EC 1 – Sujets pour s’entrainer
Table des matières
Thème 1 – Le cadre général des activités économiques et sociales
Première subdivision : Population et travail. Principes élémentaires d’analyse démographique
Deuxième subdivision : La comptabilité nationale et les grandes fonctions économiques
Troisième subdivision : Les différentes formes d’organisation économique et sociale
Thème II – La croissance économique au 19ème siècle
Première subdivision : la Révolution industrielle et le Marché
Deuxième subdivision : la Naissance de l’économie politique
Thème III – Croissance et développement du capitalisme au 20ème siècle
Première subdivision – Les mutations de la croissance depuis 1914
Deuxième subdivision – Les théories de la croissance
Troisième subdivision – Croissance et transformations de l’appareil productif
Quatrième subdivision – L’entreprise et le développement économique
Thème IV- Fluctuations et crises
Première subdivision – Les fluctuations de la croissance et les crises économiques
Deuxième subdivision – Les mouvements de longue durée
Thème V – Le financement de l’économie
Première subdivision : la monnaie et le crédit
Deuxième subdivision : Les circuits de financement de l’économie dans les grands pays industrialisés
Thème VI – Le rôle de l’Etat dans la vie économique et sociale
Première subdivision : Analyse économique du rôle et des fonctions de l’Etat.
Sujet développé n° 8 : Intérêt et limites de l’intervention de l’Etat. ESSEC, épreuve écrite
Thème VII : Les différentes formes de structures sociales.
Première subdivision : Eléments de sociologie : objet et méthodes ; les grands courants d’analyse
Deuxième subdivision : Principes et critères des classifications sociales
Thème 1 – Le cadre général des activités économiques et sociales |
Cette partie introductive sert de pont entre ce que vous avez appris en terminale et ce que vous allez apprendre en classe préparatoire.
Conseils– Ne vous débarrassez surtout pas de vos cours de SES de première et de terminale. Tout ce qui a été vu pendant ces deux années est supposé être su. C’est ce socle de connaissances que cette partie a pour objet de réactiver et d’inscrire dans la perspective de la classe préparatoire et des concours. – Ne négligez surtout pas ce premier thème. Il est indispensable de bien l’assimiler pour réussir son entrée en classe préparatoire. Par ailleurs son contenu est défini de manière très large ce qui fournit aux examinateurs de nombreuses opportunités de sujets à l’oral (mais plus rarement à l’écrit). – Procurez-vous un carnet de notes de format pratique, comme ceux que propose la marque moleskine. Prenez l’habitude d’y noter des données chiffrées illustrant les différents points du programme, ainsi que des citations dès lors qu’elles vous semblent pertinentes et exploitables dans un devoir. |
Elle se subdivise en trois points abordant des questions qui n’ont pas de rapports évidents entre elles, si ce n’est de relever de la boite à outils que tout élève entrant en classe préparatoire doit impérativement maîtriser dès le premier mois de son parcours.
Programme de travail
Subdivisions du thème |
Sujet traité |
1 – Population et travail. Principes élémentaires d’analyse démographique | Sujet N° 1 : Comment la démographie a – t – elle déterminé l’évolution de la population active en France depuis 1945 ? (E.S.C.P., sujet d’oral) |
2 – La comptabilité nationale et les grandes fonctions économiques | Sujet N° 2 : La comptabilité nationale est-elle un bon outil d’analyse économique ? (H.E.C., sujet d’oral) |
3 – Les différentes formes d’organisation économique et sociale | Sujet N° 3 : Pourquoi l’économie de marché a-t-elle triomphé de l’économie planifiée ? (ESCP, sujet d’oral) |
Première subdivision : Population et travail. Principes élémentaires d’analyse démographique |
Ce premier point porte sur le lien entre population et travail, c’est-à-dire entre démographie et économie. L’étude de la population relève de la démographie. Dans ce domaine vous devez impérativement connaître tous les indicateurs significatifs. Il s’agit en particulier :
- de l’indice conjoncturel de fécondité (2 enfants par femme pour la France métropolitaine en 2007)
- et de l’espérance de vie à la naissance (84,4 ans pour les femmes et 77,5 ans pour les hommes en 2007 dans notre pays selon les données provisoires de l’INSEE, contre respectivement 84,1 et 77,2 en 2006).
De même, vous devez maîtriser les principaux concepts, et notamment celui de la transition démographique.
L’analyse économique, de son côté, s’intéresse au travail dont, avec le capital, elle fait un des deux facteurs de production.
Le programme vous invite ici à réfléchir sur les interactions entre ces deux ordres de phénomènes et ces deux registres de la connaissance. Le sujet suivant vous permettra de mieux comprendre ce qu’on attend de vous.
Sujet développé n° 1 : Comment la démographie a – t – elle déterminé l’évolution de la population active en France depuis 1945 ? (E.S.C.P., sujet d’oral) |
Affronter les termes du sujet |
La démographie est la science de la population. Plus précisément elle analyse mathématiquement les populations, leur état à un moment donné et leurs mouvements généraux (natalité, mortalité, nuptialité, divortialité, migrations).
La population active (PA) se compose des personnes déclarant exercer ou rechercher une activité rémunérée ; elle comprend donc la population active occupée et la population au chômage (Population Sans Emploi à la Recherche d’un Emploi ou PSERE selon la terminologie de l’INSEE).
Elle est le maillon qui s’intercale entre la population totale, dont l’étude relève de la démographie, et le travail dont l’analyse relève de la science économique. Dans les termes de cette dernière la population active constitue l’offre de travail. Avec le capital, elle est un des deux grands facteurs nécessaires à la production.
Depuis 1945, la situation démographique de la France a considérablement évolué. Notre pays a successivement connu une période de forte reprise de sa natalité et de sa fécondité, puis un processus de vieillissement de sa population. Globalement, cette dernière a augmenté de plus de 50% depuis le milieu du 20ème siècle. Dans le même laps de temps, la progression du nombre des actifs a été nettement moindre. Elle n’est donc pas un simple décalque de celle de la population et obéit à une logique propre.
Répondre aux attentes des examinateurs |
La question posée est assez pointue. Pour la traiter il faut partir du fait que la population totale n’est pas directement partie prenante à la production. Seule une fraction des habitants d’un pays travaillent ou cherchent à le faire. Cette fraction constitue la population active. La question est de savoir comment on passe d’une population à l’autre. Il faut donc déterminer selon quels processus, sous l’influence de quels facteurs, un habitant devient un actif. Il faut aussi s’interroger sur les tensions qui peuvent naître d’une discordance entre les évolutions démographiques et celles de l’offre de travail.
Trouver les articulations du raisonnement |
La démographie conditionne les effectifs de la population active, mais avec un décalage dans le temps. Un pays peut donc se retrouver confronté, alors même que sa natalité se redresse, à une pénurie durable de main d’œuvre rendant nécessaire le recours à l’immigration.
Entre démographie et population active le lien est donc décalé.
S’intercalant entre population et travail, d’autres éléments sont à l’œuvre. La taille et la structure de la population active dépendent également des comportements d’activité des femmes, de la durée des études ou encore des dispositions réglementant la durée du travail.
Entre démographie et population active le lien est donc indirect.
Ces facteurs démographiques et sociaux, en se combinant, donnent naissance à des processus qui marquent durablement la société française, qu’il s’agisse de l’immigration ou du chômage.
Entre démographie et population active le lien est donc problématique.
C’est une piste que l’on pourra exploiter en conclusion.
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
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Les mercantilistes, tels que Jean Bodin, liaient la puissance politique du souverain et la prospérité économique de la nation à l’abondance de la population.
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Les auteurs classiques pensaient que le nombre des hommes était déterminé par les besoins de main d’œuvre. Ils inversaient donc le lien entre population et travail en faisant de la première une résultante du second.
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Les auteurs néo-classiques ont initié un raisonnement en termes de facteurs de production en mettant sur le même plan le travail (c’est-à-dire la population active) et le capital, chaque facteur étant rémunéré selon sa productivité marginale
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Alfred Sauvy, fondateur de l’INED, a analysé en détail les interactions entre population et travail. Il a en particulier montré le rôle néfaste joué par la limitation à 40 heures de la semaine de travail au moment du Front Populaire en la qualifiant de « lourd contresens qui a fait tout perdre »
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
« Il n’y a ni richesse ni force que d’hommes ». Cette citation bien connue de Jean Bodin, auteur mercantiliste du 16ème siècle, exprime déjà très clairement le fait que la population d’un pays est le soubassement de son économie. Par la suite d’autres analyses ont établi d’étroites corrélations entre les données démographiques et économiques. Elles n’en connaissent pas moins des évolutions qui n’ont pas les mêmes ressorts. C’est ce qu’illustre le cas de la France depuis 1945 montrant que la croissance de la population active n’est pas le simple reflet de celle de la population totale.
Définir une problématique et annoncer le plan
Dès lors, on est fondé à se demander comment s’exerce l’influence des facteurs démographiques sur les effectifs de la population active, quels autres éléments entrent en ligne de compte et quelles sont les conséquences induites par les discordances entre les deux ordres de phénomènes.
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – L’évolution de la PA est corrélée à celle de la population totale. Mais cette corrélation est imparfaite.
Population active et population totale sont corrélées
Au sein de la population en âge de travailler, c’est-à-dire de l’ensemble des personnes âgées de 15 ans et plus, la population active regroupe les personnes ayant un emploi et les chômeurs. Les autres personnes (étudiants à plein temps, hommes et femmes au foyer, retraités, préretraités, personnes en incapacité de travailler…) constituent la population inactive. Ses effectifs dépendent en grande partie des facteurs démographiques. Une variable influente est la fécondité qui conditionne le nombre de ceux qui seront disponibles pour contribuer à la production. Cette influence ne s’exerce qu’à terme, à l’issue d’un décalage d’au minimum 15 ans. Intervient également le solde migratoire, c’est à dire la différence entre le nombre de personnes qui sont entrées sur le territoire et le nombre de personnes qui en sont sorties au cours de l’année. Ce solde joue sur la population active directement, puis par le biais de la descendance des immigrés. Les données sur la mortalité, pour leur part, déterminent l’espérance de vie aux âges élevés. Leur incidence est donc restreinte.
Mais cette corrélation est limitée
Jean Fourastié, dans son ouvrage sur les 30 glorieuses, remarque que de 1946 à 1975 la population totale de la France métropolitaine est passée de 40,5 millions à 52,7 millions d’habitants. Dans le même temps, le nombre des actifs n’est passé que de 20,5 à 21,8 millions. La population active a donc progressé beaucoup moins vite que la population totale. Entre 1975 et 2007 c’est l’inverse : la population totale ne progresse que de 16% (pour s’élever à 61,5 M au 1/1/2007) alors que la population active augmente de près de 28% (soit 27,8 M à la même date).
Des facteurs autres que démographiques sont donc à l’œuvre.
II – L’évolution de la population active dépend également des comportements d’activité
Depuis 1945 les comportements d’activité ont beaucoup changé
Outre les facteurs démographiques qui déterminent la structure de la population par âge et par sexe, les ressources en main d’œuvre dépendent de l’évolution des comportements d’activité, évolution que l’on mesure par le calcul des taux d’activité.
Depuis 1945 celui des plus jeunes n’a cessé de baisser. Cela s’explique par l’allongement de la durée des études selon un processus qui s’essouffle depuis la fin des années 1990.
Le taux d’activité des seniors a également beaucoup diminué, en lien avec la législation sur les retraites et les préretraites. La réforme des retraites et la limitation des préretraites devraient également interrompre le mouvement.
En revanche, celui des femmes a considérablement augmenté. Après un point bas à 33% en 1962, le taux d’activité des femmes est remonté pour atteindre aujourd’hui 46% du nombre des actifs, mais le phénomène semble désormais être en voie de ralentissement.
Les comportements d’activité sont influencés par la conjoncture
Une situation favorable sur le marché du travail incite des personnes se déclarant jusqu’alors inactive à rechercher, puis exercer, une activité et, par là, à grossir les effectifs de la population active. Ce phénomène est connu sous le nom de flexion des taux d’activité. La montée du chômage joue en sens inverse en incitant des personnes découragées à se retirer du marché du travail. On peut d’ailleurs envisager le lien entre démographie et économie dans l’autre sens en considérant avec Easterlin que la situation de l’emploi à laquelle se trouve confrontée une génération conditionne ses comportements démographiques et donc les effectifs de la génération suivante. Cette approche cyclique s’applique assez bien aux cas de la France et des Etats-Unis au 20ème siècle.
Conclure |
Résumer et répondre
La population active n’est qu’en partie déterminée par la démographie. Interviennent également les évolutions des comportements d’activité.
Ouvrir
Obéissant à des logiques différentes les deux évolutions peuvent ne pas être en phase
Pendant les « trente glorieuses » cela a généré une pénurie de main d’œuvre. Cette pénurie a poussé à la recherche systématique de gains de productivité et été favorable à l’immigration de main d’œuvre dans le cadre d’une organisation dite fordiste de la production.
Mais dans la période suivante, la société française s’est retrouvée confrontée à l’arrivée de classes nombreuses sur le marché du travail à un moment ou sa croissance décélérait fortement. Les paramètres démographiques se sont alors conjugués avec l’entrée massive des femmes dans la vie active pour contribuer à aggraver le problème du chômage. Dans le même temps, le déclin de l’organisation scientifique du travail modifiait complètement la donne en matière d’immigration de travail à laquelle il est mis fin dès 1975.
Aujourd’hui, les données démographiques jouent en sens inverse, avec plus de sorties que d’entrées sur le marché du travail. On assiste en effet à l’arrivée à l’âge de la retraite des premières générations du baby boom et à leur remplacement par des générations moins nombreuses.
On peut se demander ce qui en résultera à terme pour la croissance et l’emploi dans le contexte d’une société vieillissante dont la population active devrait rapidement stagner. Cela pose également en termes nouveaux la question du recours à l’immigration.
Réfléchir sur des sujets voisins |
Les sujets ci-dessous proposés à l’oral de l’ESCP portent sur le même domaine de connaissances :
– Modification des comportements d’activité et évolution de la population active en France depuis 1945 (C’est le même sujet posé différemment)
« Une population abondante est-elle un atout ou un frein au développement ? » (C’est un sujet beaucoup plus large)
Progrès agricoles et transition démographique au 19ème siècle
Y – a – t – il un modèle unique de transition démographique pour le 19ème siècle ?
Depuis deux siècles les faits confirment-ils la loi de Malthus ?
Comment la démographie a-t-elle déterminé l’évolution de la population active en France depuis 1945 ?
Femmes et marché du travail en France depuis 1945
Femmes et marché du travail au 20ème siècle dans les pays développés
Conforter ses connaissances |
Toutes les informations pertinentes sont accessibles en ligne :
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sur le site de l’INSEE : www.insee.fr
-
sur le site de l’INED : www.ined.fr
On peut aussi consulter l’ouvrage de J. Vallin, La Population française, La Découverte, Repères, Paris, 2001
S’appuyer sur des citations |
– Il n’y a ni richesse ni force que d’hommes
Jean Bodin (1530 – 1596)
– Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture et, en fait, il est de trop au banquet de la nature.
Malthus, Thomas, Robert (1766-1834), Essai sur le principe de population, préface à l’édition de 1798
– La mesure précise de la population d’un pays n’est pas la quantité de nourriture qu’il produit, puisqu’il en exporte une partie, mais la quantité d’occupation ou d’emploi qu’il peut offrir à la population laborieuse.
Malthus, T.R.,opus cité
– Une généralisation large, simple et de grande portée permet de dire qu’à mesure que le temps passe et que les communautés atteignent un stade plus avancé de développement économique, la main d’œuvre agricole tend à décroître par rapport à la main d’œuvre industrielle, qui elle-même tend à décroître par rapport aux effectifs employés dans les services
Clark, Colin, Les conditions du progrès économique, 1940 (PUF, 1960)
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Sur la démographie
Selon l’INSEE au 1/01/2007 la population totale comptait 63, 4 millions d’habitants dont 61,5 en France métropolitaine et 1,9 million dans les départements d’outre mer.
A la même date un quart de la population avait moins de 20 ans et un sur six 65 ans ou davantage
En 2006 le nombre des naissances s’est élevé à 797 000 (avec un indice de fécondité de 1,98 enfants par femme), celui des décès à 520 000 (avec une espérance de vie à la naissance de 77,2 ans pour les hommes et de 84,1 ans pour les femmes), soit un excédent naturel de 277 000, auquel il faut ajouter un solde migratoire estimé à 95000 entrées nettes
Sur la population active
Les données de base sont les suivantes pour l’année 2005 :
Effectifs globaux : 27 639 000 personnes dont 14 825 000 hommes et 12 814 000 femmes
Projections en 2014 : 28 331 000 dont 15102 000 hommes et 13 229 000 femmes
en 2050 : 28531 dont 15 450 000 hommes et 13 081 000 femmes
Taux d’activité des hommes : 74,5%
Taux d’activité des femmes : 63,8%
Effectifs de la population active occupée : 24 921 000 dont 22 202 000 salariés
Nombre de chômeurs : 2 717 000
Taux de chômage standardisé au sens du BIT : 9,8% (estimé à 7, 8% pour le 4ème trimestre 2007)
Rappel : N’oubliez pas de mettre en service votre carnet de notes. Relevez y les ordres de grandeur et les citations qui vous semblent utiles et susceptibles d’être mémorisées.
Deuxième subdivision : La comptabilité nationale et les grandes fonctions économiques |
Les grandes fonctions économiques sont la production, la répartition des revenus qui en sont issus, la consommation qu’autorisent ces revenus ainsi que l’épargne et l’investissement. Vous devez impérativement maîtriser ce qui a été vu en première et terminale sur ces cinq notions de base de l’analyse économique. Au besoin élaborez une fiche sur chacune d’elles en suivant un plan du type : définition, mesure, déterminants, effets.
Ces grandes fonctions ont trouvé avec la comptabilité nationale un cadre cohérent d’analyse. Le sujet ci-dessous vous permettra de prendre conscience des enjeux soulevés par l’étude de ce point.
Sujet développé n° 2 : La comptabilité nationale est-elle un bon outil d’analyse économique ? ESCP, sujet d’oral
Affronter les termes du sujet |
La comptabilité nationale est une représentation globale, détaillée et chiffrée de l’économie nationale dans un cadre comptable.
C’est dans ce cadre que sont calculés les principaux agrégats, c’est à dire les principales grandeurs significatives de l’économie nationale considérée comme un tout : le produit intérieurs brut (PIB), le produit national brut (PNB), l’investissement des entreprises (ou formation brute de capital fixe), le revenu disponible des ménages, leur consommation etc…
L’analyse économique se subdivise en micro-économie qui a pour objet l’étude formalisée des comportements des individus sur les différents marchés (de biens et services, du travail, des capitaux), et macro-économie qui établit directement des relations entre les agrégats de mesure des grandes fonctions économiques, sans passer par le détour d’une étude des comportements individuels. L’analyse dont il s’agit ici ne peut être que l’analyse macroéconomique.
Par ailleurs on distingue l’analyse objective de l’analyse normative.
La première s’intéresse à ce qui est, la seconde se réfère à des jugements de valeur et se concentre sur ce qui devrait être. La question que se pose la première est « que se passe-t-il ? ». Celle qui oriente la seconde est « qu’est ce qui est préférable ? »
La comptabilité nationale est un outil utile si elle fournit des données permettant :
-
d’une part d’éclairer la compréhension du fonctionnement de l’économie (contribution à l’analyse positive)
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d’autre part d’évaluer les effets prévisibles des mesures de politique économique et par là de les orienter (contribution à l’analyse normative)
Répondre aux attentes des examinateurs |
Attention ! Ce n’est pas une question de cours. Il faut prendre parti, formuler un avis argumenté. L’enjeu du sujet est de déterminer :
-
d’une part si les chiffres fournis par la comptabilité nationale sont techniquement fiables
-
d’autre part si on peut les mettre au service d’une analyse débarrassée d’à priori théoriques et indépendante de jugements de valeur, c’est-à-dire neutre, du fonctionnement de l’économie.
C’est une réflexion argumentée qui est attendue de vous. Pour l’amorcer il est indispensable de soumettre le sujet à un questionnement. On peut ici le faire de façon très simple en partant de la définition de la comptabilité nationale : représentation globale (est – elle fidèle ou non ? est-elle complète ou non ?), détaillée et chiffrée de l’économie nationale (ses données sont-elles précises ? a quel point ? de quel type de données s’agit-il ?) dans un cadre comptable (quelle en est la genèse ? quelles sont les conséquences du fait qu’il n’enregistre que des flux monétaires ?)
Trouver les articulations du raisonnement |
Au plan théorique, la comptabilité nationale est née d’une démarche keynésienne. Elle est l’indispensable complément d’une vision légitimant l’intervention de l’Etat dans l’économie. Une telle intervention ne peut en effet se faire à l’aveugle, mais doit s’appuyer sur des informations précises. La question est de savoir si la comptabilité nationale peut s’affranchir de ses origines dirigistes pour être mise au service de la communauté des économistes dans son ensemble.
Au plan pratique, les calculs de la comptabilité nationale sont soumis à de multiples contraintes. Il s’agit d’enregistrer de manière cohérente une très grande quantité d’informations. Cela suppose en particulier de séparer dans la mesure de la production ce qui relève de la variation des quantités et ce qui ressort de la variation des prix. Pour ce qui est de la variation des prix, il faut arriver à distinguer ce qui est justifié par l’amélioration de la qualité des produits, et ce qui ressort de l’inflation pure et simple. La question est alors de savoir si le calcul de l’indice des prix à la consommation repose sur des bases techniquement fiables. Il faut que ce soit le cas pour que les mesures opérées par la comptabilité nationale soient opérationnelles.
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
Petty : estimant le revenu national de l’Angleterre en 1664, il en déduit que le revenu par habitant y est plus élevé qu’en France. Il qualifie sa recherche d’ «arithmétique politique ».
Quesnay : auteur du Tableau Economique (1ère édition en 1758), il est considéré comme le lointain précurseur de la comptabilité nationale.
Kuznets : à la demande du Sénat américain, il a développé une série de recherches pour mesurer le déclin du revenu national américain entre 1929 et 1932. En parallèle, il a estimé la dépense en consommation et l’épargne.
Keynes : auteur de la Théorie Générale (1936), il y analyse l’économie en termes de circuit et légitime une intervention systématique de l’Etat sur la conjoncture. Il a initié une démarche rendant impérative la construction d’un système complet de comptabilité nationale et donné l’élan nécessaire aux recherches sur la comptabilité nationale en formulant l’identité du produit et du revenu.
Stone et Meade : auteurs d’un livre blanc publié en 1941, il leur revient d’avoir élaboré à la demande du Parlement anglais le premier système d’enregistrement méthodique de toutes les opérations, c’est-à-dire le premier système de comptabilité nationale.
Leontief : il a élaboré le tableau des entrées-sorties (aujourd’hui appelé tableau des entrées intermédiaires) détaillant les échanges entre les branches productives.
