent le gouvernement. On entre dans la guerre froide.
Au même moment Aron quitte Combat et, à 42 ans, entre au Figaro. Il dit n’avoir pas choisi la droite mais avoir choisi entre le Monde et le Figaro. Au Figaro, pendant 30 ans, il traite régulièrement des relations internationales et des questions économiques. Chaque jour il s’engage dans le combat pour la liberté et la vérité avec pour sources d’information « les mêmes que tout le monde : les journaux » ainsi qu’il le précise en ajoutant : « Je ne prétendais pas réaliser des scoops journalistiques, j’essayais d’analyser une situation. Mes analyses étaient une réflexion, une réflexion sur les évènements ».
Faute de temps je vais me limiter à évoquer trois facettes de son engagement dans la mêlée des évènements : la guerre froide, l’Algérie et mai 68
Raymond Aron et la guerre froide
Sur le conflit est-ouest, outre ses chroniques, il publie en 1948 et 1951 deux livres où il analyse la nouvelle situation du monde créée par la guerre froide, qu’il préfère d’ailleurs qualifier de paix belliqueuse. A travers ses écrits, il s’engage résolument dans le combat des démocraties contre le totalitarisme soviétique. Il approuve et soutient sans faille la politique américaine qu’il s’agisse du blocus de Berlin ou de la guerre de Corée, ce qui le classe dans le camp des anticommunistes à une époque « où tous les anticommunistes sont des chiens » selon Sartre. Le clivage politique sur l’URSS conduit à la rupture de leur amitié et, en 1948, ils se brouillent définitivement. A un moment où Sartre s’affiche en compagnons de route du PCF, Aron est ouvertement anti-stalinien avant la plupart des autres intellectuels français. Au soir de sa vie il en fait son plus grand motif de fierté.
La guerre froide a en effet divisé les intellectuels français et opposé Aron qui a choisi son camp à Sartre mais aussi à Camus ou à Merleau Ponty qui refusent de choisir.
En 1955 il publie à leur intention L’Opium des Intellectuels. L’attitude envers l’URSS est à ses yeux la question majeure. Il y pense l’union soviétique avec ses camps de concentration, avec son régime despotique, avec sa volonté expansionniste. Il explique qu’elle n’est pas devenue ce qu’elle est par accident ou par la faute de Staline seul, mais parce qu’à l’origine il y a une conception du mouvement révolutionnaire qui devait nécessairement aboutir à ce qu’elle est devenue. Ce qui est en question c’est le mouvement socialiste lui-même. On touche à l’essentiel. Pour Aron il est naturel d’être anti-communiste quand on est pas communiste, puisque les communistes eux mêmes disent que ceux qui ne sont pas avec eux sont contre eux. En revanche, Sartre, sans être communiste, considérait qu’il était moralement coupable d’être contre le parti de la classe ouvrière. Il n’ignore pourtant pas la réalité des camps et de leurs millions de prisonniers comme en témoigne un de ses éditoriaux des temps modernes. Raymond Aron constate que, fascinés par les grands mythes que sont le prolétariat, le socialisme, la révolution, la société sans classe, la gauche avec toute une fraction des intellectuels français a refusé d’accepter les conséquences de la rupture entre l’est et l’ouest. Aron quant à lui les a tirées en choisissant le camp de la démocratie parlementaire, tout en reconnaissant que ce régime ne suscite pas l’enthousiasme. Le seul argument est celui de Churchill. Mais il n’est guère en accord avec l’esprit du temps. Evoquant l’attitude de Raymond Aron face à la guerre froide, Michael Winock remarque qu’il « aurait pu comme tant d’autres jouer les Salomon, voir les choses de Sirius, évaluer les vertus et les vices des deux antagonistes, conclure en moraliste sur un choix balancé. Il est au contraire l’un des tout premiers en France à formuler sans équivoque les données de la Guerre Froide et l’obligation politique de choisir son camp
Le Grand Schisme, essai de synthèse sur la situation politique mondiale et sur les problèmes français, imprimé en juillet 1948, atteste la vigueur de l’engagement. La clarté de l’exposé, soutenue par des formules appelées à la postérité, mais surtout la détermination de l’auteur frappent encore le lecteur d’aujourd’hui. Alors que la lutte idéologique favorise de part et d’autre une littérature souvent délirante, l’auteur surprend aussi par un certain ton, qui n’est pas tellement d’époque – celui de la modération. Aron, cependant, démontre qu’un esprit modéré ne signifie pas un caractère faible, qu’il relève moins d’un tempérament que d’une expérience, d’une culture acquise, d’une passion dominée. Le Grand Schisme révèle la combinaison de la mesure dans les mots et de la fermeté dans la conduite.