Sen : concepteur de l’Indicateur de Développement Humain (I.D.H.), il a développé une approche critique des principaux agrégats fournis par la comptabilité nationale.
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
Du 17ème siècle à la fin des années 1920, le revenu national de pays comme la Grande Bretagne ou la France ne fit l’objet que de quelques tentatives sporadiques d’estimation. Il faut attendre la crise de 1929 pour que les choses évoluent, en lien avec la fin du laisser-faire dans l’ordre économique. Au plan technique, dans les années trente, furent mises au point des méthodes de quantification macroéconomique du revenu national et de ses composantes. La statistique économique progressa avec, en particulier, les travaux de Kuznets aux Etats-Unis.
Au plan théorique, la Théorie Générale de Keynes légitima la mise en œuvre systématique de politiques cherchant à réguler la conjoncture.
Ces éléments se conjuguèrent pour donner naissance à la comptabilité nationale, c’est-à-dire à l’élaboration d’une représentation globale, détaillée et chiffrée de l’économie nationale dans un cadre comptable.
De ce rapide survol, il ressort que la comptabilité nationale est un outil conçu au départ pour servir des visées dirigistes. A ce titre elle a rendu d’incontestables services.
Définir une problématique et annoncer le plan
S’est-elle pour autant imposée comme un outil neutre, générateur de données utilisables par tous (I), techniquement fiables (II) et prenant en compte tous les aspects de la vie économique et sociale (III) ?
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – La comptabilité nationale est-elle un outil neutre ?
Il s’agit ici de montrer qu’elle est au départ un outil forgé pour les besoins de l’analyse keynésienne, mais qu’elle s’en est affranchie et est désormais utilisée par tous les économistes
La comptabilité nationale a des origines keynésiennes
On trouve à l’origine de son développement la prise de conscience, à la suite de la crise de 1929 et de la dépression des années 30, du rôle que peut jouer l’Etat dans la conduite de l’économie. Ce rôle a été théorisé par Keynes. Dès lors que l’Etat a vocation à assurer un contrôle macroéconomique, il faut qu’il puisse disposer d’une description de l’économie permettant la prévision.
Cette description doit avoir les propriétés suivantes :
– elle doit être exhaustive, c’est-à-dire décrire tous les agents économiques
– elle doit par conséquent être globale (on ne peut étudier chaque agent séparément)
– elle doit être quantifiable, de manière à chiffrer les mesures à prendre et à en mesurer les effets
– elle doit mettre en évidence les interdépendances économiques en termes de comportements et en termes de transactions.
Stone et Meade ont conçu et mis au point le cadre comptable approprié à ces impératifs. En 1941, à la demande du Parlement anglais, ils ont élaboré une série de tableaux illustrant les ressources produites par l’économie de la Grande Bretagne et leur utilisation sous forme de consommation, dépenses publiques, subventions et investissements. Avec la comptabilité nationale, ils ont forgé l’outil nécessaire à la conduite d’une politique économique dirigiste.
Par la suite, les travaux de Leontief et de Tinbergen ont perfectionné cet outil. La France, de son côté, a forgé son propre système de comptabilité nationale, différent de celui des pays anglo-saxons.
Elle a rendu des services considérables et sa portée est devenue universelle.
Les travaux de comptabilité nationale ont contribué à normaliser les définitions des principaux concepts de l’analyse économique. Ils ont permis de forger un langage commun.
Ils ont fixé la manière dont on mesure la richesse produite et donc la croissance. Avec la comptabilité nationale s’est imposé le concept de PIB, correspondant à la somme des valeurs ajoutées produites par l’ensemble des unités résidentes. Son taux annuel de variation est devenu l’indicateur le plus utilisé de mesure et de comparaison de la croissance économique.
Pendant la période de reconstruction puis de forte croissance, les données fournies par l’INSEE, organisme en charge de la comptabilité nationale en France, ont permis aux responsables de la politique économique de disposer d’un véritable tableau de bord de l’économie française. Cela était indispensable pour qu’ils puissent mettre en œuvre une régulation consciente de l’économie.
La comptabilité nationale est donc marquée par une forte empreinte keynésienne. Nationale et dirigiste à l’origine, elle a pourtant su s’adapter à un contexte transformé par le tournant libéral et l’accélération du processus d’intégration des économies. Sous les auspices de l’ONU et de son système de comptes nationaux (SCN 1993), les méthodes ont été harmonisées. En Europe un système normalisé et articulé à celui de l’ONU, le Système Européen de Comptabilité (SEC 95), a été adopté par tous les pays de l’Union Européenne avec le statut de règlement européen. Il sert à évaluer les obligations découlant pour chaque Etat membre, du Traité de Maastricht et du pacte de stabilité et de croissance.
La comptabilité nationale s’est donc imposée en fournissant à tous, y compris aux libéraux, un langage commun et des données pertinentes.
II – La comptabilité nationale est-elle un outil techniquement fiable ?
Il s’agit ici de montrer que sa fiabilité technique est soumise à des contraintes de collecte et de traitement des données ainsi que de prise en compte de l’évolution des prix.
La mise en cohérence d’informations hétérogènes est source de fortes contraintes
Collecte des données
Les comptables nationaux doivent agréger et mettre en cohérence des informations extraites des documents comptables des entreprises ou fournies par les administrations, en particulier par le ministère des finances et les services des douanes. Les sources statistiques sont donc hétérogènes et la mesure de la richesse nationale ressemble à un gigantesque puzzle dont les pièces ne sont pas disponibles en même temps quand elles ne sont pas perdues.
Souvent fragmentaires, approximatives ou biaisées (statistiques fiscales), les données doivent être « redressées » par les statisticiens qui privilégient leur cohérence, au détriment de la précision absolue des valeurs publiées. Interviennent aussi des impératifs de délai, les informations devant être rapidement mises à la disposition des acteurs de l’économie. Il ne faut donc pas fétichiser des chiffres dont la précision n’est qu’illusoire.
Traitement des données
Pour traiter ces données disparates il faut d’abord procéder à des regroupements.
Une première nomenclature classe en cinq secteurs institutionnels les unités ayant la même activité principale et la même source principale de revenu. Il s’agit des ménages, des sociétés non financières, des sociétés financières, des administrations st des institutions sans but lucratif au service des ménages (ou ISBLM). Elle enregistre les opérations de ces unités résidentes avec l’extérieur au sein d’un compte nommé « reste du monde ».
Une autre nomenclature indispensable est celle des producteurs. Elle les répartit en autant de branches que de biens et services produits.
Une 3ème nomenclature distingue les opérations de production des opérations de répartition et des opérations financières.
Il faut ensuite enregistrer ces opérations selon des procédures rigoureuses mais qui reposent sur des conventions.
Pour décrire l’activité des agents en en suivant toutes les étapes, la comptabilité nationale a mis au point une séquence de comptes s’enchaînant toujours dans le même ordre, du compte de production dont le solde est la valeur ajoutée, aux comptes financiers dont le solde fait apparaître une capacité ou un besoin de financement.
Ces regroupements et l’enregistrement comptable des opérations reposent sur des conventions. Ainsi en est-il de la production de services non marchands. Comme elle ne fait pas l’objet d’une vente, sa valeur est supposée égale à son coût. De même, fraude fiscale et travail au noir sont estimés par convention à une certaine fraction du PIB.
La séparation des effets volume et des effets prix est une autre source de difficultés
La comptabilité nationale enregistre des valeurs monétaires (en euros, en dollars) résumant en un même chiffre une double information sur les prix et sur les volumes (valeur = prix x volume, la notion de volume intégrant à la fois celle de quantité et de qualité). De ce fait, dans la mesure des évolutions observées d’une année à l’autre, il est très difficile de séparer ce qui relève de l’un ou de l’autre élément. Pour y parvenir il faut définir et calculer des indices de prix. Le principal indice utilisé est l’indice des prix à la consommation (IPC). Indice composite et pondéré, il reflète l’évolution du prix d’un panier de biens et services censés être représentatifs de la consommation des ménages. D’autres indices existent, tels que les indices de prix de gros, du coût de la construction, des prix agricoles etc…
Ces indices servent à déflater les chiffres en valeur pour obtenir des mesures dites en volume, en éliminant l’impact des variations de prix.
Mais le suivi des prix par les indices soulève de nombreuses difficultés techniques (choix des postes et des coefficients de pondération, précision et fréquence des relevés de prix).
C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, la commission Boskin a établi que de 1973 à 1996 l’indice américain des prix à la consommation aurait surestimé l’inflation de 1,1% par an. Or, si l’inflation est surestimée, la croissance du PIB en volume est mécaniquement minorée. De même, cela fausse la mesure de la productivité et de la progression des revenus réels.
Les indicateurs statistiques sont donc à la merci d’erreurs d’appréciation qui peuvent être lourdes de conséquences.
III – La comptabilité nationale est-elle un outil reflétant correctement la réalité ?
Il s’agit ici de montrer que la comptabilité nationale présente de nombreuses limites, d’une part parce qu’elle ne reflète pas fidèlement la réalité qu’elle est censée représenter, et d’autre part parce qu’elle ne parvient pas à atteindre ses propres objectifs
C’est un outil incomplet car il ne prend pas en compte ou évalue mal certaines activités
En premier lieu, on mesure mal la production de l’économie souterraine, qui regroupe les activités clandestines car illégales par leur forme (le « travail au noir ») ou leur objet (prostitution, trafic de stupéfiants). Seul le travail au noir, comme on l’a vu, fait l’objet d’une évaluation, mais elle est imprécise. A titre d’exemple, l’Italie a réévalué son PIB de près de 18 % en le prenant mieux en compte en 1995…
En deuxième lieu, la comptabilité nationale décrit très mal les phénomènes non marchands, qu’il s’agisse des services rendus par l’État ou au sein d’une famille, ou encore des coûts qui ne sont pas mesurables en monnaie (la souffrance humaine, la pollution, la dégradation de l’environnement). En l’absence de données monétaires à enregistrer, les statisticiens doivent donc se livrer à quelques contorsions :
-ils excluent complètement les travaux domestiques, sauf s’ils sont rémunérés, d’où le paradoxe: « Un homme qui épouse sa cuisinière réduit le PIB »
-ils prennent mal en compte les services non marchands des administrations. Financés par l’impôt, qui n’est pas un prix (ceux qui n’en paient pas accèdent quand même aux services, et ceux qui ne voudraient pas les utiliser doivent malgré tout payer l’impôt), et face à la difficulté de chiffrer leur utilité sociale réelle, on estime par convention leur valeur à celle de leur coût de production (salaires, matières premières). Cela signifie que les services rendus par les administrations contribuent d’autant plus à la formation du PIB qu’ils coûtent cher à produire !
– Quant à la pollution et à la destruction de l’environnement, elles ne sont prises en compte dans le PIB que lorsqu’elles engendrent des dépenses (installation de dispositifs antipollution, nettoyage d’une marée noire), d’où le paradoxe: les accidents de la route et les embouteillages augmentent le PIB grâce aux dépenses de santé et de carburant qu’ils génèrent.
Les phénomènes (sociaux ou écologiques) qui ne se laissent pas réduire à la mesure monétaire semblent inexistants, parce que non évalués, ou risquent d’être considérés de manière très réductrice en n’étant appréhendés que sous leurs aspects monétaires.
En définitive, la comptabilité nationale ne donne qu’une vision quantitative et marchande de la réalité, ce qui limite fortement sa portée.
On en déduit que le PIB n’est absolument pas à lui seul un indicateur de « bien-être ». Pour l’utiliser à cette fin, il faut l’intégrer dans un ensemble plus vaste de statistiques sociales. Dans cette optique, l’indice de développement humain (IDH) adopté en 1990 par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), combine le niveau de vie (mesuré par le PIB par habitant), l’espérance de vie et le niveau d’éducation. Les économistes qui ont essayé de mesurer le « bonheur national net » (PIB + production domestique + loisirs -coûts des nuisances, pollutions, encombrements et armements) ont observé que celui-ci augmente moins vite que le PIB.
C’est un outil imparfait au regard même de ses propres objectifs.
Cela se manifeste de plusieurs façons :
– son cadre restant national, la comptabilité nationale rend mal compte des phénomènes économiques contemporains d’internationalisation et de transnationalisation, même si il y a eu un grand travail d’harmonisation internationale
– toutes ses évaluations ont un caractère agrégatif. Si des calculs de moyennes (par habitant, par tête, par heure de travail) sont toujours possibles, aucune information n’est donnée sur la dispersion des variables.
– ses données étant très agrégées, la comptabilité nationale n’éclaire pas suffisamment ce qui se passe au niveau des agents. Ne rendant pas compte de leurs comportements, elle ne fournit pas d’éléments utiles à l’analyse microéconomique.
– dans les économies modernes, la part de la production composée de biens matériels diminue et la part des services augmente. Or ces derniers ne sont généralement pas mesurables en unités physiques et sont beaucoup moins homogène que les biens, notamment du point de vue de la qualité. Cela rend plus incertain le calcul de l’évolution des valeurs réelles et des prix dans l’économie.
– ses évaluations sont affectées d’une certaine marge d’erreur, mais aucune indication n’est donnée sur celle-ci. La qualité de ses évaluations varie fortement en fonction de la qualité des données statistiques de base et de la nature des traitements qu’on leur applique. Si la comptabilité nationale est un instrument irremplaçable d’intégration et de mise en cohérence de l’ensemble de la statistique économique et sociale, sa précision est illusoire.
– se posent enfin des problèmes de délai de mise à disposition des chiffres définitifs.
Conclure |
Résumer et répondre
Au final le travail de mise en cohérence des statistiques que réalise la comptabilité nationale repose sur des hypothèses et des conventions. Pour atteindre son but, elle adopte des solutions non pas arbitraires mais conventionnelles, et donc discutables. Elle transmet des informations sérieuses, mais en même temps les met en scène. Mettant en valeur certains aspects de l’économie, elle en néglige d’autres, en l’occurrence tout ce qui n’est pas mesurable en argent.
La comptabilité nationale n’est donc pas neutre; elle constitue une pratique sociale susceptible de donner lieu à des dérives dangereuses si on cède à la fascination des chiffres. Ces chiffres ne tombent pas du ciel, ils ont été fabriqués sur la base d’hypothèses et de conventions ainsi qu’il convient de ne pas l’oublier. Si la comptabilité nationale est une représentation efficace de la réalité pour les économistes, elle n’est pas la réalité.
Ouvrir
De même, il convient de ne pas oublier que la croissance économique que mesure la comptabilité nationale ne doit pas être un objectif en soi, mais reste de l’ordre des moyens. Elle n’est utile que pour autant qu’elle sert la communauté, en consolidant sa stabilité et en augmentant le contentement de ceux qui en font partie. La comptabilité nationale ne serait qu’un outil douteux si elle ne servait qu’à entretenir le culte du taux de croissance.
Réfléchir sur des sujets voisins |
Proposés à l’oral de l’ESCP, les sujets ci-dessous portent sur le même domaine de connaissances :
A quoi sert la comptabilité nationale ?
Fiabilité et usage des indicateurs de croissance
Peut-on mesurer le bien-être ?
Peut-on mesurer la richesse des Nations ?
Que nous apprennent les données de l’équilibre des ressources et des emplois sur la situation économique d’un pays ?
Intérêts et limites de la comptabilité nationale comme représentation de l’économie
Conforter ses connaissances |
La synthèse la plus accessible sur le sujet est l’ouvrage de Jean-Paul Piriou, La comptabilité nationale, Repères, La Découverte.
S’appuyer sur des citations |
– Plus nous comptons, plus nous comptons mal, puisque nous ne comptons pas tout
Alfred Sauvy (1898-1990) – La Révolte des Jeunes, Calmann-Levy, 1970
– L’homme qui épouse sa cuisinière abaisse le revenu national, puisqu’il y a une salariée de moins… mais il peut compenser en partie cette diminution en se faisant raser chez un coiffeur au lieu de se raser lui-même
Bernard Cazes – La Vie Economique, Armand Colin, 1965
– Selon notre manière de compter, nous nous enrichirions en faisant des Tuileries un parking payant et de Notre-Dame un immeuble de bureaux
Bertrand de Jouvenel (1903 – 1987) – Arcadie, Essais sur le Mieux Vivre, Editions SEDEIS, 1968
– Toute dépense destinée à réparer les dégradations (non comptabilisées) infligées au milieu naturel accroît le produit national. A la limite donc, celui-ci atteindrait son niveau optimal lorsque la moitié de l’appareil productif saccagerait consciencieusement la planète que l’autre moitié s’appliquerait, non moins consciencieusement, à remettre en l’état
René Passet – La Tribune de l’Expansion, 3 juin 1992
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
En 2005, selon les données de la comptabilité nationale:
– Le PIB de la France s’est élevé à 1710 milliards d’euros
– Son taux de croissance ressort à 1,2%, contre 4,4% en moyenne entre 1965 et 1975
– La FBCF des entreprises a représenté 199,5 milliards d’euros
– Les investissements des ménages en logements se sont montés à 93,14 milliards d’euros
– Les investissements des administrations ont correspondu à 55,4 milliards d’euros
– La consommation des ménages a porté sur 976,1 milliards d’euros
– La consommation des administrations est évaluée à 405,6 milliards d’euros
– Les importations sont estimées à 462,6 et les exportations à 446, 3 milliards d’euros
A partir de ces chiffres retrouvez l’équilibre des ressources et des emplois.
Sur le site de l’INSEE recherchez les mêmes données pour 2006 et 2007. Notez les sur votre carnet de notes.
Troisième subdivision : Les différentes formes d’organisation économique et sociale |
Le capitalisme ou économie de marché est le système d’organisation économique et sociale qui s’est imposé presque partout dans le monde. En tant que système, il articule d’une manière qui lui est propre des éléments techniques, des éléments institutionnels (à la racine desquels figure la propriété privée des moyens de production et d’échange), des mécanismes de coordination (ceux du marché) et des mobiles orientant les comportements des agents (tels que la maximisation du profit).
Pour comprendre les raison de son succès, la meilleure façon de procéder est de le comparer point par point au système concurrent, l’économie planifiée, dont il a fini par triompher.
C’est ce que le sujet ci-dessous vous propose de faire
Sujet développé n° 3 : Pourquoi l’économie de marché a t-elle triomphé de l’économie planifiée ? ESCP, sujet d’oral
Affronter les termes du sujet |
Première remarque
Le sujet porte sur la lutte qui a opposé deux systèmes économiques et sociaux fondés sur des principes différents et concurrents : l’économie de marché, qui relève du capitalisme, et l’économie planifiée de type soviétique qui se réclame des notions de socialisme et de communisme. Chacun de ces systèmes incarne un des deux seuls types concevables d’organisation de l’économie et de la société, puisqu’à ce jour aucune autre forme d’organisation n’a pu voir le jour dans les pays industrialisés. A l’issue de ce qu’il est convenu d’appeler la guerre froide, l’économie planifiée s’est effondrée en URSS et les principes de l’économie de marché se sont imposés sur l’ensemble de la planète.
La question est de savoir pourquoi une forme d’organisation s’est imposée alors que l’autre a échoué.
Deuxième remarque
L’URSS a implosé en 1991. Les pays qui en sont issus sont encore dans une phase incertaine et difficile de restructuration de leur organisation économique et sociale que l’on qualifie de transition. A l’évidence l’économie de marché n’y a pas encore triomphé, mais la question posée ne demande pas d’analyser cet aspect des choses que l’on peut toutefois évoquer en conclusion.
Troisième remarque
Employée sans autre précision, l’expression « économie planifiée » désigne uniquement « l’économie administrative de commandement » mise en œuvre dans l’ex URSS et dans les pays qui faisaient partie du bloc soviétique. La planification française était d’une toute autre nature. De type indicatif (et non impératif), elle s’inscrit dans le cadre d’une économie marquée par une forte intervention de l’Etat mais qui reste de marché.
Répondre aux attentes des examinateurs |
A l’oral et moins encore à l’écrit vous ne pouvez vous contenter d’indiquer seulement les grandes lignes de votre raisonnement, en restant très vague sur l’explication des mécanismes en jeu. Il faut en présenter toutes les étapes et tous les maillons, sinon il s’agit d’un simulacre de raisonnement, d’un faux semblant sans valeur. Vous ne pouvez vous borner à décrire des phénomènes ou à les mentionner de manière allusive sans en tirer les conséquences analytiques.
A l’écrit soignez l’orthographe et évitez les tournures trop familières du type : le système soviétique était un système « vérolé », ou encore nous présenterons les + de l’un et les + de l’autre. N’inventez pas non plus de mots : à titre d’exemple le mot explosition (de la Russie…) n’existe pas, de même que bien d’autres néologismes fantaisistes figurant dans certaines copies. Pour corriger ces défauts de forme, prévoyez un temps de relecture à la fin du devoir. Pensez aussi à rédiger complètement la conclusion avant de passer à la rédaction des développements.
Trouver les articulations du raisonnement |
Sur le fond, le sujet conduit à opposer l’efficacité de l’économie de marché à l’inefficacité de l’économie planifiée : la première est beaucoup plus apte à générer la croissance du niveau de vie des habitants que la seconde. L’enjeu du devoir est bien sûr de mettre en évidence et d’analyser les facteurs permettant de rendre compte de l’inégalité des performances des deux systèmes : un premier clivage oppose donc les dysfonctionnements de l’un aux bons résultats de l’autre pour ce qui est de la création de valeur ajoutée.
Un 2ème clivage oppose la souplesse de l’économie de marché à la rigidité de l’économie planifiée. Il s’agit de montrer pourquoi l’une a été à même de tirer parti des crises qu’elle a connues pour évoluer et s’amender, et pourquoi l’autre n’a pas réussi à se réformer.
L’analyse peut donc s’organiser autour de 2 thèmes directeurs :
– celui de l’efficacité (performances/dysfonctionnements)
– celui de la capacité d’adaptation (souplesse/rigidité)
Elle doit également présenter les principes qui sont au fondement de l’un et l’autre système, en rappelant les avantages théoriques attendus de chacun d’eux.
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
Smith : auteur de La Richesse des Nations (1776), il est à ce titre le premier théoricien moderne de l’économie de marché
Marx: auteur du Capital (1867), il cherche à y mettre à jour les mécanismes cachés de l’exploitation capitaliste dont l’économie de marché est selon lui inévitablement porteuse.
Keynes: auteur bien connu de La Théorie Générale (1936), il y développe les lignes directrices d’une analyse mettant en évidence les faiblesses de l’économie de marché tout en indiquant les moyens d’y remédier.
Hayek: auteur notamment d’un pamphlet intitulé La Route de la Servitude (1944), il reprend et développe les intuitions de Smith en soulignant les vertus d’un système qui privilégie l’efficacité économique même si c’est au détriment de la justice sociale.
Polanyi : auteur de La Grande Transformation (1944), il y développe au contraire une approche très critique de cette même économie de marché en la qualifiant au passage de « fabrique du diable »
Kornaï: auteur de Socialisme et Economie de la Pénurie (1980), il y démonte les vices cachés de toute économie centralement planifiée en faisant apparaître les raisons du manque d’efficacité de ce système et de l’impossibilité de le réformer
Schumpeter: auteur de Capitalisme, Socialisme et Démocratie (1942), il y prédit à tort le déclin du capitalisme dont la relève devrait être assurée par une forme de socialisme bureaucratique. Mais son analyse a le mérite de souligner le rôle de l’innovation et, par ce biais, les capacités d’adaptation de l’économie de marché
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
Du premier plan en 1928 à sa chute en 1991, l’URSS a connu une organisation de son économie fondée sur d’autres principes que les mécanismes de marché. Après que les deux systèmes d’organisation économique de l’Est et de l’Ouest se soient livrés à une compétition acharnée pendant ce que les historiens ont appelé la guerre froide, le second l’a emporté sur le premier qui s’est effondré et a donc échoué.
Définir une problématique
Pourquoi le marché s’est il révélé être un meilleur régulateur que le plan ?
La réponse met en jeu des mécanismes conditionnant l’efficacité et la souplesse de chacun de ces deux principes de régulation
Annoncer le plan
Ainsi on montrera que, bien que présentant des avantages théoriques, le système d’économie planifiée a connu de multiples dysfonctionnements et n’a pas su se réformer. Puis on verra que si les dangers inhérents à l’économie de marché sont réels, ce système a prouvé son efficacité et son aptitude à évoluer par une adaptation permanente
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – Bien que présentant des avantages théoriques le système d’économie planifiée a connu de multiples dysfonctionnements et n’a pas su se réformer
Les principes
Il s’agissait d’éradiquer les mécanismes qui, selon les marxistes, sont au fondement de l’exploitation de l’homme par l’homme. Pour Marx, il fallait supprimer la propriété privée des moyens de production et d’échange, pour Lénine, il fallait imposer le primat de l’idéologie incarnée par le seul parti communiste pour construire une société sans classe, pour Staline, il fallait planifier intégralement l’économie pour édifier le communisme.
Attention ! Lénine et Staline, dirigeants d’un Etat totalitaire ont été en mesure d’imposer leurs thèses par la contrainte. Mais ce n’est bien sûr le cas ni de Marx qui était un penseur, ni de Smith ou Hayek…Il faut toujours éviter de mettre sur le même plan les théoriciens et les responsables politiques. |
La planification de l’économie par un centre éclairé devait assurer sa gestion rationnelle face à l’anarchie du marché.
On a donc édifié un système sans faillite pour les entreprises, sans chômage pour les travailleurs, un système à l’abri des crises et de l’influence maléfique de la finance – c’est à dire sans aucun des aiguillons qui évitent à l’économie de marché de se scléroser…
Les dysfonctionnements
Cette organisation de l’économie a connu de multiples dysfonctionnements. On peut en ordonner l’analyse autour de deux thèmes : la question de l’information et la question de l’innovation :
– L’information est supposée remonter des entreprises vers le centre où se trouvent les organismes de planification. Mais pour réaliser plus facilement les objectifs du plan qui leur sont imposés, les directeurs d’entreprise sous-estiment systématiquement leurs réelles capacités de production. Le centre le sait et systématiquement surestime le potentiel des entreprises. L’information est donc structurellement faussée. Cela mine la cohérence du plan et induit des comportements générateurs de gaspillage et de pénurie.
– L’innovation est inhibée par l’absence de relations directes entre les entreprises et par le manque de motivation.
L’échec des réformes
En dépit de tentatives répétées le système n’a pas réussi à se réformer.
Rappelez ici ce que furent ces réformes en évoquant celles de Khrouchtchev (cherchant à remédier aux faiblesses de l’agriculture), Brejnev (cherchant à redynamiser l’industrie) puis Gorbatchev (dont les mots d’ordre étaient la transparence ou glasnost et la restructuration ou perestroïka)
Puis montrez qu’en l’absence de remise en cause du pouvoir des organes centralisés de gestion de l’économie et de réforme du système des prix, elles ne pouvaient réussir. Le problème était que l’adoption de telles réformes conduisait purement et simplement à renoncer au socialisme.
Les réformateurs ont donc échoué à instaurer un « socialisme de marché » qui probablement relevait de l’utopie.
II – Si les dangers inhérents à l’économie de marché sont réels, ce système a prouvé son efficacité et son aptitude à évoluer par une adaptation permanente
Les dangers de l’économie de marché sont réels
Les marxistes n’ont cessé de les souligner en dénonçant un système générateur selon eux de crises à répétition, de guerres (« le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » selon Lénine) et d’inégalités.
Karl Polanyi a mis en évidence le fait que son avènement au 19ème siècle avait fait naître l’insécurité sociale.
Keynes a montré qu’elle n’était pas capable de s’autoréguler et était génératrice de chômage.
Les faits et différents auteurs ont souligné son instabilité, les effets pervers de l’inflation ou de la déflation ainsi que la récurrence des crises.
Ce système s’est pourtant montré efficace
Cette efficacité est fondée sur la recherche du profit, la liberté d’entreprendre (c’est à dire la liberté d’embaucher et de licencier, la liberté d’acheter et d’exploiter des biens de production), l’initiative privée, la propriété privée qui conduit à ce que les actifs soient valorisés par les plus compétents, le rôle joué par les prix en tant que signaux d’information (Hayek) permettant à la rationalité des agents de s’exercer.
Tous ces éléments concourent à la recherche incessante des gains de productivité qui sont la clef de la richesse des nations.
Dans ce cadre, les agents ont un rôle actif et prennent des risques. Cette prise de risque est facteur d’innovations (Schumpeter). Elle est également source d’incertitude. La faillite et le chômage sont des risques permanents. Mais ils sont aussi des aiguillons poussant à la recherche et à la sélection des meilleures solutions. Il en est de même de la concurrence. Elle est souvent menacée. Mais des règles et des institutions ont été mises en place pour réprimer les abus de position dominante et faire en sorte que subsistent toujours des formes de concurrence.
L’économie de marché a montré sa capacité d’adaptation
Elle a traversé de multiples crises.
Elle a été capable d’évoluer en encadrant les mécanismes de marché par des institutions correctrices, celles de l’Etat providence ; elle s’est transformée en économie mixte.
Conclure |
Résumer et répondre
L’économie planifiée s’est révélée inapte à générer une croissance autre qu’extensive et a fait la preuve de son incapacité à se transformer. L’économie de marché s’est montrée plus efficace économiquement et a fait preuve d’une bien meilleure capacité d’adaptation. C’est pourquoi elle a triomphé de l’économie planifiée. Si l’économie de marché a su devenir une économie mixte, ce ne fut pas le cas de l’économie planifiée qu’il n’a pas été possible de réformer par petites touches et qui, en définitive, s’est brutalement effondrée. La situation des pays concernés n’en est pas devenue plus facile pour autant.
Ouvrir en évoquant la transition et ses difficultés : le passage à l’économie de marché ne se décrète pas du jour au lendemain. Il demande une adaptation des comportements et l’élaboration d’institutions adaptées au fonctionnement d’une telle économie.
Réfléchir sur des sujets voisins |
Voici quelques sujets proposés à l’oral de l’ESCP :
- L’économie de marché
- L’économie planifiée
- Efficacité et équité dans l’économie de marché
Conforter ses connaissances |
A lire en priorité
Asselain Jean Charles – Histoire économique du 20ème siècle, La réouverture des économies nationales, Presses de Science Po et Dalloz, 1995, en particulier le chapitre 3 sur les économies de type soviétique et le chapitre 5 par. 4 sur la chute du bloc soviétique.
A voir également
– Hayek Friedrich A. von (1960), “The Constitution of Liberty », traduction française par G. Millière et J. Garello (1994), La constitution de la liberté, Paris, Litec, coll. “Liberalia”
– Kornai Janos (1992), The Socialist System. The Political Economy of Communism, Princeton University Press et Oxford University Press, traduction française, Le système socialiste, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Bibliothèque de l’IISMEA, 1996
– Polanyi Karl (1944), The Great Transformation, New York, traduction française de Catherine Malamoud, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, 1983
– Schumpeter Joseph A. (1942), Capitalism, socialism, and Democracy, New York: Harper and Row, traduction française de Gaël Fain, Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, 1979
Sur internet
Le site www.melchior.fr/ propose des fiches de synthèse sur le capitalisme et l’économie de marché
S’appuyer sur des citations |
– Dans une phase supérieure de la société communiste (…), on pourra s’évader une bonne fois pour toutes de l’étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».
K. Marx (1818-1883), Critique du programme de Gotha, 1875
– Les communistes peuvent résumer leur théorie par la formule : « abolition de la propriété privée ».
K. Marx (1818-1883), Friedrich Engels (1820-1895), Le Manifeste du parti communiste, 1848
– Une communauté socialiste ne peut s’appliquer le calcul économique. Là où il n’y a pas de prix de marché, il est impossible de recourir à des calculs pour faire des plans d’actions futures et pour déterminer les résultats des actions passées. Une direction de production socialiste ne peut savoir si ses projets ou ses actes sont le moyen le plus approprié pour atteindre les buts recherchés.
Ludwig von Mises (1881-1973), Le Chaos du planisme, Librairie Médicis
– le système de gestion actuel, système obsolète, constitue le mécanisme principal de freinage du développement de notre économie. Il stimule le mode extensif de notre développement et entrave la productivité ; fonctionnant à partir de commandements et d’ordres, il étouffe la démocratie, l’initiative et la créativité.
Abel Aganbeguian (économiste conseiller de Gorbatchev), Perestroïka : le double défi soviétique, Economica, 1987
– Je pense que le capitalisme, sagement aménagé, peut être rendu probablement plus efficient pour atteindre les fins économiques que tout système alternatif envisagé pour l’instant, mais je pense que ce système était, à bien des égards, extrêmement critiquable.
JM Keynes (1883-1946), Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1936
– Aujourd’hui encore, une des grandes forces du capitalisme est sa facilité d’adaptation et de reconversion.
Fernand Braudel (1902-1985), La dynamique du capitalisme, Arthaud, 1985
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Deux chiffres
– On estime qu’en 1991 à l’issue de près d’un demi-siècle de séparation de l’Allemagne en deux régimes concurrents (économie planifiée à l’est et économie de marché à l’ouest) la productivité du travail en RDA était 3 fois inférieure à ce qu’elle était en RFA.
– On évalue les dépenses militaires de l’URSS sous Brejnev à 15% du PNB (soit le triple du pourcentage correspondant aux Etats Unis). Dans les années 1980, 7,6 millions de salariés travaillaient directement pour le complexe militaro-industriel à l’Est, dont 5,4 millions en Russie.
Quelques dates sur le système soviétique
1928 : sous la tutelle de Staline, la NEP (New Economic Policy) est abandonnée et un système de planification quinquennale est mis en place.
1932-1933 : une famine dans les campagnes fait 5 millions de morts à la suite de la collectivisation forcée des terres.
5 mars 1953 : mort de Staline.
1963 : une récolte catastrophique marque le début d’une dépendance durable dans le domaine agricole ; à partir de cette date, l’URSS devient structurellement tributaire des importations de céréales produites par les pays occidentaux.
1965 : des réformes inspirées par l’économiste Liberman tentent de réhabiliter le profit comme indicateur de succès, mais échouent à rendre la croissance plus intensive.
1985 : Gorbatchev accède au pouvoir et inaugure la « perestroïka ».
Eté 1991 : l’implosion de l’URSS met fin au « conflit du siècle » entre le monde capitaliste (« l’Ouest ») et le système soviétique (« l’Est »).
Thème II – La croissance économique au 19ème siècle
Cette deuxième partie a pour objectif de donner une profondeur historique aux questions que soulève l’analyse économique. Pour entrer dans une grande école de commerce, vous ne pouvez en aucun cas vous borner à ce qui s’est passé depuis 1945. Les sujets posés aux concours d’entrée, celui d’HEC en particulier, exigent des candidats la maîtrise de solides connaissances aussi bien de l’histoire des faits économiques que de l’histoire de la pensée économique.
Prenez très au sérieux cet aspect du programme. Il ne s’agit pas de faire de l’histoire pour l’histoire, mais bien de mettre l’histoire au service de l’analyse économique. Vous serez d’autant mieux à même d’illustrer vos propos d’exemples pertinents que vos connaissances de l’histoire économique seront plus étoffées. N’oubliez jamais que la clef du succès dans cette discipline est de réussir à bien articuler les aspects théoriques et factuels de l’argumentation.
Le programme officiel subdivise ce thème en deux points. Le premier porte sur la Révolution industrielle, le second sur la naissance de l’économie politique.
Programme de travail
Subdivisions du thème |
Sujet traité |
1 – La Révolution industrielle : le rôle de la révolution agricole, de la révolution démographique et des innovations ; la naissance de l’entreprise capitaliste et les phénomènes de concentration |
Sujet développé N° 4 : Selon K Polanyi, « la révolution industrielle est le fruit de la rencontre de la machine et du marché ». En quoi cette formule rend-elle compte du processus d’industrialisation de la Grande Bretagne au 18ème et 19ème siècle ? Plan détaillé n°1 : Les expériences de croissance des pays qui s’industrialisent au 19ème siècle sont-elles comparables ? |
2 – Naissance de l’économie politique : les classiques et l’économie marxiste, le courant néo-classique |
Plan détaillé n° 2 : Quelles analyses faites-vous des liens entre les théories des classiques d’une part, le contexte et les faits de la révolution industrielle de l’autre ? Plan détaillé n° 3 La dynamique du capitalisme au 19ème siècle est-elle conforme aux analyses du courant marxiste ? |
Première subdivision : la Révolution industrielle et le Marché |
La Révolution industrielle est un moment clef de l’histoire économique. C’est à travers elle que des économies et des sociétés jusqu’alors traditionnelles sont devenues des économies et des sociétés de marché. La Révolution industrielle est un phénomène global comportant de nombreux aspects, aussi bien agricoles que techniques et démographiques. Ces aspects sont multiples mais dérivent tous d’une même force qui est la place croissante prise par les mécanismes de marché. Le sujet ci-dessous est l’occasion de mieux cerner cet aspect des choses.
Sujet développé N° 4 – Selon K Polanyi, la révolution industrielle est le fruit de la rencontre de la machine et du marché. En quoi cette formule rend-elle compte du processus d’industrialisation de la Grande-Bretagne et de la France au 18ème et 19ème siècle ?
Affronter les termes du sujet |
Pour débuter il faut définir, si on ne veut pas finir par buter. Une définition précise des termes de l’énoncé permet en effet de cadrer et de serrer le sujet au plus près. C’est indispensable pour ne pas ensuite risquer de le perdre de vue.
Les marchés sont des lieux de rencontre de l’offre et de la demande. La confrontation de ces deux forces détermine le prix des transactions et le montant des quantités échangées.
Employé au singulier le terme marché désigne un principe général de régulation des activités économiques, celui qui préside au fonctionnement des économies dites de marché.
La machine est à distinguer de l’outil. Elle met en œuvre un mécanisme inanimé mu par une énergie qui n’est fourni ni par un homme ni par un animal.
L’expression processus d’industrialisation de la Grande-Bretagne et de la France au 18ème et 19ème siècle fait clairement référence à la révolution industrielle. Cette dernière est un ensemble lié de mutations dans tous les domaines (agricole, technique, démographique, social etc.). Elle marque le passage de la société traditionnelle à la société industrielle, également dite société de marché.
Répondre aux attentes des examinateurs |
Vous devez bien vous pénétrer du fait que le recopiage de l’énoncé ne suffit en aucun cas à définir une problématique.
De même construire un plan ce n’est pas se limiter à dire : je vais d’abord parler de ceci, puis je vais parler de cela.
Pour construire une argumentation satisfaisante sur le sujet, il faut tenir ensemble les différents aspects d’une réalité complexe. La Révolution industrielle ne se limite pas en effet à l’essor du machinisme. Elle a des implications de beaucoup plus vaste portée qu’on vous demande de mettre en évidence en partant des deux mots machine et marché.
Attention : il ne vous est pas demandé ici de comparer les processus d’industrialisation de la Grande Bretagne et de la France, mais de tirer de leur histoire économique des éléments permettant de répondre à la question posée
Trouver les articulations du raisonnement |
Une manière simple de le faire est en l’occurrence de s’appuyer sur une séquence chronologique du type :
Avant la révolution industrielle (la préparation de la rencontre)
Pendant la révolution industrielle (les circonstances de la rencontre)
Après la révolution industrielle (les résultats de la rencontre)
Repérer les auteurs et les connaissances à mobiliser |
Les physiocrates ont été au 18ème siècle les contemporains des prémices de la révolution industrielle. Avec le docteur Quesnay (1694-1774) comme chef de file, ils ont eu le mérite de mettre en valeur le rôle clef de l’agriculture dans l’enrichissement d’un pays. Ils ont été les premiers défenseurs du libéralisme en économie en plaidant pour la liberté de circulation des produits agricoles.
A la même époque Adam Smith (1723-1790), en développant une vision beaucoup plus large et prémonitoire des évolutions à venir, a mis en lumière la force des interactions entre la taille des marchés et la division du travail qu’il place à la source de la richesse des nations.
Max Weber, au début du 20ème siècle, a fait de l’éthique protestante le ressort le plus puissant de l’essor des économies de marché en Europe à partir du 16ème siècle.
Karl Polanyi est l’auteur en 1944 de La Grande Transformation, ouvrage dans lequel il souligne les dangers de l’instauration d’une économie et d’une société de marché.
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
Lorsqu’on étudie la Révolution industrielle, il est courant de mettre l’accent sur ses aspects techniques. On souligne alors le rôle joué par l’invention de nouvelles machines et par la diffusion de leur usage dans l’ensemble du tissu économique.
Karl Polanyi, auteur en 1944 de La Grande Transformation, a développé une autre perspective. Il s’est attaché à montrer comment la Révolution Industrielle, moment de la rencontre entre la machine et le marché, a donné naissance à une société de marché. Régulé par ses seules lois, le marché s’y érige en principe organisateur de l’économie et soumet à sa logique la société toute entière.
Définir une problématique (c’est-à-dire poser la bonne question)
La meilleure manière de procéder ici est de raisonner en termes d’interactions : dans quelle mesure les marchés ont-ils contribué à l’essor du machinisme qui marque la Révolution Industrielle, et quelle a été en retour l’influence de la révolution de l’industrie sur l’instauration d’une économie et d’une société de marché ?
Annoncer le plan :
Ce sont ces interactions qu’il s’agit d’analyser en étudiant d’abord comment les marchés qui préexistent à la Révolution Industrielle ont été un élément décisif de son déclenchement (I) puis en montrant que la Révolution Industrielle et l’essor du machinisme qui la caractérise ont suscité l’extension des rapports marchands (II) et enfin que la Révolution Industrielle marque bien le passage à une économie régulée par le marché (III)
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – Les marchés préexistent à la Révolution industrielle et ont contribué à son déclenchement
On se situe par la pensée avant la révolution industrielle. On met en évidence la mise en place des éléments qui préparent la rencontre de la machine et du marché, en soulignant l’antériorité de l’essor des marchés sur la Révolution Industrielle :
A – Antériorité dans les faits
Les villes prennent leur essor plusieurs siècles avant la Révolution industrielle. L’urbanisation s’accompagne d’un début de monétarisation de la production, des revenus et des échanges, donc d’une extension des phénomènes marchands à l’intérieur d’espaces économiques encore très cloisonnés. Toutefois, dans la première moitié du 18ème siècle, on note un effort d’amélioration des voies de communication avec la modernisation du réseau routier en France et la « folie des canaux » en Grande Bretagne.
Parallèlement, le commerce lointain se développe avec les colonies sous le régime dit de l’exclusif qui en réserve les avantages aux pays colonisateurs. Les marchés coloniaux s’organisent avant les marchés intérieurs. Leur essor permet l’accumulation de considérables capitaux, dont une partie se dirigera plus tard vers l’industrie.
B – Antériorité dans les esprits de comportements et de mentalités favorables au développement des marchés
Max Weber a montré que la réforme protestante avait contribué à l’affirmation d’un système de valeurs propice à la future industrialisation. L’éthique protestante valorise en effet le travail, l’épargne, l’innovation, les affaires et le profit. L’influence du protestantisme se conjugue à celle du mercantilisme pour faire évoluer les mentalités et les comportements qui deviennent favorables à l’accumulation de la richesse et au développement des échanges marchands.
C – Antériorité d’une idéologie favorable à la liberté des échanges:
Les mercantilistes pensaient que la vitalité du commerce extérieur était un élément clef de la puissance d’un Etat. Mais ils ne concevaient pas que l’essor des échanges puisse se faire en dehors d’un cadre très protecteur et très réglementé. Au plan intérieur ils étaient hostiles à la liberté des échanges, et en particulier à la liberté de circulation des produits agricoles.
Au 18ème siècle, en France, avant même la Révolution Industrielle, leurs positions sont dénoncées par les physiocrates qui conçoivent le marché comme l’expression d’un ordre naturel. Ils sont les précurseurs du libéralisme dont la doctrine est pleinement formulée par Adam Smith, auteur en 1776 de La Richesse des Nations.
II – La Révolution industrielle naît de la rencontre des marchés avec le machinisme
A – L’appel des marchés suscite une réponse technologique
Dans l’industrie textile, cela est à relier à l’essor démographique et à la mode née d’un engouement pour les vêtements de coton. La pression de la demande de tissus de coton suscite un manque de fileurs dans le cadre du système technique en place. Pour surmonter ce goulot d’étranglement, les entrepreneurs sont poussés à mettre en œuvre de nouvelles solutions. Cela conduit à la mécanisation de toute la filière du coton.
De même, la pression de la demande de produits en fer fait naître une pénurie de bois, alors que le charbon est abondant. Pour pouvoir l’utiliser dans la sidérurgie, il faut toutefois mettre au point de nouvelles techniques, ce qui conduit à un emploi généralisé de machines de plus en plus puissantes et à la modernisation de toute la branche
B – En parallèle s’atténuent progressivement les obstacles au développement des échanges
– Les moyens de transport font des progrès décisifs avec la révolution des chemins de fer qui a un impact considérable sur la taille et la configuration des marchés
-La réglementation et le cadre institutionnel évoluent. Cela se traduit par l’abolition des péages intérieurs et par la liberté de circulation des marchandises, Il faut aussi établir un droit moderne de la propriété et des contrats, ce que permet l’adoption en France du code civil et du code de commerce. Intervient également l’institution d’un marché libre du travail, ce que permet en France la suppression des corporations en 1791 par le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier. Au Royaume Uni, la loi dite de Speenhamland adoptée en 1795, assurait un revenu minimum aux plus démunis dans le cadre de chaque paroisse, ce qui entravait la formation d’un véritable marché du travail. Le salariat se généralise après sa suppression en 1834.