On peut y lire l’ébauche de ce que sera, neuf ans plus tard, L’Opium des Intellectuels, pamphlet célèbre contre les intellectuels de gauche.
Ces intellectuels de gauche, dont Aron est si proche, à tout le moins par sa formation normalienne et philosophique, il les accuse de trahir leurs propres valeurs en se laissant subjuguer, à la fois par une doctrine du 19ème siècle que l’histoire a démentie, par un Etat dont la nature totalitaire devrait leur être odieuse et par un parti qui en est le représentant et l’exécutant dans nos frontières. Contrairement à eux, Aron assume sans fausse honte l’anticommunisme – ce qui le classera à jamais aux yeux d’un grand nombre de ses pairs comme un « chien de garde » de la bourgeoisie, mais qui lui assurera une légitimité d’analyste politique ne cédant ni aux émotions qui aveuglent ni aux affections qui étouffent l’esprit critique. Non qu’il juge le bloc occidental comme le camp du souverain Bien, mais parce qu’il ne nourrit aucun doute sur la nature mensongère et tyrannique du communisme stalinien.
Cette lutte idéologique – non contre Marx, mais contre le marxisme, le marxisme-léninisme, et plus encore contre l’aveuglement des intellectuels de gauche sur les réalités de l’Union Soviétique – se double d’un choix proprement politique : l’abstention est interdite ; il faut assumer ses refus.
A ce propos un passage de l’opium des intellectuels, p 302, me semble éclairant sur sa manière de voir : « Nous n’avons pas de doctrine ou de credo à opposer à la doctrine ou au credo communiste, mais nous n’en sommes pas humiliés, parce que les religions séculières sont toujours des mystifications. Elles proposent aux foules des interprétations du drame historique, elles ramènent à une cause unique les malheurs de l’humanité. Or la vérité est autre, il n’y a pas de cause unique, il n’y a pas d’évolution unilatérale. Il n’y a pas de Révolution qui, d’un coup, inaugurerait une phase nouvelle de l’humanité. La religion communiste n’a pas de rivale, elle est la dernière de ces religions séculières qui ont accumulé les ruines et répandu des flots de sang.[…] Mais, réclamer des anticommunistes une foi comparable, exiger d’eux un édifice, aussi compact, de mensonges, aussi séduisants, c’est les inviter au fascisme. Car ils ont la conviction profonde qu’on améliore pas le sort des hommes à coups de catastrophes, qu’on ne promeut pas l’égalité par la planification étatique, qu’on ne garantit pas la dignité et la liberté en abandonnant le pouvoir à une secte à la fois religieuse et militaire. Nous n’avons pas de chanson pour endormir les enfants»
La Guerre d’Algérie
Pour ce qui est des évènements d’Algérie, l’analyse qu’il en fait et les conclusions qu’il en tire sont typiques de sa manière. Convaincu du fait que « La politique de la France ne peut pas être déterminée par un million de français d’Algérie », il publie en 1957 La tragédie Algérienne. Dans ce pamphlet, il s’efforce de prendre le problème tel qu’il est, c’est à dire porteur de contraintes objectives auxquelles la France ne peut échapper qu’on le veuille ou non . Avant tout le monde il affirme que l’indépendance de l’Algérie est inéluctable et qu’il faudra bien s’y résoudre. Il appuie sa démonstration sur des arguments d’ordre strictement économiques et démographiques.