C – la division du travail peut alors jouer à plein
L’extension des marchés pousse à son approfondissement ; cet approfondissement permet la baisse des coûts de production et, dans un contexte de concurrence très vive, celle des prix. La baisse des prix accroît la taille des marchés qui à son tour stimule la division du travail… Cet enchaînement vertueux a été bien identifié par Adam Smith.
La Révolution industrielle semble bien être le fruit de « la rencontre de la machine et du marché ».
III – La Révolution industrielle marque le passage à une économie et à une société de marché
A – De la Révolution industrielle naît une économie régulée par le marché.
Ainsi que l’a montré Polanyi une économie de marché ne peut fonctionner que si la terre, le travail et la monnaie, c’est-à-dire l’ensemble des éléments nécessaires à la production, sont soumis aux lois de l’offre et de la demande. Dans une telle économie existent donc non seulement des marchés de biens, mais aussi des marchés de facteurs.
B – Les effets en sont très largement positifs
Ce système, qui est le système du capitalisme concurrentiel, stimule l’efficacité économique : il lance les pays où il s’est instauré sur la voie d’un processus cumulatif, durable et autoentretenu de croissance.
C – Mais cette évolution a aussi des conséquences sociales destructrices.
La nécessité de fixer des limites au jeu des mécanismes impersonnels et aveugles du marché conduit à une montée de l’Etat qui devient un acteur clef du processus. Reste donc à considérer le rôle de l’Etat qui est absent de la formule de Polanyi. De fait, la rencontre de la machine et du marché n’a pas été spontanée, mais préparée et encadrée par des institutions qui en ont ensuite corrigé les effets les plus dévastateurs.
Conclure |
Résumer et répondre
La Révolution Industrielle est un processus global que les phénomènes liés au marché et à la technique contribuent fortement à éclairer. Ils n’épuisent toutefois pas toute l’explication d’un phénomène aussi complexe.
Ouvrir
Pour en rendre compte, il faut d’abord identifier les facteurs à l’œuvre. Le problème est ensuite de les hiérarchiser en distinguant ceux qui ont agi à court et à moyen terme, et ceux qui s’inscrivent dans la longue durée. Mais la vraie difficulté est d’intégrer tous ces éléments, qui sont en interaction, dans un schéma explicatif cohérent. La formule de Polanyi peut aider à construire un tel schéma.
Réfléchir sur des sujets voisins |
En voici deux :
Pourquoi l’Angleterre a-t-elle été le premier pays à amorcer le processus de son industrialisation ?
Analysez les ruptures à l’œuvre en Europe de l’ouest lors de la révolution industrielle (1780-1850)
Conforter ses connaissances |
Il est recommandé de se référer aux ouvrages suivants :
– La Révolution Industrielle, Patrick Verley, Collection Folio/ Histoire
– La Révolution Industrielle 1780-1880, Jean-Pierre Rioux, Editions du Seuil
– Histoire Economique, de la révolution industrielle à la première guerre mondiale, chapitre 1, Jean-Charles Asselain, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Dalloz, 1985
S’appuyer sur des citations |
Puisque c’est la faculté d’échanger qui donne lieu à la division du travail, l’accroissement de cette division doit par conséquent toujours être limité par l’étendue de la faculté d’échanger, ou, en d’autres termes, par l’étendue du marché.
Adam Smith, La Richesse des Nations, Paris, Gallimard, collection Idées, p. 51/52
Les marchés du travail, de la terre et de la monnaie sont sans aucun doute essentiels pour l’économie de marché. Mais aucune société ne pourrait supporter, ne fut-ce que pendant le temps le plus bref, les effets d’un pareil système fondé sur des fictions grossières, si sa substance humaine et naturelle comme son organisation commerciale n’étaient pas protégées contre les ravages de cette fabrique du diable
Karl Polanyi – La Grande Transformation, traduction française, Paris, Gallimard, 1983
Finalement, au centre de la « révolution industrielle », on trouve la question déjà posée par Auguste Blanqui : quels sont les rapports entre les machines et la «question sociale » ?
Daniel Diatkine et Jean-Marc Gayman, Histoire des faits économiques, tome 1, Collection Circa, Editions Nathan
« Si l’étude de la révolution industrielle en « pièces détachées » ne présente pas de difficultés insurmontables, il n’en va pas de même lorsqu’on s’essaye à leur assemblage »
Patrick Verley, La Révolution industrielle, opus cité.
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Rostow, auteur des Etapes de la Croissance Economique (1960), situe les dates du décollage dans les fourchettes suivantes
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Entre 1783 et 1805 pour la Grande Bretagne
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Entre 1830 et 1860 pour la France
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Entre 1845 et 1860 pour les Etats-Unis
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Entre 1850 et 1870 pour l’Allemagne
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Entre 1880 et 1900 pour le Japon
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Entre 1890 et 1910 pour la Russie
Utilisez votre carnet de notes pour y consigner les données que vous jugerez utiles.
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Plan détaillé n°1 : Les expériences de croissance des pays qui s’industrialisent au 19ème siècle sont-elles comparables ?
Répondre aux attentes des examinateurs |
Le décryptage de l’énoncé
Croissance est au singulier. On peut ici donner au terme le sens que lui donne Kuznets: «La croissance économique d’un pays peut être définie comme une hausse de long terme de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques ; cette capacité croissante est fondée sur le progrès technique et les ajustements institutionnels et idéologiques qu’elle requiert ».
On en déduit que la croissance est un processus cumulatif et autoentretenu d’industrialisation passant par une mutation des structures économiques et sociales. Il y a donc des mécanismes qui le perpétuent, il y a une dynamique de la croissance.
Selon Rostow, cette dynamique fait jouer les mêmes ressorts partout où elle s’exerce
Mais expériences est au pluriel : chaque pays a suivi sa voie propre comme l’a montré Gerschenkron.
Les erreurs à ne pas commettre
L’écueil à éviter serait de passer en revue les pays les uns après les autres, éventuellement en les regroupant deux à deux, pour conclure que leurs expériences ne sont pas comparables.
Cela reviendrait en effet à réciter pays par pays (Angleterre, France, Allemagne, Etats-Unis, Japon, Russie) tout ce qu’on a retenu du cours, pour en définitive ne rien comparer du tout. Pour comparer, on ne peut se contenter de décrire. Il faut adopter une méthode de raisonnement.
La démarche à suivre
Il s’agit d’un sujet d’analyse comparative posant la question de savoir si l’industrialisation a suivi pour tous les pays un schéma unique avec les mêmes étapes et un simple décalage dans le temps, ou si chaque pays a suivi une voie qui lui est spécifique, ce qui empêcherait de comparer leurs expériences.
La problématique est donc du type :
Les pays qui se sont industrialisés au 19ème siècle sont-ils passés par les mêmes étapes selon un schéma unique mettant en jeu des forces similaires (Rostow), ou ont-ils suivi chacun leur propre voie, ce qui rendrait la comparaison difficile (Gerschenkron) ?
Pour répondre à cette question, il faut prendre un modèle de référence, celui de l’Angleterre, et distinguer deux niveaux d’analyse:
– celui des caractéristiques générales du processus d’industrialisation fait apparaître de nombreuses similitudes
– celui des caractéristiques nationales spécifiques à chaque pays fait ressortir plus de divergences que de convergences avec les autres.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Vous devez ici convoquer avec discernement les connaissances acquises sur la manière dont au 19ème siècle se sont industrialisés l’Angleterre, la France, les pays du Zollverein, les Etats-Unis, le Japon et la Russie.
Par ailleurs il est indispensable de se référer, d’une part au schéma des étapes de la croissance économique proposé par Rostow et, d’autre part, aux travaux de Gerschenkron sur les pays d’industrialisation tardive.
En effet, si on suit Rostow les expériences sont comparables, alors que si on suit Gerschenkron elles ne le sont pas.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : Rechercher les points communs
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Même système technique, que les innovations soient nées dans le pays lui-même ou empruntées
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Mêmes ressorts et enchaînements similaires avec :des progrès dans l’agriculture, la formation d’un secteur moteur dans la filière légère, la formation d’un secteur moteur dans la filière lourde, et des effets d’entraînement et de diffusion du secteur moderne vers les secteurs traditionnels
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Mêmes interactions entre la machine et le marché, avec un effet d’unification du marché exercé par les chemins de fer
-
Même logique de transformations sociales favorisant le passage à une société de marché : transition démographique, séparation du capital et du travail, affirmation de nouvelles classes sociales
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Evolutions institutionnelles similaires permettant la création et le fonctionnement des marchés de facteurs (travail et capital)
-
Participation de tous ces pays à un espace économique commun qui s’internationalise
On a donc 3 grands thèmes de possibles rapprochements : la technique, les marchés, la société et ses institutions.
Mais si on situe l’analyse au niveau des caractéristiques spécifiques à chaque pays, ce sont les divergences qui l’emportent sur les convergences.
Deuxième volet de l’enquête Rechercher les divergences
– Agriculture : moteur dans certain cas, elle est un frein à l’industrialisation dans d’autres
– Chemins de fer : leurs effets industrialisants ont joué différemment selon les pays (pas au même moment, pas avec la même intensité)
– Rôle de l’Etat : les Etats mettent en œuvre des stratégies différentes d’industrialisation, ce qui induit des différences sur l’agriculture, sur la politique douanière, sur l’effort d’adaptation aux nouvelles technologies, sur la configuration de l’appareil productif, sur les modalités de la concentration, sur le financement.
Il en résulte des déviations croissantes par rapport au modèle anglais. Cela est à relier :
-
aux différences dans les dotations factorielles
-
à la nature et à la gravité des obstacles initiaux à surmonter.
Gerschenkron a bien mis en évidence ces différents points pour les pays d’industrialisation tardive.
Retravailler le plan
De cette enquête découle le plan suivant
I – Les pays qui se sont industrialisés au 19ème siècle ont connu des processus d’industrialisation comparables sous l’angle de leurs mécanismes généraux, c’est-à-dire par leurs aspects techniques, leur dynamique en terme de marché et leurs effets sur la société
II – Mais en raison de points de départ différents et de dotations différentes en facteurs de production, on observe entre les grandes puissances des écarts importants pour ce qui est du rôle de l’Etat et de la configuration du système productif
Répondre à la question posée
Derrière tous ces éléments, le phénomène sous-jacent est le retard plus ou moins grand par rapport à la Grande Bretagne. Rostow l’analyse comme un simple décalage dans le temps, alors que Gerschenkron le situe à l’origine de différences essentielles dans les modalités de l’industrialisation. Avec lui, on peut convenir que l’histoire de l’industrialisation n’est pas une série de pures répétitions de l’industrialisation anglaise, mais correspond à un système ordonné de déviations graduelles par rapport à cette première expérience. Cette manière de voir laisse la porte ouverte à une forme limitée de comparaison.
Pour la chute de la conclusion, deux pistes sont envisageables. La première ouvrirait une réflexion sur la manière de prendre en compte le temps (le fait que des pays soient en avance fait-il ou non naître pour les autres des processus d’irréversibilité ?). La seconde soulignerait les enjeux actuels de la question pour les pays en développement.
Deuxième subdivision : la Naissance de l’économie politique
Le programme d’AEHSC accorde une grande importance à l’histoire des idées économiques. Les candidats doivent avoir une bonne connaissance du point de vue développé par chacun des principaux courants d’analyse et des perspectives qu’ils ouvrent. Les deux sujets suivants sont l’occasion de vérifier qu’un bagage suffisant a bien été acquis sur le courant classique et sur l’économie marxiste
Plan détaillé n° 2 – Quelles analyses faites-vous des liens entre les théories des classiques d’une part, le contexte et les faits de la révolution industrielle de l’autre ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Le courant dit classique regroupe des auteurs aussi divers qu’Adam Smith, David Ricardo, Thomas Robert Malthus, Jean Baptiste Say et John Stuart Mill. Leur point commun est d’avoir défendu et argumenté une conception libérale du fonctionnement de l’économie. Cela les a tous conduits à souligner les vertus de la concurrence et de la liberté d’entreprendre, tout en faisant preuve d’une grande méfiance envers l’Etat.
Après avoir identifié les classiques, il faut remarquer qu’ils appartiennent à trois générations successives qui ont été contemporaines du processus d’industrialisation en Angleterre et en France.
Il faut ensuite évoquer dans son esprit ce qu’on entend par révolution industrielle, en se souvenant que c’est un moment clef de l’histoire économique se traduisant par le passage d’une économie d’ancien régime à une économie de marché.
Les erreurs à ne pas commettre
Le sujet demande de mettre à jour les liens entre des théories et des faits. Il faut donc raisonner en termes d’interactions.
Une première erreur (grossière) serait bien sûr de réciter sans discernement dans une première partie tout ce que l’on sait sur Smith, puis Ricardo, Say, Malthus et Mill, pour ensuite aligner des considérations générales sur la révolution industrielle.
Un deuxième erreur serait de confondre ce qui est de l’ordre de la pensée et ce qui est de l’ordre de la réalité. Ce n’est pas parce que tel penseur à tel moment a développé tel ou tel raisonnement que son analyse a eu un impact sur les faits.
Une troisième erreur consisterait à adopter des positions trop déterministes. La pensée est toujours tributaire du contexte dans lequel elle s’exprime, mais n’est jamais totalement déterminée par lui.
La démarche à suivre
La question est de savoir si les classiques ont correctement interprété les aspects fondamentaux du processus qui se déroulait sous leurs yeux. Leurs analyses en fournissent-elles une grille de lecture pertinente ? Si on pousse plus avant la réflexion, on est aussi amené à se demander si leurs théories n’ont pas également agi sur le cours des événements, en contribuant à modifier le cadre dans lequel le processus d’industrialisation a pris naissance (tout en sachant qu’elles ont nécessairement été en retour tributaires de ce contexte).
De cette approche découle un plan en 3 parties pour montrer que leurs théories
– sont en correspondance avec les faits de la Révolution industrielle, dont ils ont mis à jour les ressorts fondamentaux
– ont influencé son contexte et ont contribué à le faire évoluer
– ne prennent pas en compte des aspects importants des phénomènes observés (sous-estimation des tensions sociales, non prise en compte des rapports de force et d’exploitation) et sont tributaires du contexte qui les a vues naître.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Pour élaborer une réponse efficace il faut partir à la recherche d’arguments précis sur les trois aspects qui structurent le plan. Cela amène à passer en revue les connaissances acquises :
-
en histoire économique, sur les faits de la Révolution industrielle
-
en histoire de la pensée économique, sur les théories formulées par les auteurs dits classiques
Ne doivent être retenus que les éléments qui enrichissent l’argumentation et la font progresser, sans répétition ni retour en arrière. Il faut donc faire preuve de méthode et de discernement.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : Les classiques ont identifié les ressorts fondamentaux de la Révolution Industrielle.
Ils ont mis en évidence les origines et les mécanismes de la croissance : division du travail, développement des échanges et accumulation du capital.
A- La division du travail, en lien avec le développement des échanges, est selon les classiques à la source de la richesse, ce que confirme la révolution industrielle
La richesse des nations est constituée selon Smith de « toutes les choses nécessaires et commodes à la vie » que permet d’obtenir le travail annuel de cette nation.
Ayant donné une définition moderne de la richesse, Smith étudie les facteurs de son augmentation. Il pose qu’au fondement de la richesse d’un pays il y a la productivité du travail (ce qui fait la richesse d’une nation c’est la « puissance productive » du travail de ses habitants). Puis il montre que c’est la division du travail qui en accroît la productivité par trois voies différentes : spécialisation des ouvriers dans une tâche donnée et une seule, diminution des pertes de temps causées par le changement de tâche, utilisation de machines.
La division du travail sera d’autant plus poussée que grandit la taille des marchés. Entre ces deux éléments s’établit un cercle vertueux que Smith a clairement mis en évidence
Le « penchant à faire des échanges d’une chose pour une autre » pousse au développement des échanges. Ceux-ci rendent possibles la division du travail, ce qui permet de produire plus. Il y a donc plus à échanger, ce qui autorise un approfondissement de la division du travail etc.
Cela correspond bien à ce qui s’est passé pendant la révolution industrielle où l’essor des marchés s’est effectué en parallèle avec la modernisation de l’industrie (illustrez par l’exemple du textile puis de l’industrie lourde).
B – Leurs analyses mettent à juste raison l’accent sur le rôle clef de l’accumulation du capital et de l’épargne
Accumulation du capital : dans la phase initiale du démarrage de la croissance elle est essentielle. Grâce à l’épargne, qui finance les investissements, elle permet l’élargissement progressif du stock de ressources productives dont dispose l’économie. Dans un contexte où le niveau de vie de la majorité de la population est très bas, seuls les plus riches sont capables de dégager cette épargne, conformément aux vues des classiques.
L’épargne des capitalistes est alors bien la condition nécessaire du processus de croissance économique: sans elle pas d’accumulation du capital, et donc pas d’accroissement de la “richesse des nations”.
Condition nécessaire, l’épargne est également à juste titre considérée comme la condition suffisante de la croissance dans le contexte de la révolution industrielle. Selon la loi de Say, toute épargne est en effet nécessairement investie, ce qui correspond bien aux données de la révolution industrielle, période où l’épargnant et l’investisseur sont une seule et même personne et où prime l’autofinancement des entreprises.
Deuxième volet de l’enquête : Leurs théories sont en accord avec le contexte de la révolution industrielle et ont contribué à le transformer
A – Leurs analyses sont en accord avec le contexte
On peut le vérifier sur trois points clefs que sont la répartition, la monnaie et les crises.
Leur analyse de la répartition est conforme à ce qui prévaut au moment de la révolution industrielle. Les salaires ouvriers sont alors d’un niveau très bas et permettent à peine l’achat du « panier » de biens de consommation (aliments, etc.) nécessaires à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille. La donne salariale est conforme à leur théorie du salaire de subsistance.
La société est alors bien divisée en trois groupes, définis par la nature de leurs revenus, comme le stipulent les classiques. Il s’agit des propriétaires fonciers qui perçoivent la rente, des entrepreneurs indépendants qui captent les profits et des travailleurs salariés.
L’idée classique selon laquelle la monnaie n’est pas recherchée pour elle-même, mais uniquement pour les produits qu’elle permet d’acquérir, est cohérente avec les comportements monétaires de la grande majorité des agents au temps de la révolution industrielle. Simple intermédiaire des échanges, elle ne sert pour l’essentiel qu’à régler les transactions portant sur les biens et services qu’elle permet de se procurer.
Si le processus d’industrialisation a connu des crises périodiques (le plus souvent liées à l’essor des chemins de fer), il ne s’agissait pas de crise générale, et elles ont été surmontées par le seul jeu des mécanismes de marché. Cela est conforme à la loi des débouchés formulée par Say, selon laquelle « les produits s’échangent contre des produits ». De cette assertion, on déduit que si des crises surviennent, elles ne sont que la traduction passagère de désajustements sectoriels que l’Etat ne doit pas chercher à corriger.
B – Elles ont contribué à le modeler
Elles ont en effet exercé une influence directe sur l’adoption de mesures telles que l’abolition des « poor laws » (Etat gendarme) et des « corn laws » (libre échange) et sur la mise à bas de l’édifice contraignant de réglementation hérité de la période mercantiliste. C’est sous leur influence qu’a eu lieu le passage au « laissez faire – laissez passer », avec en particulier la suppression des corporations et de toutes les règles qui empêchaient l’instauration d’un marché libre du travail.
Plus généralement, elles ont eu une réelle portée sur le cadre dans lequel se déroule la révolution industrielle, cadre qui devient libéral sous l’influence de leurs idées : respect absolu de la propriété privée, intervention minimale de l’Etat réduit aux fonctions d’un Etat gendarme, force de la concurrence.
Troisième volet de l’enquête : Elles sont tributaires du contexte dont elles ne prévoient pas l’évolution et ignorent des aspects importants.
A – Leurs théories sont erronées sur les perspectives de croissance
Pour les classiques, le profit, à la fois source de financement et motif de l’accumulation du capital, est le véritable moteur de la croissance. Or, de la théorie de la rente différentielle formulée par Ricardo, il ressort que le taux de profit naturel est voué à baisser puis à s’annuler à long terme. Ils en déduisent que la croissance s’achemine vers un terme inéluctable, qui est l’état stationnaire.
Cette perspective a été contredite par les faits. On est au début d’un formidable et très durable processus de croissance, mais les classiques pensent qu’il va assez vite s’arrêter.
Cette erreur s’explique :
– par la non prise en compte du progrès technique dont la force a été libérée par la révolution industrielle. C’est le progrès technique qui a contrecarré le phénomène des rendements décroissants dans l’agriculture.
– par la non prise en compte des mutations démographiques induites par la révolution industrielle. Nous savons aujourd’hui que, si le « principe de population » de Malthus peut à certains égards être considéré comme un bon schéma explicatif pour la période qui précède la révolution industrielle, il n’en va plus de même pour la suite marquée par la transition démographique.
B – Elles ont ignoré des aspects importants
On peut en particulier remarquer :
– qu’ils méconnaissent les réalités de l’exploitation et la force des tensions sociales nées de la révolution industrielle. Cela est à relier à une conception fausse de la nature des lois économiques qui ne sont pas des lois naturelles, mais des lois historiques en interaction avec le contexte
– qu’à l’exception de Jean Baptiste Say, ils méconnaissent le rôle de l’entrepreneur. Pour Smith et pour Ricardo, celui-ci est soit le capitaliste lui-même, soit son « commis » salarié, et dans les deux cas cela ne nécessite pas une analyse spécifique. Seul Say a fait de la fonction d’entrepreneur une fonction nettement distincte de celle du capitaliste. L’entrepreneur, pour Say, est celui qui combine les « services productifs » du travail, du capital et, éventuellement, de la terre en vue d’obtenir des produits. Cette fonction ne doit pas, à ses yeux, être confondue avec celle du capitaliste qui est de fournir les « services productifs » de son capital. Ce faisant, Say préfigure directement l’analyse néo-classique de la production et de la répartition.
Répondre à la question posée
Cette réponse ne peut être que nuancée. Elle est le résultat de la manière dont on enchaîne les arguments développés ci-dessus. En conclusion, il faut en résumer les éléments essentiels et ouvrir sur d’autres perspectives. Une manière de le faire est de se référer à Marx qui a mis l’accent sur des aspects ignorés par les classiques. Il a pourtant à son tour été prisonnier du contexte en prenant pour des tares permanentes du capitalisme des caractéristiques bien réelles de son temps, mais qui se sont par la suite révélées n’être que transitoires.
Plan détaillé n°3 – La dynamique du capitalisme au 19ème siècle est-elle conforme aux analyses de Marx ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Dynamique, du grec « dunamis », force : ce qui est relatif aux forces, à la notion de force. La dynamique considère les choses dans leur devenir. La dynamique d’un système s’analyse comme l’ensemble des forces en interaction et en opposition au sein de ce système. Etudier sa dynamique, c’est étudier ses évolutions.
Capitalisme au 19ème siècle : Proudhon le définit de manière pertinente comme un régime économique et social dans lequel les capitaux, source de revenus, n’appartiennent pas, en règle générale, à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail.
Analyser la dynamique du capitalisme, c’est donc prendre en compte l’histoire des faits économiques et sociaux qui ont caractérisé les grandes évolutions de ce système des débuts de la révolution industrielle à 1914.
Il faut toutefois préciser que Marx n’emploie pas le mot « capitalisme », mais parle du mode de production capitaliste (MPC).
Le concept de mode de production
Un mode de production articule des forces productives (moyens de production, travailleurs, savoir-faire, techniques, sciences) et des rapports de production (relations nouées entre les individus pour produire, rapports qui organisent la manière sociale de produire). Ce qui caractérise le MPC est le salariat ainsi que l’opposition entre le groupe social des détenteurs des moyens de production et le groupe social formé de ceux qui n’ont à vendre que leur force de travail. Forces productives et rapports de production forment ensemble l’infrastructure, sur la base de laquelle s’édifie la superstructure (droit de la propriété, institutions, idéologies)
Analyses de Marx, avec analyses au pluriel. Il faut donc se référer aux analyses de Marx dans leurs différentes dimensions :
– Au plan économique, Marx a tenté de dégager les lois de l’accumulation du capital et des crises de cette accumulation dans le cadre du MPC. Il a aussi prêté attention aux phénomènes de concentration.
– Au plan social, il a analysé le passage à une société de classes marquée par le conflit entre le groupe de ceux qui possèdent les moyens de production (la bourgeoisie) et le groupe de ceux qui n’ont à vendre que leurs forces de travail (le prolétariat). De l’observation des faits tels qu’il les interprète, Marx déduit que la société née de la révolution industrielle serait inévitablement marqué par une double tendance à la bipolarisation de sa stratification et à la paupérisation du plus grand nombre.
Ce qu’il ne faut pas faire
Les conseils et consignes sont les mêmes que pour le sujet précédent
La démarche à suivre
Une première réflexion sur le sujet conduit à se poser les questions suivantes :
La théorie marxiste contribue-t-elle à la compréhension de la dynamique du capitalisme au 19ème dans ses aspects aussi bien économiques que sociaux ? Si oui, quels sont les points où elle s’avère la plus pertinente ? Par ailleurs cette praxis (ou théorie pour l’action) n’a t’elle pas aussi peu ou prou influencé les évolutions dont elle avait pour ambition de dévoiler les lois ?
Pour répondre à ces questions il faut confronter la manière dont Marx analyse les ressorts du capitalisme libéral aux faits marquants de l’histoire économique du 19ème et montrer, d’abord en quoi elle se montre pertinente, puis sur quels terrains elle a été invalidée par les faits.
La recherche des arguments va donc être guidée par une articulation distinguant simplement
I – Ce qui semble pertinent et pourquoi puis II – Ce qui est invalidé et pourquoi.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Confronter les faits aux théories suppose d’avoir une bonne connaissance des uns et des autres
Ainsi il faut aussi être capable d’identifier les grandes tendances de l’évolution du capitalisme au 19ème siècle. Accumulation du capital, crises, concentration, coût social de l’industrialisation, exportations de marchandises et de capitaux sont autant de thèmes sur lequel le sujet conduit à s’interroger et qui, donc, doivent être traités.
Par ailleurs sur Marx (1818 -1883), il faut pouvoir faire état de quelques indications biographiques et, au minimum, savoir se référer au Manifeste du Parti Communiste (1848) et au Capital (Tome 1, 1867)
Il faut aussi et surtout avoir acquis les connaissances de base permettant de maîtriser les principaux concepts de Marx et la terminologie qu’il emploie : mode de production, plus value, composition organique du capital, loi de la baisse tendancielle du taux de profit, inévitable disproportion entre la section 1 et la section 2 sont autant de points qu’il faut avoir assimilé.
On peut en outre prendre en compte les développements de la pensée marxiste qui ont suivi la disparition de Marx et se référer :
-
aux théories de l’impérialisme formulées par Lénine et Rosa Luxemburg
-
aux orientations réformistes des responsables marxistes du SPD allemand
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : Ce qui semble pertinent et pourquoi
Le 19ème siècle est marqué par un essor sans précédent des forces productives dans le cadre de rapports sociaux durs et conflictuels conduisant à l’accroissement des inégalités sociales.
En ce sens la vision de Marx semble pertinente et cela se vérifie à 2 niveaux : celui des évolutions de la stratification sociale et celui de la dynamique des économies capitalistes.
1 – L’analyse marxiste fournit une grille de lecture des grandes tendances de l’évolution sociale
1° – Les sociétés qui s’industrialisent au 19ème siècle sont marquées par l’exode rural et la prolétarisation du travail ouvrier.
Exode rural : Marx en a étudié avec précision les causes et les conséquences en Angleterre.
Prolétarisation : la constitution d’un prolétariat de fabrique a été particulièrement bien mise en évidence dans Le Capital.
2°– D’une société d’ordres on passe à une société de classes, ce que Marx a bien fait ressortir.
Marx entend par classe un groupe social réunissant des individus ayant des intérêts communs, en ayant conscience et s’organisant pour les défendre. Au 19ème siècle tendent effectivement à se former deux groupes sociaux aux intérêts antagonistes : la bourgeoisie, qui se ferme après 1850, et le prolétariat qui peu à peu rassemble dans une condition voisine un nombre croissant d’ouvriers.
3° – La dynamique des évolutions sociales au 19ème siècle est conflictuelle, avec des luttes sociales récurrentes placées sous le signe de rapports de force poussant les camps en présence à s’organiser. Le 19ème siècle est le siècle de la question sociale, ce dont Marx rend compte à sa manière à travers sa conception de la lutte des classes. La dureté des rapports sociaux pousse le mouvement ouvrier à s’organiser et suscite la montée du syndicalisme et du socialisme. Marx lui-même, cofondateur de la première internationale à Londres en 1864, est un acteur de ce mouvement.
2 – Au 19ème siècle, les économies capitalistes suivent une dynamique d’accumulation et d’inégalités.
Marx en rend compte par une analyse radicale mais pénétrante :
1° – L’accumulation du capital au 19ème siècle est effectivement étroitement liée à l’exploitation de la main d’œuvre ouvrière
2° – Les crises économiques sont récurrentes, et Marx est le premier à en fournir un schéma complet d’interprétation
3°– Les thèses sur l’impérialisme de Lénine et Rosa Luxembourg complètent celles de Marx de manière éclairante.
Deuxième volet de l’enquête : Ce qui est invalidé et pourquoi
1 – Ce qui est invalidé par les tendances effectives de l’évolution du capitalisme
1° Sa thèse de la bipolarisation a été contredite par l’essor des classes moyennes, alors que le monde ouvrier reste d’une grande hétérogénéité.
2°– Sa thèse de la paupérisation (qui n’a pas été absolue) et des crises (qui n’ont pas abouti au renversement du mode de production capitaliste) n’a pas été confirmée.
3°– Sa vision de l’organisation du mouvement ouvrier (qui a évolué vers le réformisme) et du rôle futur de l’Etat (qui n’a pas dépéri) a été démentie.
2 – Pourquoi cette invalidation par les faits ?
1°– Sa construction repose sur des outils analytiques contestables. Il s’agit notamment de la théorie de la valeur-travail et de son corollaire, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. On peut aussi relever que Marx appréhende le progrès technique seulement à travers la hausse de la composition organique du capital, et ne parvient pas à résoudre le problème de la transformation des valeurs en prix.
2°– Les fondements exclusivement matérialistes et déterministes de son approche sont réducteurs.
3°– Sa démarche sous-estime la capacité d’adaptation du capitalisme (la concentration a été facteur de vitalité et non le prémisse de sa chute) et sa faculté à susciter le progrès technique à travers une différenciation croissante des besoins. Marx est un théoricien de l’accumulation mais n’a pas su penser l’essor de la consommation.
Répondre à la question posée
La trame de la réponse est fournie par les éléments ci-dessus. La conclusion doit les reprendre en les résumant. Une synthèse pourrait être formulée de la façon suivante : Marx a analysé de façon pertinente une période particulièrement sombre de l’histoire du capitalisme. Mais il rend mal compte, sur le long terme, des grandes tendances de son évolution que la diffusion de ses idées a d’ailleurs contribué à infléchir.
Thème III – Croissance et développement du capitalisme au 20ème siècle
Avec cette troisième partie, on pénètre au cœur du programme de première année en poursuivant quatre objectifs complémentaires. Il s’agit d’abord d’assimiler les principaux faits relatifs à la croissance des pays capitalistes depuis 1914, puis de comprendre la manière dont ils ont été interprétés et modélisés par des théories concurrentes dont les conclusions peuvent sensiblement diverger. Il est également demandé d’analyser la manière dont le développement économique agit sur les structures de l’appareil productif et de mettre en évidence le rôle joué par les entreprises dans ces transformations.
Programme de travail
Subdivisions du thème |
Sujet traité |
1 – Les croissances : principaux faits et typologie des facteurs (travail, capital, progrès technique) |
Plan détaillé n° 4 : Vous analyserez les ruptures à l’œuvre en Europe de l’ouest pendant et à l’issue de la première guerre mondiale. Plan détaillé n° 5 : Il est d’usage de lier la forte croissance économique des PDEM, entre la fin de la 2ème guerre mondiale et les chocs pétroliers, à la mise en œuvre des idées keynésiennes. Dans quelle mesure ce point de vue est-il fondé ? |
2 – Les théories de la croissance : croissance équilibrée, déséquilibrée, croissance endogène |
Plan détaillé n° 6 : En quoi les recherches sur les causes et la modélisation de la croissance ont-elles permis aux économistes d’améliorer leur compréhension du processus tel qu’il se déroule dans les P.D.E.M. depuis la fin de la 2ème guerre mondiale ? |
3 – Croissance et transformations de l’appareil productif |
Plan détaillé n° : Causes et conséquences de la tertiarisation des économies avancées. HEC, épreuve écrite |
4 – L’entreprise et le développement économique |
Sujet n° 7 : La concentration est-elle toujours un obstacle à la concurrence ? ESCP, épreuve écrite |
Première subdivision – Les mutations de la croissance depuis 1914
La première guerre mondiale a bouleversé en profondeur l’ordre économique et social qui prévalait avant 1914. A l’issue du conflit, la croissance acquiert des caractéristiques nouvelles et connaît plusieurs phases d’une exceptionnelle intensité. Ce sont les caractéristiques spécifiques du processus et de ses mutations depuis 1914 qu’il s’agit ici d’étudier à la lumière des enseignements de l’histoire économique du 20ème siècle et du début du 21ème siècle.
Plan détaillé n° 4 : Vous analyserez les ruptures à l’œuvre en Europe de l’ouest pendant et à l’issue de la première guerre mondiale. Vous appuierez l’argumentation sur des faits précis de l’histoire économique et sociale ainsi que sur votre connaissance des mécanismes de l’analyse économique.
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Analyser vient du grec analusis qui signifie « décomposition, résolution ». Selon le dictionnaire Robert, l’analyse est l’opération intellectuelle consistant à décomposer un phénomène en ses éléments essentiels, afin d’en saisir les rapports et de donner un schéma de l’ensemble.
Une rupture ce n’est pas seulement un changement, ni même un bouleversement. Il y a rupture si le retour à la situation antérieure est impossible. Les ruptures évoquées ici marquent en l’occurrence un retour impossible à l’ordre d’avant guerre.
Les bornes chronologiques du sujet vont de 1914 à la fin des années 20. Au plan géographique, il englobe l’Allemagne, la France et le Royaume Uni
Les erreurs à ne pas commettre
Vous disposez d’une certaine latitude pour répondre à la question posée, à condition de ne pas énumérer une succession d’idées et de faits, non hiérarchisés ni reliés entre eux.
Cela conduit à ne pas adopter un plan purement descriptif du type :
I – Pendant la guerre (avec description de l’économie de guerre)
II – A l’issue de la guerre (avec restitution plus ou moins complète du cours sur les années 20).
Mieux vaut également écarter un plan thématique du type : les ruptures politiques et économiques, les ruptures monétaires et financières, les ruptures sociales et au sein de la société des nations. Sa mise en œuvre serait en effet délicate (difficulté à équilibrer les parties, risque de répétitions, caractère artificiel de la troisième partie).
La démarche à suivre
Quelles ruptures et pourquoi ?
L’enquête à mener doit répondre à cette double interrogation en recherchant les éléments de la réponse au moment même de la guerre (à court terme), au lendemain du conflit (à moyen terme), puis en inscrivant les mutations observées dans une perspective plus longue (celle du long terme).
Cela conduit à adopter un plan du type :
I – La guerre comme rupture
II – Les déséquilibres que cela génère dans les années qui suivent
III – Pourquoi cela rend impossible le retour à la normale
Pour ne pas déprécier la qualité d’ensemble du travail, il est bien sûr indispensable de porter une grande attention aux transitions entre les parties et les paragraphes.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Le sujet demande la maîtrise de connaissances précises aussi bien d’histoire que d’économie.
Pour le traiter, il faut pouvoir mobiliser les éléments du cours portant sur les aspects économiques et sociaux de cette catastrophe qu’a été la première guerre mondiale, mais aussi sur la période qui l’a précédée et celle qui l’a suivie.
Sur tous ces points la lecture de l’ouvrage de Jean Charles Asselain est vivement conseillée [Histoire Economique Du XXème siècle – La montée de l’Etat (1914- 1939), Presse de Sciences po et Dalloz, en particulier les chapitres 1 et 2].
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : Le court terme
Les destructions provoquées par le conflit, ainsi que la manière dont il a fallu s’organiser pour soutenir un effort de guerre démesuré et le financer, sont à la racine de toutes les ruptures.
La première rupture immédiate, qui aurait pu n’avoir des effets que de court terme : est le passage à une économie de guerre. Le conflit se prolongeant et prenant les proportions d’un cataclysme sans précédent, il a fallu se tourner vers l’Etat pour mettre en place un système centralisé d’allocation des ressources. Cela s’est traduit par la réquisition des matières premières et des moyens de transport, la répartition autoritaire des ressources en main d’œuvre et en capital, la restructuration de l’économie par branches sous forme de cartels de guerre ou d’institutions du même type, la taxation des prix, le rationnement des vivres, l’alourdissement de la pression fiscale, l’interdiction des grèves, la police des salaires.
Les modalités de mise en œuvre de ces mesures ont été diverses selon les pays. Mais partoue s’impose un dirigisme très poussé. Les circonstances étant exceptionnelles, cela reste compatible avec la doctrine libérale.
Les conséquences de cette première rupture portent :
-
sur l’appareil productif : les branches liées à la guerre reçoivent une très forte impulsion, les autres connaissent le marasme et la décapitalisation. L’appareil productif subit un processus accéléré de destruction créatrice. Il est poussé à se concentrer, à standardiser ses productions et à rationaliser ses méthodes. Globalement le potentiel productif des pays européens décline par rapport à celui des Etats – Unis.
-
sur la sphère monétaire et financière : les modalités du financement (avec un recours systématique à la création monétaire) conjuguées à la situation de pénurie font naître l’inflation. Cette inflation est d’abord contenue. Son rythme est différent selon les pays mais cela n’a pas ou peu d’incidences sur les changes pendant la guerre. Outre l’inflation, la situation est marquée par un endettement croissant, voire un surendettement, des nations européennes. Leur position financière connaît un affaiblissement irrémédiable mais qui, dans le cas de l’Angleterre, n’est pas encore flagrant à la fin du conflit.
Le conflit a donc provoqué :
– la montée de l’Etat
– des mutations du marché (plus de concentration, moins de concurrence, plus de rigidité des salaires et des prix)
– une rupture de la relation Etat/Marché telle qu’elle prévalait avant 1914, avec un blocage des mécanismes concurrentiels de rééquilibrage
– un traumatisme démographique
– une modification en profondeur des rapports de force internationaux et de la hiérarchie des nations au profit des Etats-Unis
– une remise en cause complète des règles du jeu dans le domaine monétaire et financier.
Deuxième volet de l’enquête : Le moyen terme
A l’issue du conflit prédomine dans chaque pays la conviction que la guerre n’a été qu’une simple parenthèse. Il n’y a pas non plus de volonté de coopération entre les nations pour faire face à la nouvelle situation héritée de la guerre, ni de pays leader capable de faire émerger entre elles un consensus et de l’imposer.
De ces deux attitudes découlent des politiques dont la mise en œuvre va transformer en cassures définitives les ruptures apparues pendant la guerre, et en faire naître de nouvelles.
La volonté de « retour à la normale », c’est-à-dire à la situation d’avant 1914, est partagée par tous les responsables. Elle a pour conséquences :
– le démantèlement rapide des structures de l’économie de guerre (fin du dirigisme, échec du courant planiste) et le retour à l’orthodoxie libérale.
– l’attitude de la France sur les dommages de guerre dont elle demande la réparation intégrale.
– l’attitude de l’Allemagne refusant de porter seule le poids des responsabilités (déclarer que l’Allemagne est moralement seule responsable du déclenchement du conflit est une nouveauté par rapport aux règles du jeu qui prévalaient au 19ème ; l’Allemagne conteste l’article 232 du Traité de Versailles).
– la volonté des anglo-saxons de revenir à un équilibre des forces en Europe.
– l’isolationnisme des américains et leur attitude sur la question des dettes interalliées.
De toutes ces divergences de vues naît la question des réparations et du remboursement des dettes. Ces dossiers empoisonnent les relations internationales et rendent encore plus difficile la concertation entre les nations.
De l’absence de cette dernière découlent :
-
la conduite en ordre dispersé des politiques économiques. France et Allemagne laissent filer l’inflation en pensant que cela est conforme à leurs intérêts nationaux. A l’inverse, le Royaume Uni s’attaque au problème par une politique trop brutale de déflation.
-
la mise en place d’un système monétaire international boiteux (le gold exchange standard ou GES de Gènes) avec une redéfinition dans le désordre des parités des monnaies.
-
le conflit entre Londres et New York pour s’assurer la prédominance financière.
Troisième volet de l’enquête : Le long terme
La conjonction de tous ces déséquilibres non résolus contribue à faire advenir la crise de 29. Cette dernière consacre :
-
au plan idéologique, une rupture majeure avec la remise en cause du libéralisme et des certitudes d’hier. A la domination des idées libérales va bientôt succéder celle de la pensée keynésienne
-
au plan pratique, la montée de l’Etat. Après une courte phase de recul, les pouvoirs publics interviennent de plus en plus sur le terrain économique (gestion des crises, régulation du système dans son ensemble, responsabilité en dernier ressort de la croissance et de l’emploi)
-
au plan social, pas de révolution mais une rupture des équilibres qui prévalaient avant la guerre. Cela se traduit, après la guerre, par une transformation du statut des femmes et par des réformes. Avec la crise de 29 s’impose l’idée que dans le domaine social également, l’Etat doit assumer des responsabilités particulières. Il doit agir pour corriger les injustices et garantir la cohésion de la société. Cela conduit tout droit à l’Etat providence.
Répondre à la question posée
Avec le conflit, le paysage industriel, politique et financier est durablement et profondément bouleversé. Cela donne naissance à des ruptures systémiques portant
1° – sur l’orthodoxie libérale et ses corollaires : rigueur budgétaire, Etat gendarme.
2° – sur l’appareil productif : il est marqué par un processus accéléré de destruction créatrice avec des répercussions sur la population active et sur la concentration des entreprises.
3° – sur le financement de l’économie : de la guerre naît une économie d’endettement et même de surendettement
De telles ruptures systémiques ne peuvent laisser intacts les grands équilibres d’avant guerre. Ainsi
1° – l’inflation est apparue
2° – la hiérarchie internationale a été corrigée
3° – les rapports sociaux ont été mis sous tension
Plan détaillé n° 5 : Il est d’usage de lier la forte croissance économique des PDEM, entre la fin de la 2ème guerre mondiale et les chocs pétroliers, à la mise en œuvre des idées keynésiennes. Dans quelle mesure ce point de vue est-il fondé ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
La croissance est l’augmentation soutenue pendant une période longue de la production d’un pays. Généralement on retient le PIB à prix constants comme indicateur de croissance.
Les chocs pétroliers correspondent aux deux épisodes de très forte augmentation des cours du brut survenus en 1973 et en 1979. Le cadrage chronologique du sujet correspond donc à la période qui va de 1945 à la fin des années 70.
Les idées keynésiennes sont celles de Keynes et des continuateurs de son analyse. Elle ont dominé le champ de la réflexion économique jusqu’au tournant libéral du début des années 8O.
Leur mise en œuvre correspond à ce qu’en ont compris, retenu et appliqué les responsables des politiques économiques.
Les erreurs à ne pas commettre
L’erreur la plus grave serait de considérer que Keynes est un théoricien de la croissance. L’horizon de sa réflexion est le court terme, ainsi qu’en témoigne son aphorisme bien connu selon lequel « à long terme, nous serons tous morts ». Il a développé sa pensée dans un contexte de dépression où manifestement les facteurs de production étaient sous-utilisés. Keynes attribue la responsabilité de cette situation à la mise en œuvre de politiques inappropriées, inspirées par une doctrine libérale dépassée. Pour sortir de l’ornière il faut relancer l’économie en utilisant le budget et la monnaie. Cela permet de faire jouer l’effet multiplicateur. Mais le multiplicateur n’agit pas sur le potentiel de croissance de l’économie. Ce dernier dépend des effectifs de la population active, de la productivité de son travail, du volume et de la qualité des équipements ou encore du progrès technique, mais non de mécanismes qui n’agissent que sur la conjoncture.
Les prescriptions keynésiennes portent donc sur la manière dont il convient de réguler et stabiliser l’économie par des politiques de soutien de la demande. Mais elles ne concernent pas directement l’offre qui est la clef de l’évolution à long terme du potentiel de croissance d’un pays.
La démarche à suivre
Le sujet demande d’éclairer les liens entre l’intensité et la durée de la phase de croissance qui s’ouvre à l’issue du deuxième conflit mondial, et les actions de l’Etat dérivant des conceptions de Keynes et de ses émules.
La période de la reconstruction puis des « trente glorieuses » se caractérise en effet par des performances exceptionnelles en terme d’emploi et de progression du niveau de vie.
On relie souvent ces performances à la mise en œuvre des idées de Keynes.
Mais n’y a-t-il pas d’emblée une contradiction entre l’horizon de Keynes (le court terme) et celui de la croissance (le long terme), et de ce fait un malentendu sur la portée réelle du keynésianisme ?
Pour répondre à cette question il faut mener une enquête en deux temps consistant :
I – à présenter les idées de Keynes et leur mise en œuvre pour montrer que les politiques d’inspiration keynésienne ont pu favoriser la croissance
II – à montrer que la croissance relève aussi d’autres facteurs plus fondamentaux alors que l’application des idées de Keynes a suscité des effets pervers.