A droite, on le taxe bien sûr de défaitisme et d’abandon. A gauche, on s’indigne qu’il ne fonde pas son analyse sur des positions morales, on lui reproche de ne pas condamner le colonialisme en tant que tel, de ne pas employer le langage de l’idéologie.
Il refuse de signer le manifeste des 121, pétition d’intellectuels hostiles à l’Algérie Française appelant à la désertion les appelés du contingent ; elle lui semble être le comble de l’irresponsabilité, les signataires incitant les jeunes recrues à prendre tous les risques mais n’en prenant eux-mêmes aucun. Il refuse aussi d’écrire, comme il le dit, « des choses littéraires sur l’horreur et la torture » et laisse le soin des protestations morales aux belles âmes. Sa prise de position mécontente donc tout le monde et pendant plusieurs mois la direction du Figaro lui demande de ne plus rien écrire sur l’Algérie.
En 1980 son commentaire reste très sobre : « A partir du moment où j’avais écrit ce que je pensais de l’Algérie à une époque où personne ne le disait, j’avais fait ce que je pouvais faire ».
Mai 68
En Mai 68 aussi, Aron détonne dans le paysage intellectuel français par ses prises de position.
Sartre est accueilli en héros dans le grand amphi de la Sorbonne ; il y proclame que le mouvement de mai va réaliser le vieux rêve d’une liaison du socialisme et de la liberté, qu’une nouvelle société est en train de naître et qu’elle réalisera la pleine démocratie.
A la même époque, Maurice Clavel, enthousiaste, soutient avec lyrisme les gauchistes dans le Nouvel Observateur et dans Combat. Comme le remarque Winock, il ne fait pas dans la dentelle, mais dans l’Absolu, dans l’âme, dans le cosmique. Il récuse Descartes, crie sa foi en Dieu avec des traits de flamme, et bénit ces étudiants qui refusent de devenir des cadres. Avec un ton de prêcheur de parousie, il s’en remet aux contestataires et au Saint Esprit, se réclame de Jeanne d’Arc et de Cohn Bendit.
Dans ce tumulte, Aron garde la tête froide et en appelle à la raison. Pour lui mai 68 est un « psychodrame », ou comme le dit son ami Kojève « un ruissellement de connerie ». Il s’efforce de faire voir les choses pour ce qu’elles sont, à savoir une crise de l’université qui appelle une réforme et des solutions rationnelles.
Il ne craint pas de s’exposer ; dans le figaro du 11 juin il invite tous ceux qui le liront et trouveront dans ses propos l’écho de leurs inquiétudes à lui écrire. Il lance un appel à la défense de l’université en crise.
« Peut-être le moment est-il venu, contre la conjuration de la lâcheté et du terrorisme, de se regrouper, en dehors de tous les syndicats, en un vaste comité de défense et de rénovation de l’université française ». Le comité est constitué dès le 21 juin.
Contre Aron, Sartre défend un enseignement pour la masse et non pour l’élite. Dans le Nouvel Obs il déclare que « cela suppose qu’on ne considère plus, comme Aron, que penser seul derrière son bureau – et penser la même chose depuis 30 ans – représente l’exercice de l’intelligence. Cela suppose surtout que chaque enseignant accepte d’être jugé et contesté par ceux auxquels il enseigne, qu’il se dise : « Ils me voient tout nu ». […] Il faut, maintenant que la France entière a vu de Gaulle tout nu, que les étudiants puissent regarder Aron tout nu. On ne lui rendra ses vêtements que s’il accepte la contestation ». Aron n’a pas cru bon de répondre à une attaque aussi peu digne d’un philosophe, mais a contribué à la réforme de l’université menée par Edgar Faure.