Le fait de lier forte croissance et mise en œuvre des idées keynésiennes conduit donc à se demander ce qu’est une politique keynésienne, pour en évaluer ensuite la contribution à la croissance.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Le sujet demande des connaissances précises d’histoire économique sur la période de haute croissance qu’ont connue les principaux pays développés entre la fin de la guerre et les chocs pétroliers.
Il faut aussi avoir compris ce qui fait la spécificité du point de vue keynésien sur l’économie et avoir assimilé les préceptes de politique économique qui en découlent.
Pour enrichir l’argumentation, il est utile de se référer, en contrepoint, aux thèses monétaristes et, en complément, aux conceptions des auteurs de l’école de la régulation.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : En quoi la mise en œuvre des prescriptions keynésiennes a-t-elle pu stimuler la croissance ?
A – Les idées de Keynes et les prescriptions qui en découlent :
Ses prescriptions découlent d’une vision de l’économie dont les grandes lignes sont :
-
de concevoir l’économie en terme de circuit
-
de postuler que la loi des débouchés est fausse et que, de ce fait, offre et demande peuvent ne pas correspondre
-
d’attribuer à l’Etat la responsabilité de réguler la conjoncture et de stabiliser la demande.
Au passage, on aura précisé les concepts de demande effective et d’équilibre de sous-emploi, et on aura explicité le mécanisme du multiplicateur.
De cette analyse on déduit que l’Etat doit mettre en œuvre des politiques contracycliques (c’est-à-dire de nature à contrecarrer les phases du cycle) en maniant le budget et la monnaie (aspects conjoncturels). Il doit stabiliser la demande globale en socialisant en partie l’investissement et en redistribuant les revenus (aspects structurels).
Son approche est séduisante pour les gouvernements car elle permet de concilier efficacité économique et justice sociale. Elle l’est aussi pour l’opinion car elle valorise la consommation et s’inscrit dans une perspective hédoniste.
B – Leur mise en œuvre :
Au plan conjoncturel : à l’issue de la guerre, les Etats ont acquis la maîtrise complète de l’arme monétaire (avec des banques centrales dépendantes du gouvernement, sauf dans le cas de la Bundesbank en République Fédérale d’Allemagne) et manient les dépenses publiques à travers des politiques discrétionnaires. Les gouvernements ont tous les leviers de commande. Ils disposent d’outils qui peuvent jouer aussi bien dans le sens du frein que de l’accélérateur. La perspective devient celle du réglage fin de la conjoncture. Pendant les 30 glorieuses, la croissance est spontanément forte : on utilise donc ces outils le plus souvent pour résorber les déséquilibres induits par une surchauffe de l’économie grâce à des « plans de refroidissement » (à titre d’exemples on peut se référer, dans le cas de la France, au plan Pinay de 1958, ou au plan Giscard d’Estaing de 1963)
Il y a toutefois des cas où on s’en est servi avec succès pour stimuler une croissance jugée insuffisante : tel est le cas des new economics de Kennedy et Johnson aux Etats-Unis dans les années 60.
Dans l’ordre structurel, la pensée de Keynes a eu des conséquences au plan économique et au plan social.
Au plan économique, sa pensée a pu fournir des arguments aux partisans de la planification (réduire l’incertitude, agir positivement sur les anticipations des entrepreneurs privés). Elle a aussi pu être invoquée par les défenseurs des nationalisations, la création d’un important secteur public étant un moyen radical de socialiser l’investissement (toutefois Keynes n’y était pas favorable, la socialisation de l’investissement pouvant passer par des moyens plus respectueux de l’économie de marché).
Au plan social ses positions ont influencé les rapports Beveridge en Angleterre et Laroque en France, et donc la mise en place de systèmes complets de sécurité sociale. Dans une optique keynésienne, ces derniers stabilisent le pouvoir d’achat au niveau macroéconomique, ce qui permet d’éviter les enchaînements déflationnistes à l’issue d’une crise. Ils permettent aussi de diminuer l’épargne de précaution.
C – En quoi cela a-t-il été favorable à la croissance ?
Les politiques conjoncturelles ont permis de stabiliser la conjoncture et de rapprocher croissance effective et croissance potentielle.
Les réformes structurelles ont stimulé l’investissement. Elles ont aussi favorisé la cohésion sociale en conduisant à un partage plus équitable des fruits de la croissance. Selon l’école de la régulation, cela a contribué à une bonne articulation de la production et de la consommation de masse.
Mais ces politiques n’ont pas été l’élément moteur de la croissance qu’il faut chercher ailleurs. De plus elles ont aussi eu des effets pervers.
Deuxième volet de l’enquête : Pourquoi les politiques keynésiennes n’épuisent-elles pas l’explication de la croissance, et de quelle manière ont-elles pu la déséquilibrer ?
A – D’autres facteurs sont à rechercher du côte de l’offre et du contexte
Ils ont été mis en évidence par les analyses théoriques sur la croissance (objet d’étude auquel Keynes ne s’intéressait pas). Ont été dans ce sens les travaux de Solow, de Denison, de Carré, Dubois et Malinvaud, ou encore les théories de la croissance endogène. Tous ces travaux mettent en évidence le rôle du travail, du capital et du progrès technique. Ces points sont analysés dans le plan détaillé suivant, mais d’ores et déjà ayez le souci de vous y attaquer en anticipant ce qui va suivre. En cours toutes les questions ne peuvent être approfondies, les modèles de croissance ne peuvent être exposés dans le détail. Il est indispensable de ne pas tout attendre du professeur et de fournir un effort personnel de compréhension et d’assimilation des mécanismes d’analyse économique inscrits au programme.
L’étape suivante consiste à repérer les forces qui transforment le contexte et favorisent la croissance à l’issue de la deuxième guerre mondiale: ouverture des économies, essor des échanges dans un cadre qui devient multilatéral, construction de l’Europe, rattrapage du pays leader par les pays suiveurs sont autant de phénomènes qui influent positivement sur la productivité qui est l’élément clef du dynamisme des économies.
B – Des effets non désirés sur la conjoncture
Les politiques d’inspiration keynésienne n’ont au départ pas considéré que l’inflation était un problème. Elles ont contribué à terme à son accélération, sans alors parvenir efficacement à la combattre.
Dans un pays comme le Royaume Uni, elles ont été facteurs de déséquilibres répétés de l’économie, confrontée soit à l’inflation et au déficit extérieur, soit à la récession et à la dégradation de l’emploi. Les politiques peu efficaces de freinage (stop) ou de relance (go) n’étaient pas de nature à apporter des remèdes aux véritables faiblesses de l’économie mais au contraire contribuaient à entretenir les déséquilibres qu’elles étaient censées combattre.
C – Des effets indésirables sur les structures
Sous l’influence des idées keynésiennes dominantes, l’Etat est de plus en plus intervenu dans l’économie, au détriment de l’initiative privée. Dans les pays comme la France ou le Royaume Uni, il a constitué un important secteur public. Mais à terme, cet Etat patron s’est révélé inefficace.
Dans le domaine social, la dynamique propre à l’Etat providence va le conduire à inexorablement grossir, avec des problèmes récurrents de financement. Or l’alourdissement des prélèvements obligatoires a fini par avoir des effets désincitatifs nuisibles à la croissance. Il en est de même de la multiplication des prestations qui tend à déresponsabiliser les agents économiques.
Globalement, les idées de Keynes ont servi à justifier la montée continue des dépenses publiques dont le poids a fini par nuire au dynamisme de l’économie des pays qui n’ont pas maîtrisé le processus.
Répondre à la question posée
Il faut attribuer à Keynes ce qui lui revient. Les politiques de gestion de la demande globale lui sont imputables et ont pu avoir des effets bénéfiques. Sa justification de l’intervention de l’Etat dans l’économie selon certaines modalités a joué un rôle dans l’essor sans crise caractéristique de la période des 30 glorieuses.
Mais l’application trop mécanique de ses idées a aussi eu des conséquences négatives
De surcroît ces politiques ont mal fonctionné quant on a voulu les mettre en œuvre pour relancer la croissance après le premier choc pétrolier (stagflation). Cela a ouvert la voie au retour en force des idées libérales qui, à nouveau, mettent l’accent sur l’offre.
Deuxième subdivision – Les théories de la croissance
L’analyse économique s’est efforcée d’identifier les mécanismes générateurs de croissance qui sont à l’œuvre derrière la multiplicité des faits. En élaborant des modèles, elle s’est attachée à les représenter de manière schématique, mais aussi fidèle que possible. Cette démarche a permis d’en savoir plus sur la dynamique de la croissance. Mais beaucoup reste à découvrir en raison du grand nombre d’éléments en interactions que fait intervenir le processus.
Plan détaillé n° 6: En quoi les recherches sur les causes et la modélisation de la croissance ont-elles permis aux économistes d’améliorer leur compréhension du processus tel qu’il se déroule dans les P.D.E.M. depuis la fin de la 2ème guerre mondiale ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
– La croissance est, rappelons le, l’augmentation soutenue pendant une période longue de la production d’un pays. L’indicateur retenu pour la mesurer est en général le PIB à prix constants.
– La modélisation est une démarche consistant à représenter la réalité de manière simplifiée, en ne retenant que les éléments essentiels à l’explication du ou des phénomènes dont on cherche à rendre compte. Pour étudier la croissance, la démarche des économistes s’est appuyée sur l’élaboration de modèles de croissance dont les plus connus sont les modèles keynésiens (Harrod-Domar, Kaldor), le modèle néo-classique (Solow) et les modèles de croissance endogène (Romer, Barro)
– Les causes de la croissance peuvent d’abord être cherchées du côté de l’offre qui elle-même dépend des facteurs de production, c’est-à-dire du travail et du capital qu’il est possible de mettre en œuvre. Il s’agit alors de mesurer leur contribution à la croissance observée pendant une période donnée. Cette démarche de quantification est celle qu’ont suivie Carré Dubois et Malinvaud. En 1972, ces trois économistes français ont publié sur le sujet un ouvrage de référence qui a pour titre « La croissance française. Essai d’analyse causale ». Après avoir chiffré le plus précisément possible l’apport à la croissance des éléments jouant du côté de l’offre, les auteurs ne peuvent que constater l’existence d’un résidu inexpliqué. Ils recensent alors les causes intervenant du côté de la demande (consommation des ménages, investissement des entreprises, exportations) et prennent en compte l’influence de l’évolution des mentalités, des progrès de l’information économique, ou encore de la gestion des entreprises et des politiques publiques. Le problème est que l’impact de chacun de ces éléments ne peut être quantifié alors qu’ils jouent un rôle très important, puisque, pris ensemble, ils « expliquent » plus de la moitié du taux de croissance enregistré. On les regroupe sous le vocable de progrès technique. Cette manière de procéder définit le progrès technique plus comme un fourre-tout que comme un concept robuste. Elle n’est donc pas satisfaisante. Ce défaut est au point de départ des travaux ultérieurs de modélisation de la croissance.
– Recherches sur la nature et les causes de la croissance, cela fait bien évidemment penser au titre de l’ouvrage fameux d’Adam Smith. Que nous apprennent ces recherches sur les ressorts profonds et sur l’essence même de la croissance ? Comme souvent en économie, les réponses divergent en mettant l’accent sur des aspects différents du processus.
Pour les auteurs de modèles de croissance d’inspiration libérale, tels que Solow, la croissance est un phénomène naturel que régulent spontanément les forces du marché, pour peu qu’on les laisse fonctionner. A cela, les théoriciens de la croissance endogène ont ajouté par la suite la nécessité d’actions structurelles ciblées lorsque le marché est défaillant. Tel est le cas dès lors qu’on est en présence d’effets externes et de biens publics. Cette approche rejoint celle inaugurée par Smith dès le 18ème siècle, lorsqu’il attribue à l’Etat la responsabilité d’ériger et d’entretenir les ouvrages et institutions utiles à la collectivité mais dont les profits à court terme sont insuffisants pour que des agents privés en prennent l’initiative.
Pour les keynésiens et les régulationnistes, la croissance n’est en revanche pas un processus « naturel » que le jeu des mécanismes de marché suffirait à assurer. Elle doit être régulée.
Les erreurs à ne pas commettre
Le danger est ici de partir dans toutes les directions, faute d’avoir cadré correctement le sujet. Il s’agit d’argumenter sur la question posée et sur elle seulement, c’est-à-dire de faire preuve de discernement.
Le sujet est centré sur la croissance et donne la priorité aux approches théoriques (recherches sur…). Il faut donc limiter la partie factuelle : surtout pas de vastes revues des évènements depuis 1945 avec une série de généralités sur la croissance et la marche de l’économie dans les PDEM depuis 50 ans. Ce serait hors sujet et donc pénalisant.
N’oubliez pas que dans une copie de concours les passages récités, non resitués dans une argumentation structurée et ciblée, sont sanctionnés.
La démarche à suivre
Il faut partir des recherches sur les causes et la modélisation de la croissance et illustrer par des faits quand cela est utile. Encore est- il nécessaire de commencer par délimiter à quels travaux précis correspondent ces recherches. Ce travail de repérage est explicité ci-dessous dans la rubrique « Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser ».
Mais avant de l’aborder, il faut rechercher les lignes directrices du raisonnement
Le plus simple est dans un premier temps d’établir un constat, en montrant que les recherches entreprises sur le sujet ont permis de mettre en lumière la pluralité des causes d’un processus dont tous les facteurs ne sont pas quantifiables.
Ce constat conduit à une analyse plus fine de ce qui est pour la plupart des économistes au principe même de la croissance, à savoir le progrès technique. Les recherches sur le progrès technique ont permis une meilleure compréhension de ses sources et de la manière dont il agit sur la croissance.
Ce constat et cette analyse débouchent sur des conclusions qui ne sont pas consensuelles. En effet, la question de la régulation de la croissance fait toujours l’objet de controverses entre plusieurs approches concurrentes.
L’enquête à mener doit donc dresser un constat, présenter une analyse de la question du progrès technique et faire état des divergences
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Au regard de la question posée, les références indispensables sont les travaux d’Harrod et Domar, Kaldor, Solow, Carré-Dubois-Malinvaud et ceux des théoriciens de la croissance endogène.
Le modèle d’ Harrod-Domar établit que la condition d’équilibre de la croissance s’écrit g = s/v, où g est le taux de croissance, s est le taux d’épargne et v le coefficient de capital (soit le rapport entre un montant de capital K et la production Y qu’il permet d’obtenir).
Les hypothèses retenues par ce modèle sont telles que s et v sont fixes et ne peuvent donc servir de variables d’ajustement. Quand l’économie s’écarte des valeurs d’équilibre, aucune force de rappel n’y ramène spontanément. Au contraire, des processus cumulatifs accentuent les déséquilibres initiaux. Livrée aux seules forces de l’économie de marché, la croissance est donc forcément déséquilibrée. La seule issue est de la stabiliser par des politiques conjoncturelles systématiques dont le succès n’est pas garanti.
L’intérêt majeur de leur travail est d’être le premier modèle moderne de croissance, celui dont sont issus tous les autres. Il définit un cadre formalisé de raisonnement, ce qui est un apport méthodologique essentiel.
Le modèle de Kaldor prend en compte la possibilité d’un rééquilibrage de la croissance à travers les variations du taux d’épargne s. Mais il conclut aussi à la nécessité d’une régulation systématique de la conjoncture par les pouvoirs publics.
Le modèle de Solow fait du coefficient de capital v la variable d’ajustement. Quand, sur les marchés de facteurs, le prix relatif du travail varie par rapport à celui du capital, v s’ajuste, ce qui garantit le maintien de la condition d’équilibre de la croissance (g = s/v). Dans cette optique, la croissance est un phénomène naturel qui peut être équilibré et vigoureux par le seul jeu des forces du marché, ce qui est en phase avec ce que l’on observe dans les années 50 et 60. Mais c’est un phénomène qui reste mystérieux.
En effet, en raison de la loi des rendements décroissants, la croissance devrait se bloquer. En définitive, le progrès technique est la seule source d’élévation du niveau de vie. Sans lui le taux de croissance de l’économie ne dépasserait jamais celui de la population et le revenu réel par tête resterait stationnaire. Cet élément est donc capital. Il n’est pourtant pas explicité. Le modèle de Solow traite en effet le progrès technique comme un facteur gratuit, fruit d’une activité non élucidée de recherche et d’invention qui n’est rémunérée par rien. Tombé du ciel de la technique, c’est une sorte de manne dont l’analyse ne relève pas de la compétence des économistes.
Carré, Dubois et Malinvaud ont fait progresser la compréhension du phénomène (voir ci-dessus). Mais leurs travaux s’inscrivent dans la lignée de ceux de Solow. Ils se heurtent donc à la même difficulté conceptuelle sur le progrès technique, toujours considéré comme exogène, c’est-à-dire étranger au champ d’étude de l’analyse économique.
Les théories de la croissance endogène ont en revanche permis de progresser dans l’explication de la croissance et la compréhension du progrès technique. Fruit du comportement des agents, il est à la fois cause et conséquence de la croissance. Cette approche souligne en outre l’intérêt de certaines actions structurelles de l’Etat pour nourrir la croissance.
Pour conforter vos connaissances, reportez vous aux deux ouvrages ci-dessous :
– Eck, JF, Histoire de l’économie française depuis 1945, collection Cursus, Colin
– Carré, Dubois et Malinvaud, La croissance française, Essai d’analyse causale, Points, Seuil (en en lisant en priorité la conclusion).
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Premier volet de l’enquête : Le constat
Les travaux de Carré, Dubois et Malinvaud ne cherchaient au départ qu’à mesurer la contribution de chacun des facteurs de production à la croissance observée.
L’importance de la part non expliquée de la croissance les a conduits à mener une analyse complète de ses causes.
Leurs recherches montrent que la croissance est un phénomène complexe issu de la conjonction d’éléments multiples qui ne sont pas tous quantifiables.
Deuxième volet de l’enquête : L’analyse
Son moteur est le progrès technique dont les économistes ont progressivement amélioré leur compréhension. Du constat du « résidu », ils sont passés à son exploration, puis au repérage des activités génératrices d’ externalités positives. Ces dernières autorisent en effet l’accumulation de certaines formes de capital à rendements non décroissants ce qui permet à la croissance de se poursuivre sans se bloquer. Tel est le cas de l’éducation (accumulation de capital humain), de la recherche-développement (accumulation de connaissances technologiques), des infrastructures (accumulation de capital public). Jouent dans le même sens les effets d’apprentissage (accumulation d’expérience).
Troisième volet de l’enquête : Les controverses
Sur la régulation du processus, il n’y a toujours pas de consensus.
Pour les néo-classiques, c’est un phénomène naturel que régulent spontanément les forces du marché pour peu qu’on les laisse fonctionner. A cela, les théoriciens de la croissance endogène ajoutent la nécessité d’actions structurelles ciblées lorsque le marché est défaillant. Leur approche rejoint et prolonge celle inaugurée par Smith dès le 18ème siècle. Sous cet angle on peut soutenir qu’il n’y a rien de très nouveau.
Pour les keynésiens et les régulationnistes, la croissance n’est pas un processus « naturel » que le jeu des mécanismes de marché suffirait à assurer. Elle doit être régulée par des politiques conjoncturelles appropriées (selon les keynésiens) et de manière plus large s’inscrit dans un contexte institutionnel en évolution (selon les régulationnistes).
Répondre à la question posée
Il apparaît aujourd’hui clairement que la croissance est pour une part un phénomène naturel, né de la dynamique de l’économie de marché, et pour une autre part un processus à encadrer, à équilibrer et à réguler par des institutions. Ce qui fait toujours problème c’est le dosage ainsi que les modalités de l’action
Troisième subdivision – Croissance et transformations de l’appareil productif
Au fur et à mesure que se déroule le processus d’industrialisation et que les économies les plus avancées pénètrent plus avant sur la voie de la croissance économique moderne, les structures productives évoluent, en lien avec les mutations de la population active. La principale manifestation de ces transformations est la tertiarisation des activités qui fait l’objet du sujet ci-dessous.
Plan détaillé n° 7 : Causes et conséquences de la tertiarisation des économies avancées (H.E.C., épreuve écrite)
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Dans son rapport sur le sujet, le jury précise d’emblée que « l’absence de datation explicite indiquait qu’il convenait d’envisager, pour le traiter, une assez large période, s’étendant au moins sur l’ensemble du 20ème siècle ». Il est donc exclu de se restreindre à un passé récent.
Le même rapport fait aussi le constat suivant : « Assez curieusement, un nombre limité de candidats s’est astreint à donner des définitions qui permettraient d’avancer quelques éléments premiers de description du phénomène et d’explicitation de ses causes et de ses conséquences ». On en déduit que la majorité des candidats ne l’a pas fait.
Les membres du jury proposent de définir les économies avancées comme « des économies complexes marquées par l’innovation et un développement continu, où ces caractéristiques ont fait l’objet d’une prise de conscience collective amenant à une gestion plus ou moins précise de ce développement : ceci permet de les situer après le milieu ou à la fin du 19ème pour la plupart des grandes nations européennes et américaines ».
Il fallait aussi définir les activités tertiaires en se référant à l’analyse de Fourastié qui retient le critère de l’absence ou de la faiblesse des gains de productivité.
Leur essor nourrit un processus de tertiarisation. Lié au développement économique des nations, ce processus se manifeste en particulier par un accroissement de la part des activités de services dans le PIB et par une hausse du pourcentage de personnes actives occupées dans le tertiaire. Ce secteur économique est plus diversifié que le secteur secondaire. On y trouve des activités marquées par une faible valeur ajoutée par personne occupée et par des rémunérations qui se situent souvent au bas de l’échelle salariale, comme c’est le cas du nettoyage, de l’hôtellerie ou de la restauration. Mais il se compose aussi d’activités caractérisées par une valeur ajoutée par tête et par une productivité moyenne très élevées, telles que les banques, les assurances ou les services de conseils informatiques aux entreprises. Le secteur des services est donc très hétérogène.
Les erreurs à ne pas commettre
Il est indispensable d’inscrire la réflexion dans une perspective historique relativement longue. Selon le rapport du jury : « Une copie qui ne prend appui que sur les évolutions récentes ne pouvait traiter convenablement les questions proposées à ce concours ». Le jury rappelle au passage « toute l’importance de l’histoire économique et sociale du 19ème siècle, période de référence pour beaucoup de sujets dans cette épreuve… »
Dans son rapport figure également l’observation suivante : « Les aspects économiques ont aussi souvent tendance à submerger le volet social du sujet : il est important que les candidats aient des notions précises sur les grands changements sociaux des sociétés industrialisées ».
Il faut donc absolument intégrer dans l’argumentation les aspects sociaux de la question.
Il est en outre précisé qu’il ne faut pas non plus ignorer les problèmes de mesure et donner quelques ordres de grandeur : le rappel de la part du tertiaire dans les productions nationales en 1914, 1950 et aujourd’hui était nécessaire pour évoquer les grandes tendances de la tertiarisation.
La démarche à suivre
Ainsi que l’indique le rapport, le plan Causes /Conséquences est évident. Mais rien n’interdit de faire un effort d’organisation de l’argumentation, ce qui peut conduire
– soit à Evolutions/Causes/Conséquences
– soit à Causes/Conséquences/Prévisions à long terme
– ou encore à causes/conséquences/enjeux de société
Dans tous les cas, cela permet d’obtenir des exposés plus nuancés.
«Le jury encourage les candidats à prendre quelques risques en réfléchissant à des plans qui permettent un équilibre plus subtil de l’argumentation »
Dans son rapport, le jury établit une liste des causes et des conséquences qui lui paraissent mériter d’être retenues. A titre d’illustration, parmi les causes répertoriées, citons :
– l’absence de gains de productivité
– le déversement sectoriel (Clark, Sauvy)
– la complexification de la consommation des ménages
– la croissance du secteur public
– la financiarisation des économies (développement des assurances…)
– la féminisation des emplois, la disparition des emplois domestiques
– tous les phénomènes liés à la production domestique (Gershuny, Becker)
– l’internalisation ou l’externalisation des activités tertiaires des entreprises
– la diversification des produits opérée par les entreprises à travers l’incorporation de services (Lancaster)
– les effets des crises économiques (recentrement des firmes sur leurs activités primaires)
– le rôle des inégalités (services de proximité nécessitant pour être rémunérés un accroissement des inégalités)
Les conséquences de la tertiarisation des économies sont tout aussi diverses, ainsi qu’on l’analysera ultérieurement. Si le recensement des causes et des conséquences est indispensable à un premier stade de la réflexion, il est non moins indispensables de les regrouper et de les hiérarchiser pour structurer la réponse, ce qu’on fera ci-dessous. Mais auparavant, il faut repérer les auteurs et les connaissances à mobiliser.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Les précurseurs
Dès 1935, Allan Fisher observe un glissement des emplois et des investissements du secteur primaire (les activités agricoles et extractives) vers le secondaire (les industries de transformation) puis enfin le tertiaire (le reste). C’est sans doute à cet auteur que l’on doit l’invention du terme tertiaire.
Colin Clark (1940) constate lui aussi un glissement inéluctable vers les services, glissement qu’il attribue à une tertiarisation de la demande finale. Ce sont ses réflexions qui aboutissent à la généralisation de la trilogie sectorielle : « primaire, secondaire, tertiaire », encore largement utilisée pour analyser les structures économiques nationales.
Jean Fourastié est le premier à proposer une définition positive (c’est-à-dire non résiduelle) des services. En retenant comme critère le rythme de croissance de la productivité, Fourastié distingue : le secteur primaire qui regroupe les activités dont le rythme de croissance de la productivité est moyen, le secteur secondaire, qui comprend celles dont le rythme de croissance de la productivité est élevé et enfin le tertiaire, qui réunit celles dont le rythme de croissance de la productivité est faible ou nul.
Les approches ultérieures : post industrialisme et néo-industrialisme
Il existe chez les économistes de fortes divergences quant au rôle des services dans la dynamique économique et quant aux enjeux de la croissance tertiaire. Depuis les travaux des précurseurs, de nombreuses thèses ont vu le jour. Elles relèvent de deux conceptions opposées de l’économie et de la société de services : une conception post-industrialiste et une conception néo-industrialiste. La première explique la croissance des services par une logique de substitution aux biens et la seconde par une logique de complémentarité. Le clivage porte donc sur la question suivante : quel est le moteur de la croissance des services ? Selon la réponse donnée, les conséquences diffèrent.
Les travaux de Daniel Bell (1976) annoncent l’avènement d’une société postindustrielle. Il la présente tout à la fois comme une société de services, une société d’abondance, une société urbaine, une société du savoir, et enfin, une société plus juste.
Jonathan Gershuny, en opposition à la société postindustrielle, annonce quant à lui l’avènement d’une société de self-service. Sa thèse s’appuie sur le constat d’une tendance au « suréquipement » des ménages en technologies domestiques visant à autoproduire des services au sein de la sphère familiale. Elle s’inscrit dans un ensemble de théories et conceptions relevant d’un courant dit néo-industriel.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : à la recherche des causes de la tertiarisation
En France, selon les données disponibles, le secteur tertiaire occupait environ 15% de la population active au début du 19ème siècle, avec des effectifs composés pour une bonne part de domestiques. Ce chiffre s’élève à 26 ,1% en 1896, puis à 37,3% en 1949 et à 50,9% en 1974, alors qu’aujourd’hui, près des trois quarts des emplois sont occupés dans les services.
En trente ans, le secteur tertiaire a pris une place prépondérante dans les économies avancées. Dans celles de l’Organisation de coopération et de Développement Economique (OCDE), le secteur des services représente aujourd’hui plus de 70 % de l’emploi total et de la valeur ajoutée. Il y assure la quasi-totalité de la croissance de l’emploi.
Comment expliquer cette croissance du tertiaire ?
Les éléments cités par le jury peuvent être regroupés en 2 catégories ayant trait aux comportements des ménages et aux comportements des entreprises.
Essor des services et comportement des ménages
On doit considérer tout d’abord la loi d’Engel : celle ci indique que la hausse du niveau de vie s’accompagne d’une transformation du mode de vie. Celui ci se caractérise par une consommation plus soutenue de services au détriment en particulier de la part de l’alimentation dans le budget des ménages. La production de services doit donc augmenter. A ce stade intervient la relation de Fourastié. Elle établit que la variation relative de l’emploi est égale à la variation relative de la production moins la variation relative de la productivité. Les gains de productivité du secteur des services étant plutôt faibles, toute croissance de l’activité tertiaire se traduit par une hausse de l’emploi dans ce secteur. Cette explication rend compte de la croissance à long terme de l’emploi du tertiaire, mais également de l’essoufflement constaté à partir des années 80 du fait de la forte croissance de la productivité dans certains secteurs des services.
Il faut en 3ème lieu tenir compte de l’effet de déversement. Selon ce mécanisme, mis en évidence par Alfred Sauvy, la croissance de la productivité sur le long terme dans le primaire et le secondaire entraîne une réduction des emplois, mais aussi une hausse des revenus dans ces secteurs. Cette hausse du pouvoir d’achat profite à la consommation de services, conformément à la loi d’Engel. La relation de Fourastié intervient alors pour permettre de comprendre le développement concomitant de l’emploi tertiaire auquel s’articule l’effet de déversement. En se conjuguant les trois mécanismes induisent bien une dynamique de tertiarisation de l’économie.
Tertiarisation et comportement des entreprises
Intervient ici le phénomène d’externalisation exprimant le fait qu’au lieu de faire, les entreprises peuvent faire faire. Ainsi en est-il de l’entretien et de la surveillance des locaux, de la restauration du personnel, du convoyage de fonds mais aussi de multiples autres activités de service. Cela participe donc au phénomène de tertiarisation. Ce choix répond à une logique de réduction des coûts de production : on fait appel à des entreprises spécialisées dans leur domaine, et donc plus efficaces. On évite également de coûteuses immobilisations en capital. C’est en outre un facteur de flexibilité qui permet de reporter sur l’entreprise externe l’ajustement des effectifs à la conjoncture, et par là de protéger le noyau « dur » de l’entreprise donneuse d’ordre. On est donc fondé à parler d’une tertiarisation de l’industrie.
A ces facteurs traditionnels s’en ajoutent désormais d’autres, nés de la complexité croissante des processus productifs. On met alors en avant la sophistication, la diversité et la différenciation accrue des produits (« what we produce ») ainsi que de la complexité croissante de l’organisation (« how we produce ») des structures productives, pour expliquer la montée en puissance des services de haut niveau destinés aux entreprises et aux organisations. Dans un tel cadre, l’expansion des services résulte essentiellement des besoins croissants en services complémentaires destinés directement aux entreprises. Il s’agit de services accompagnant la distribution de biens, la formation du capital humain, la répartition spatiale ou encore la régulation d’ensemble du système productif. C’est bien ici le système productif qui apparaît, dans ses mutations techniques et organisationnelles, au centre de l’analyse de l’économie des services.
Une autre piste d’analyse considère que dans les sociétés modernes, les individus, mais également les organisations, n’achètent plus des objets mais des systèmes complexes. Or, ces systèmes induisent par essence de l’incertitude. Ils sont par ailleurs sujets à une forte vulnérabilité. Ces deux éléments constituent les motifs puissants de la croissance de certains services visant à la réduction de l’incertitude ainsi qu’à la couverture financière des risques encourus. Les services apparaissent alors comme le moyen de prévoir, de surmonter et de réduire la vulnérabilité inhérente à des systèmes de plus en plus complexes.
Plusieurs facteurs expliquent donc le phénomène de tertiarisation de la société, avec ses conséquences sur l’emploi, la consommation et l’investissement.
Deuxième volet de l’enquête : La mise en évidence des conséquences
On peut les regrouper en deux volets et considérer :
- que la tertiarisation a un impact sur l’organisation interne des entreprises, les relations de travail et donc l’emploi.
- qu’elle affecte l’environnement des entreprises et la conduite des politiques publiques.
Conséquences sur l’emploi et les relations de travail
En bouleversant l’organisation des entreprises, la tertiarisation a transformé les relations entre les salariés et leur travail. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont suscité de nouvelles formes d’organisation interne dans les entreprises, notamment le travail à distance. Mais si les contraintes d’espace s’estompent, celles de délais et de qualité d’exécution se renforcent.
Parallèlement les relations hiérarchiques changent de nature, le travail s’organise autour de projets menés par des équipes autonomes, constituées d’ouvriers, d’employés, de commerciaux ou de cadres. Le rôle de l’encadrement évolue vers des missions d’animation et de mise en relation de réseaux.
Dans un tel cadre, les compétences attendues d’un salarié se trouvent également modifiées. Les employeurs demandent un investissement personnel plus important, un savoir-faire non seulement technique mais aussi relationnel et organisationnel.
Les horaires de travail deviennent plus flexibles et de nouvelles formes de pénibilité apparaissent (stress, harcèlement, sentiment d’isolement), alors que le temps de travail se différencie moins des autres temps sociaux. En terme de qualification des emplois, l’hétérogénéité du secteur des services renforce leur diversification avec une augmentation à la fois des basses et des hautes qualifications.
Cette évolution a donc provoqué de nombreux bouleversements dans le rapport des salariés à leur travail, que ce soit en termes de temps, de responsabilités, de compétences ou de reconnaissance. Sur le marché du travail, l’essor du tertiaire s’est accompagné de celui des emplois précaires. Il est à craindre que cela accentue la segmentation du marché du travail avec d’un côté un marché primaire où l’emploi est stable, qualifié et bien rémunéré, et de l’autre un marché secondaire où l’emploi est instable, peu qualifié et mal rémunéré.
Conséquences sur l’environnement des entreprises et la conduite des politiques publiques
Pour ce qui est de l’environnement dans lequel évoluent les entreprises, le rapport du jury indique deux pistes d’analyse.
Au plan social se manifestent
– des effets sur la promotion sociale (existe-t-il plus de méritocratie dans les emplois tertiaires ?)
-
un impact sur les inégalités
-
des problèmes d’identification sociale
-
une baisse du rôle des syndicats
-
un changement des modes de vie (avec une confrontation de la production domestique et de la production marchande)
Au plan économique apparaissent :
-
des tensions inflationnistes du fait de l’absence de gains de productivité et des transmissions intersectorielles des hausses de salaires
-
des effets prix et revenu, tels que les a étudiés Baumol
-
un lien entre services et faible croissance
-
un impact sur la concentration (avec la constitution de réseaux pour les activités tertiaires à coûts fixes importants)
-
la fuite des cerveaux des PVD pour répondre aux besoins que suscite l’économie de la connaissance dans les pays les plus avancés
-
la diminution des gains à l’échange international, qui sont en général plus élevés pour les biens
-
des phénomènes de délocalisation
Dans un tel contexte, pour que les décideurs publics puissent raffermir la croissance économique et améliorer les bases de la performance future des économies de l’OCDE, il est indispensable que le secteur des services affiche de meilleurs résultats. Cela passe par l’établissement de priorités. En 2005, l’OCDE a publié un rapport sur Les services et la croissance économique. Il en ressort qu’à travers des politiques structurelles, il faut :
-
progresser rapidement vers des marchés de services plus ouverts et plus concurrentiels, à la fois au niveau national et au niveau international.
-
laisser aux entrepreneurs plus de latitude pour explorer les nouvelles possibilités commerciales dans le secteur des services, en particulier au niveau mondial, et offrir un environnement fiscal propice à la croissance des services.
-
améliorer d’urgence le fonctionnement des marchés du travail et des institutions connexes afin d’aider les économies de l’OCDE à s’adapter à la mondialisation et à la montée en puissance des services. Les politiques d’éducation et de formation ont manifestement un rôle clé à jouer en dotant les travailleurs des qualifications nouvelles qui leur seront nécessaires dans une économie de services de plus en plus mondialisée.
-
améliorer les politiques visant l’innovation et les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les services, car l’association des TIC et des innovations de procédés constitue la clé de l’accélération des gains de productivité dans ce secteur.
Découlent donc de la tertiarisation des conséquences pour l’ensemble de la société, avec des mutations de grande ampleur. Comment les interpréter ? Quelle est la nature de l’économie et de la société actuelles et à venir ? Sur ce point, deux schémas de lecture s’affrontent opposant les approches post-industrielles aux approches néo-industrielles.
Troisième volet de l’enquête : les enjeux de société
La thèse post-industrielle
Selon Daniel Bell (1976), la société de services est une société post-industrielle. Cette société est une société d’abondance. L’industrialisation et la productivité industrielle élevée ont contribué à une grande profusion des biens matériels. Du fait de coûts (et donc de prix) relativement faibles, les ménages peuvent accroître rapidement leur niveau d’équipement en appareillages domestiques.
Elle est aussi une société urbaine, avec une concentration des services dans les villes où l’on peut jouir pleinement de cette société d’abondance. L’emploi étant concentré dans les grands centres urbains, on assiste à un dépeuplement graduel des campagnes.
Elle est également une société du savoir. La société postindustrielle est centrée sur le savoir scientifique, la maîtrise de l’innovation et les technologies à fondement scientifique. Ce point est central dans la thèse de Bell qui s’appuie sur quatre faits stylisés : la prééminence de la classe des professionnels et techniciens, la primauté du savoir technique, la planification de la technologie et la recherche de lignes de conduite rationnelles, que l’auteur qualifient de nouvelles technologies de l’intellect.
C’est alors la nature même du travail qui change. Celui-ci se fonde de plus en plus sur des contacts directs entre personnes, qui échangent de l’information et du savoir. La primauté du savoir scientifique et technique et la prééminence des métiers de techniciens et professionnels confèrent un rôle particulier à la formation universitaire: « Dans cette société, le centre de gravité se déplace de plus en plus nettement vers le “secteur du savoir”, qui absorbe une part croissante de la main-d’oeuvre et forme une part croissante du PNB » (Bell,opus cité, p. 259).
C’est enfin une société plus juste. Les nouveaux modes de gestion sont en effet plus socialisés, plus planifiés et concertés. Ils supposent des valeurs moins individualistes que celles qui caractérisent la société industrielle. Cela s’accompagne d’une intervention croissante de l’État, tant dans la formation des revenus que dans le contrôle du fonctionnement des marchés. Bell considère que les locomotives du tertiaire sont les services de santé, d’éducation, de recherche, d’environnement, les services publics et administratifs. A terme, ces services à caractère collectif, qui pour l’essentiel sont associés à l’Etat Providence, devraient prendre le pas sur les autres catégories de services.
Les approches néo-industrielles
Les approches dites néo-industrielles ont en commun de ne pas envisager les services en dehors d’une économie à base prioritairement industrielle. Elles mettent ou remettent l’industrie au coeur du débat.
Une société de « self-service »
Parmi ces approches, la théorie élaborée par Jonathan Gershuny (1978) apparaît comme la plus aboutie. Plus qu’à une croissance de la demande de services, on assisterait à une croissance de la demande de biens manufacturés. En effet, l’équipement croissant des ménages en biens manufacturés contribuerait au remplacement de nombreux services (achetés sur le marché) par des solutions de « self-service ». Gershuny conteste donc la réalité d’une transition postindustrielle. Selon lui, les sociétés restent fondamentalement des sociétés industrielles. Sa théorie s’organise autour d’un raisonnement microéconomique. Elle défend l’idée d’une économie où la tendance est davantage au suréquipement des ménages qu’au développement des services. L’avènement d’une société de service ne serait qu’une illusion liée à la montée des emplois tertiaires. Or, ces emplois, tout comme l’ensemble des emplois industriels, sont en réalité tournés vers la conception, la production, et la vente de biens matériels à destination des ménages. Pour Gershuny, l’industrie assure une production croissante de biens matériels, qui sont acquis et utilisés par les ménages pour (auto)-produire, à titre privé, et dans la sphère domestique, les services dont ils ont besoin. Dès lors, on assisterait au développement d’une véritable société de self-service. Pour Gershuny, la tendance au self-service devrait se poursuivre pour deux raisons. D’une part l’innovation technologique permet de réduire régulièrement le prix des « machines à usage domestique ». D’autre part, le coût du travail relativement élevé dans les sociétés développées rend le prix des services externes prohibitif par rapport à l’achat de biens matériels destinés à l’autoproduction de services.
Le rôle toujours prépondérant de l’industrie
La thèse de Gershuny relève d’un courant plus vaste qualifié de néo-industrialisme dont l’argument central est que les services ne sont pas en voie de supplanter l’industrie, mais qu’ils se développent parallèlement à elle. Cette conception met en évidence une transformation des modes de fonctionnement de l’industrie. Elle est principalement soutenue par Cohen et Zysman dans un ouvrage paru en 1987 et intitulé Manufacturing matters : the myth of the post industrial economy. Ils y soutiennent l’idée que les services sont complémentaires de l’industrie et lui restent subordonnés dans la mesure où l’expansion des services dépend de la compétitivité et du renouvellement de l’industrie.
Répondre à la question posée
La question de la tertiarisation est étroitement liée aux interrogations sur les contours de la société de demain. Certains la qualifient de société de l’information, d’autres de société de la connaissance ou encore de l’immatériel. Dans tous les cas, la question du rôle et de la place des services est un élément clef du sens des évolutions en cours.
La réflexion sur le sujet conduit aussi à remettre en question la vieille opposition des biens et des services. Avec Daniel Cohen (Richesse du Monde, Pauvreté des Nations, que vous devriez lire de même que tous les essais de cet auteur remarquablement clair), on peut grouper en un seul bloc toutes les activités contribuant à la production des objets, soit la production elle-même et les activités de services et de conseil aux entreprises. Cela correspond à 40% de l’emploi total en France et aux Etats-Unis en 1920 comme en 1990, avec un pourcentage stable tout au long du 20ème siècle. Un deuxième secteur serait celui de l’intermédiation incluant toutes les activités de commercialisation et toutes celles qui contribuent à mutualiser les risques. Avec un peu moins de 20% de l’emploi en 1920 et un peu plus de 20% en 1990, sa part est aussi relativement stable. Le troisième secteur identifié par Daniel Cohen est résiduel. Il se compose de toutes les autres activités. Au début du 20ème siècle l’agriculture en représente les ¾ alors qu’elle a presque disparu de l’emploi aujourd’hui. Pour les services sociaux c’est exactement l’inverse. Incluant l’éducation et la santé ils regroupent aujourd’hui la majorité des emplois de ce troisième secteur. C’est là qu’intervient la grande transformation du 20ème siècle. Avec Daniel Cohen, on peut l’interpréter comme un processus de substitution de la production de l’homme par l’homme (éducation, santé) à la production de l’homme par la terre (agriculture).
Quatrième subdivision – L’entreprise et le développement économique
Les entreprises sont les principaux vecteurs des transformations économiques et sociales à l’œuvre dans les pays développés. Les mutations de leur organisation interne et de leurs relations au sein de l’appareil productif ont été la clef, aussi bien des gains de productivité, que de l’évolution des structures de marchés
Sujet n° 5 – La concentration industrielle est-elle toujours un obstacle à la concurrence ? ESCP, épreuve écrite, copie d’une élève de première année
Toujours dans le but de vous permettre de mieux comprendre ce qui est attendu de vous en classe de concours, voici la copie de mademoiselle T., élève de première année au lycée Franklin. Cette très bonne copie a été rédigée le 15 mars 2008 lors d’un devoir sur table de 4 heures. Le texte en a été dactylographié, mais n’a subi aucune modification (de fond comme de forme) par rapport à l’original.
Introduction
Accroche
Dans un contexte de concurrence exacerbée sur les marchés mondiaux et de montée en puissance de nouveaux « pays à bas salaires et capacités technologiques » sur la scène internationale, la « course au gigantisme » semble être devenue la norme incontournable pour les grandes entreprises, sans cesse menacées de disparaître si elles n’augmentent pas l’échelle de leur production. Ainsi, les opérations de concentration, qui consistent à réunir plusieurs entreprises dans une entité de taille plus importante, se multiplient et la concentration, processus par lequel les grandes entreprises augmentent leur poids dans l’économie, est devenue une préoccupation de premier plan. En effet, la croissance externe, qui est le plus souvent privilégiée, aboutit souvent à des situations de concurrence imparfaite sur les marchés, c’est-à-dire à des oligopoles voire à des monopoles. Or ces évolutions vont à l’encontre de l’atomicité des marchés, première condition du modèle de concurrence pure et parfaite (CPP), définie dans le cadre de la microéconomie et qui s’est imposé comme la référence en matière d’efficience économique. Cependant, malgré cette concentration accrue, la concurrence ne semble pas avoir disparue, elle s’est même renouvelée et a pris de nouvelles formes.
Problématique
La concentration est-elle ainsi toujours un obstacle à la concurrence ? Les stratégies de concentration mises en place par les grands groupes pour contourner les lois de la concurrence la font-elle pour autant disparaître ? Au contraire, la concurrence ne peut-elle pas être sous certains aspects renforcée par la réduction du nombre d’entreprises sur les marchés ?
Annonce du plan
La concentration semble aller à l’encontre de la concurrence, cependant celle-ci n’a pas disparu et est visible à différents niveaux. Enfin, la concurrence prend de nouvelles formes avec la mondialisation où concurrence et concentration semblent complémentaires.
Première partie
Selon l’approche néoclassique, la concentration, conduisant au contrôle accru des marchés pas un nombre restreint d’entreprises, est nécessairement une entrave à la concurrence, ce qui semble être confirmé par les faits.
Le modèle de CPP, reposant sur cinq hypothèses, définit les critères d’un fonctionnement optimal des marchés et de la meilleure allocation des ressources. Ainsi, le premier critère, l’atomicité, souligne la nécessité d’un très grand nombre d’offreurs et de vendeurs, de façon à ce qu’aucun ne soit en mesure d’influencer les prix ou les quantités produites (l’entreprise est « preneuse de prix »). Or la concentration peut conduire à des situations de monopole, où une entreprise contrôle seule le marché. Elle est donc « faiseuse de prix » et décide sans contrainte des prix et des quantités offertes. Ainsi, le monopole pur conduirait-il à des prix plus élevés que ceux pratiqués en CPP et à des quantités moindres mises sur le marché (c’est-à-dire à un rationnement des consommateurs). Ce monopole est donc nécessairement condamnable au vue de l’approche microéconomique standard, car inefficient et empêche l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché. Les monopoles publics, très nombreux en France notamment, ont été quasiment tous démantelés car ils réservaient le marché aux entreprises nationales qui n’étaient plus soumises à une quelconque concurrence, ce qui a souvent conduit à de mauvaises gestions, des entreprises peu rentables et peu compétitives.
D’où un risque de sclérose, de non développement des forces productives, d’endormissement des firmes qui jouissent de position dominante et de disparition de la concurrence. Ainsi, les oligopoles (situation ou un nombre restreint d’entreprises se partagent le marché) peuvent décider de former les cartels, c’est-à-dire de s’entendre pour se partager le marché en fixant un prix commun et des quotas impartis à chacune d’elles. Elles fonctionnent alors ensemble comme un monopole, aboutissant à la disparition de la concurrence et évitant ainsi l’entrée de nouveaux concurrents. C’était le cas de l’Allemagne au 19e siècle, où des cartels très puissants contrôlaient quasiment exclusivement les marchés. De même Galbraith (Le Nouvel état industrielle) montre que les technostructures des secteurs très concentrés peuvent s’entendre et, agissant par le biais de la « filière inversée », elles ne répondent pas à une demande formulée par les consommateurs mais créent une nouvelle demande en proposant de nouveaux produits, ce qui est contraire aux règles de la concurrence. De même, les pays de l’OPEP, qui se partageaient le marché du pétrole il y encore quelques années, ont usé de leur position dominante pour imposer leur volonté en rationnant le monde en 1973.
Le processus de concentration financière, manifeste depuis une vingtaine d’années, s’inscrit également dans cette perspective de concentration, qui peut s’avérer être néfaste à la concurrence. En effet, l’emprise de grands groupes (réunion d’entreprises au sein d’un ensemble structuré par des liens financiers et organisé autour d’un centre d’impulsion) est de plus en plus visible. La France compte 6700 groupes, soit 5 fois plus qu’en 1980. Ils se caractérisent par un « contrôle en cascade » qui leur permet d’avoir une emprise indirecte sur une part très importante du marché. Ils jouent ainsi un rôle clé dans le processus de concentration. Dans les secteurs les plus concentrés, les 4 premières firmes réalisent entre 30% et 90% du chiffre d’affaires du secteur. Des alliances, avec création de filiales communes, sont parfois réalisées, ce qui peut contribuer à fausser les règles de la concurrence. De même, foisonnent les opérations de fusions acquisitions, qui conduisent au regroupement d’entreprises et surviennent souvent sur des marchés déjà très concentrés. On peut penser notamment à la fusion de France Telecom et Orange, Elf et Totalfina, Mittal et Arcelor, etc. Les exemples sont multiples. Parallèlement, Michelin a pris possession du numéro un chinois du pneu. Par conséquent, ces phénomènes de concentration de plus en plus poussée s’inscrivent directement dans les stratégies explicites des groupes qui cherchent à éliminer ou à absorber la concurrence. Concentration et concurrence apparaissent alors contradictoires et incompatibles, l’objectif et l’effet de la concentration «étant de supprimer, ou du moins de réduire la concurrence.
Transition
La concentration semble dont être un obstacle à la concurrence puisqu’elle vise à en contourner les lois. Néanmoins, ceci est à relativiser : les marchés concentrés ont-ils abouti à une disparition de la concurrence entre les agents qui y interviennent ?
Deuxième partie
La concurrence n’a pas disparu sur la majorité des marchés concentrés : elle subsiste à plusieurs niveaux. Schumpeter dénonce ainsi le modèle de CPP, qu’il juge « irréalisable » et « inférieur ». Au contraire, il remarque que dans la pratique la concurrence génère de multiples gaspillages tandis que les situations de monopoles sont davantage la norme que l’exception. De plus, sur les marchés concentrés, la concurrence, loin d’avoir été anéantie, n’en a été que ravivée par une rivalité rude qui subsiste entre quelques grands groupes qui cherchent à se débarrasser des concurrents. Une course à la baisse des prix est alors possible, en vue d’augmenter leurs parts de marché. Le duopole à la Bertrand décrit cette situation : deux entreprises se partagent le marché, chacune agissant suivant les comportements de l’autre. Or chacune aura tendance à fixer un pris légèrement inférieur à la concurrente, d’où une guerre des prix, et celui-ci peut finalement baisser jusqu’au coût marginal, autrement dit son niveau d’équilibre de CPP. La situation de duopole revient ainsi, d’après cette approche, à une situation de concurrence entre un nombre important de firmes. En outre, en cas de concentration conglomérale (regroupement de plusieurs activités variées sans liens entre elles), comme c’est le cas pour les Chaebols en Corée, ou encore les Zaibatsu au Japon, il semblerait que la concurrence persiste à l’intérieur des différentes branches du conglomérat.
Par ailleurs, si la concentration financière est évidente, un phénomène de déconcentration productive se fait sentir en parallèle : derrière la concentration au niveau des groupes, il ne faut pas sous-estimer la vitalité des PME, qui continuent à se concurrencer à un niveau inférieur à celui des groupes. Ainsi, ils réalisent 66% de l’emploi et 44% du chiffre d’affaires. De même, certaines activités peuvent se développer un temps à l’égard des groupes et du processus de concentration : ça a été le cas de la microinformatique dans les années 1980, ou encore d’Internet. De plus les « start-up » (petites entreprises innovantes) continuent à apparaître et à dynamiser le marché et la concurrence, malgré de hauts degrés de concentration. Enfin, l’essor des activités de services, peu concentrés, maintient une concurrence importante entre une multitude de petites structures et petits commerces. Avec plus de 250000 créations d’entreprises, le système productif français se renouvelle chaque année, ce qui témoigne bien de la vivacité de la concurrence : un processus constant de destruction créatrice a empêché le processus de concentration de porter durablement atteinte à la concurrence. Ainsi IBM qui semblait jouir d’un monopole sans faille et sans fin a complètement été rattrapé et surpassé par Microsoft.
Enfin, il faut également souligner que le problème de la concurrence n’est pas réellement le manque d’atomicité, c’est-à-dire la concentration effective, mais un maque d’homogénéité ou un manque de fluidité. A cet égard, Johan Robinson et Edouard Chamberlin ont mis en avant le fait que le concurrence souffrait surtout de la trop grande différenciation des produits : les firmes multiplient les stratégies visant à démarquer leur produit de celui des concurrentes (publicité, image de marque, design,etc.) et c’est en cela que le concurrence est faussée, car la demande devient insensible aux prix pratiqués. Apple a ainsi en partie fondé sa notoriété sur le design et l’aspect esthétique de ses produits (IPOD). De plus, la théorie des marchés contestables (Baumol, Panzar, Willig) définit un nouveau critère de concurrence : un marché est dit contestable s’il est possible d’y entrer et surtout d’en sortir sans supporter de coûts fixes irrécupérables, ce qui suppose un marché de l’occasion performant. Il est ainsi possible qu’un marché soit très fortement concentré sans qu’il y ait atteinte à la concurrence : si la libre sortie du marché est garantie, la simple menace d’une éventuelle entrée sur le marché de concurrents poussera la firme en situation de monopole, à se comporter comme si elle était en situation de concurrence. Cette théorie a inspiré les politiques économiques menées notamment aux Etats-Unis dans les années 1980, qui visaient à déréglementer les marchés pour faire en sorte que la concentration ne soit pas une entrave à la libre concurrence.
Transition
Un degré élevé de concentration n’est donc pas forcément synonyme de disparition de la concurrence, bien au contraire. De plus, la dynamique de concentration qui s’est imposée a crée un nouveau contexte dans lequel la concurrence revêt de nouvelles formes.
Troisième partie
La concurrence s’est transformée, elles s’est déplacée et devient dorénavant compatible avec une concentration toujours plus forte. Dans ce nouveau contexte, le rôle de l’Etat et des instances de régulation apparaissent déterminants. Ainsi, les firmes acquièrent une taille de plus en plus importante, elles multiplient leurs stratégies de concentration. Cependant, la concurrence, parfois réduite au plan national, avec quelques grandes entreprises qui contrôlent le marché (Boeing, Airbus), n’a jamais été aussi forte au niveau mondial. En effet, elle s’est déplacée du cadre national au plan international. Le pouvoir de marché de certaines grandes entreprises est de plus en plus remis en cause par l’émergence de nouveaux pays qui possèdent des avantages comparatifs déterminants, que les anciens pays industrialisés n’ont pas (main d’œuvre à bas salaires, coûts très bas, etc.). Les secteurs concentrés au niveau national subissent une rude concurrence par les prix, qui renforce leur nécessité de se concentrer, afin d’atteindre la « taille critique » leur permettant d’amortir les coûts et de générer des marges bénéficiaires. Par conséquent, la concurrence semble en réalité entretenir la concentration, l’inciter. Au plan mondial, la concentration n’a d’ailleurs pas abouti à la main mise de quelques grands groupes qui contrôleraient le monde en détenant l’exclusivité du pouvoir économique. La mondialisation compte sans cesse de nouveaux pays, de nouveaux venus et de nouveaux marchés, ce qui empêche le risque de sclérose.
De plus, une concurrence « verticale » rude persiste entre les firmes qui se battent pour conquérir les débouchés ou les approvisionnements. L’accès aux matières premières (pétrole notamment) est une source perpétuelle de rivalité entre firmes multinationales, de même que la conquête de nouveaux marchés, spécialement dans les pays émergents prometteurs.
Face à cette situation nouvelle, caractérisée par une concentration accrue dans un contexte de concurrence renouvelée au niveau mondial et d’internationalisation des activités, l’Etat a un rôle à jouer pour réguler les marchés. Il peut ainsi adopter des lois préservant la concurrence : c’est ce qui a été fait assez tôt aux Etats-Unis avec le Sherman anti-trust Act (1890) ou le Clayton Act (1913). Il peut également déréglementer les marchés pour empêcher les firmes en situation dominante d’en abuser. Des instances de régulation ont ainsi pour mission de faire en sorte que la concentration des entreprises ne devienne pas un obstacle au maintien de la concurrence. Ainsi SFR, Bouygues et Orange ont-ils été fortement sanctionnés lorsqu’ils ont cherché à s’entendre pour fixer les prix communs. De même que Microsoft qui vendait des sortes de « packages » anti-concurrentiels.
Conclusion
La concentration semble donc à première vue un phénomène nocif qui asphyxie la concurrence et risque d’aboutir à des abus de position dominante. Mais en réalité la concurrence survit et s’accommode même parfois très bien de la concentration. Elle s’est en fait modifiée, a pris de nouvelles formes en changeant de cadre : dorénavant livrées à des adversaires de taille sur les marchés mondiaux, la course au gigantisme apparaît une nécessité pour les firmes. Non plus un obstacle à la concurrence, la concentration peut devenir un remède indispensable pour rester dans la course. La concentration constitue donc une menace effective pour la concurrence mais celle-ci ne s’est pas réellement concrétisée jusqu’alors.
Thème IV- Fluctuations et crises
L’étude de la croissance abordée dans le thème précédent cherche à mettre en évidence la tendance suivie à long terme par les principales grandeurs représentatives de l’économie. Mais, autour de la tendance, les agrégats connaissent des fluctuations qu’enregistrent les statistiques portant sur les grandeurs réelles (production, revenu, consommation et autres) et/ou sur les prix (du travail, du capital, des biens et des services). Le traitement de ces données fait apparaître des cycles enchaînant de manière récurrente des phases d’expansion et de dépression (chute des grandeurs) ou de récession (ralentissement de leur progression).
La typologie établie par Schumpeter distingue :
-
des cycles courts d’une durée d’environ 40 mois. Mis en évidence par Kitchin, ils sont centrés sur les variations de stocks
-
des cycles majeurs, d’une durée comprise entre 6 et 10ans. Mis en évidence par Juglar, ils font apparaître des variations de même sens (hausse puis baisse) des variables monétaires et des variables réelles
-
des cycles longs d’une durée d’environ 50 ans. Mis en évidence par Kondratiev, ce sont pour l’essentiel des cycles de prix qui ne sont pas directement donnés à l’observation mais que révèle un traitement statistique. A la suite de Simiand il est d’usage de distinguer en leur sein une phase A, de croissance plus forte, où les prix sont orientés à la hausse, et une phase B, de croissance ralentie, où les prix sont orientés à la baisse.
Les phases d’expansion et de dépression des cycles majeurs sont séparées par des points de retournement correspondant à des crises.
La première subdivision du thème porte sur les crises et les cycles majeurs.
La seconde inscrit la question dans une perspective de long terme.
Programme de travail
Subdivisions du thème |
Sujets traités |
1 – Les fluctuations de la croissance et les crises économiques : faits, interprétations et théories ; le multiplicateur et l’accélérateur ; les théories monétaires et financières du cycle |
Plan détaillé n° 10 : N’est-ce pas la solution à la crise des années trente qui est devenue la cause de la crise des années quatre-vingts ? ESSEC, épreuve écrite. |
2 – Les mouvements de longue durée (les travaux de Kondratiev et de Schumpeter et les analyses contemporaines) |
Sujet développé n° 7 : En quoi les crises économiques et financières majeures marquent elles une étape dans le développement économique et social ? On se placera dans une double perspective historique, depuis le début du 19ème siècle, et économique. HEC, épreuve écrite. |
Première subdivision – Les fluctuations de la croissance et les crises économiques
Plan détaillé n°8 : N’est ce pas la solution à la crise des années 30 qui est devenue la cause de la crise des années 80 ? ESSEC, épreuve écrite. ESSEC, épreuve écrite
Concours 1990
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Le terme de crise est ici à interpréter de manière souple. Il désigne l’ensemble des difficultés qui affectent les économies avancées à la suite du krach boursier de 1929 et des chocs pétroliers de 1973 et 1979.
La crise des années 30 se manifeste par un très puissant mouvement de déflation, une forte poussée de chômage et la montée d’un protectionnisme virulent dans un monde qui se ferme. La crise des années 70 se caractérise par l’accélération de l’inflation, par l’installation en Europe d’un chômage de masse, par l’accentuation des déséquilibres extérieurs et la détérioration des finances publiques dans un contexte de plus en plus ouvert et interdépendant.
La lecture de l’énoncé soulève tout de suite deux questions :
-
y a t il une solution unique à la crise des années trente ?
-
y a – t –il une cause unique à la crise des années 80 ?
La réponse est doublement négative. Les solutions mises en œuvre pour tenter de surmonter la crise des années trente ont été multiples alors que la crise des années soixante dix a manifestement plusieurs causes.
Ne pas passer du singulier au pluriel, c’est se condamner à ne pas pouvoir traiter le sujet.
Les erreurs à ne pas commettre
Le rapport du jury commence par remarquer :
-
que « le sujet proposé cette année aux candidats, sous la forme d’une question « ouverte », devait leur permettre, à priori, d’exposer leurs connaissances »
-
que « le ton volontairement provocateur de la question (N’est-ce pas… ?) et le fait de supposer qu’une seule solution ait permis de sortir de la crise des années trente, donnait également la possibilité aux candidats d’exercer leur esprit critique »
Il observe ensuite « qu’une nouvelle fois le simple exposé des connaissances acquises a été privilégié au détriment de la réflexion » en déplorant :
-
que de nombreuses copies soient hors sujet
-
que trop souvent « les candidats consacrent une part trop importante à l’aspect historique et négligent la période récente »
-
que beaucoup n’ont pas la maîtrise des mécanismes économiques fondamentaux ni la connaissance, même superficielle, des théories économiques que l’on est en droit d’attendre à ce niveau.
Au passage il est rappelé que l’analyse du rôle de l’Etat, la politique keynésienne, l’essoufflement du mode de régulation fordiste étaient au centre de la question posée et que traiter le sujet consistait à relier les crises entre elles.
Sur la forme des copies sont relevées :
-
l’absence de fil directeur, ce qui conduit à des devoirs dont les parties ne sont pas reliées entre elles
-
le fait que l’introduction soit souvent trop rapide et se limite à reprendre l’énoncé de la question
-
le fait que la conclusion ne soit qu’une simple répétition d’une idée particulière et ne permette pas d’élargir le débat
-
que le style soit souvent déplorable et les fautes d’orthographe trop nombreuses.
La démarche à suivre
Les années trente ont été marquées par des difficultés économiques aiguës. Pour y faire face les pouvoirs publics ont été conduits à pallier les déficiences des mécanismes de marché en mettant en œuvre des mesures susceptibles d’améliorer la situation. La question est de savoir si ces régulations étatiques n’ont pas au final généré les dysfonctionnements qui sont à la racine des maux des années 80. Pour y répondre, il faut d’abord mettre en évidence le fait qu’il n’y a pas une mais plusieurs solutions à la crise des années trente, puis qu’il n’y a pas une mais plusieurs causes à la crise des années 80.
Cela conduit à un plan du type :
I – Les solutions à la crise des années trente et leurs prolongements pendant les trente glorieuses
II – sont devenus une des causes de la crise des années 80.
III – Mais il y a une pluralité de causes à cette crise
L’argumentation partira du constat que toute crise fait naître des dangers contre lesquels il faut lutter par des solutions appropriées que la crise offre justement l’opportunité de découvrir et de mettre au point. Mais on peut aussi se demander si, le contexte évoluant, les solutions aux crises passées ne sont pas susceptibles de devenir les causes des crises futures. Ainsi les libéraux ont imputé aux politiques keynésiennes héritées des années 30 la responsabilité des difficultés apparues après les chocs pétroliers et ont fait de cette solution à des problèmes du passé la cause principale de la crise des années 80. C’est cette hypothèse qu’il s’agit de discuter : les libéraux ont-ils raison ?
Pour ce faire, on montrera d’abord que la crise des années 30 a reçu non pas une mais des solutions, puis que si la responsabilité du keynésianisme et de la montée de l’Etat qu’il a légitimée, peut être engagée, elle doit être relativisée et resituée dans un contexte plus large où interviennent d’autres facteurs propres aux années 80.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Pour les repérer, il suffisait de se demander qui est susceptible de prétendre que « la solution à la crise des années 30 est la cause de la crise des années 80 ». A l’évidence il s’agit des libéraux contemporains. En analyse économique cette famille se décline en un grand nombre d’écoles et de courants avec en particulier : le monétarisme, l’école des anticipations rationnelles, l’école des choix publics, l’économie de l’offre, la théorie de l’agence ou encore les libertariens. Sur tous ces points mettez vous au clair en consultant votre cours, un dictionnaire ou le manuel Pearson.
De même, récapitulez ce que vous savez de la pensée de Keynes et des auteurs keynésiens.
Complétez ce passage en revue en prenant en compte les théories de l’école de la régulation et en assimilant bien ce que signifient leurs principaux concepts (régime d’accumulation, mode de régulation, formes institutionnelles, rapport salarial, fordisme, capitalisme patrimonial en particulier).
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête :Les difficultés révélées par la crise des années 30 ont suscité non pas une mais des solutions que légitime le paradigme keynésien
La crise des années 30, par son ampleur et sa durée, a fait prendre conscience de l’incapacité des marchés à s’autoréguler. Cette incapacité se manifeste par la chute de la production, la déflation et la montée du chômage. Pour faire face à la gravité de la situation on a assisté à une montée de l’Etat et des régulations publiques.
Dans les années trente, cette évolution s’est traduite par des mesures reflationnistes et pré-keynésiennes dans le cadre fermé de chaque économie nationale. Chaque pays essaie alors de tirer son épingle du jeu sans souci de coopération avec les autres.
Ces mesures ont cherché à agir :
-
sur l’offre , par un contrôle des activités des agents privés. Aux Etats-Unis en particulier cela se manifeste à travers l’adoption en 1933 des mesures du National Industrial Recovery Act (N.I.R.A.) et de l’Agricultural Adjustement Act (A.A.A.)
-
sur la demande, par les politiques de reflation et de relance par le pouvoir d’achat
-
sur le fonctionnement du système financier qu’on réglemente pour limiter ses possibilités de spéculation, et sur celui du marché du travail par le renforcement de la protection sociale et du droit du travail.
Ces mesures ont été systématisées et complétées après 1945 en Europe et aux Etats-Unis :
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par la conduite systématique de politiques utilisant la monnaie et le budget pour agir sur la conjoncture
-
par l’essor de l’Etat-providence.
De ce fait l’institutionnalisation des marchés de facteurs se renforce. Ils sont de plus en plus organisés selon des règles et de moins en moins régis par des mécanismes de marché.
En outre, après la 2ème guerre mondiale, cette montée de l’Etat s’accompagne de la mise en place de nouvelles institutions remédiant au fractionnement du monde hérité des années 30 avec la signature de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ou G.A.T.T. et la mise en place du Fonds Monétaire International dans le cadre d’un système de changes fixes. Là encore, cela se traduit par un recul du marché et une montée de l’organisation.
Dans ce contexte se met en place un nouveau mode de régulation de type monopoliste. Egalement qualifié de fordisme, il soutient la forte croissance des 30 glorieuses.
Cet ensemble de solutions est en affinité avec le paradigme keynésien et son intuition centrale qui est que les marchés n’ont pas la propriété de s’autoréguler. Ce paradigme légitime l’intervention des pouvoirs publics et le renforcement des régulations conscientes au détriment des mécanismes automatiques du marché.
Deuxième volet de l’enquête : La crise des années 80 est imputable selon les libéraux aux effets pervers des politiques keynésiennes héritées des années 30.
La montée de l’Etat et de l’organisation a été source de rigidités croissantes et de déséquilibres grandissants. Cela a alimenté les critiques libérales du paradigme keynésien et donné consistance à l’idée que la solution à la crise des années 30, interprétée comme étant avant tout le recours systématique et de moins en moins efficace à des politiques de réglage de la conjoncture, serait devenue la cause unique de la crise des années 80.
Cette crise se manifeste par une récession ou stagnation de la production (de 1980 à 1982/83 aux Etats Unis, mais jusqu’en 1986 en Europe), un freinage des gains de productivité, la montée du chômage, une forte inflation héritée des années 70 avec des tensions ravivées par le 2ème choc pétrolier, un ralentissement passager du commerce mondial et une plus grande instabilité des économies dont le comportement devient plus cyclique.
Or, confrontées aux difficultés qui ont suivi le premier choc pétrolier, les politiques de relance ont manqué d’efficacité et renforcé les déséquilibres.
Dans ce contexte, les libéraux dénoncent les excès de l’interventionnisme étatique.
Milton Friedman réinterprète la relation de Phillips pour montrer que les politiques conjoncturelles ne sont pas en mesure d’opérer un réglage fin de l’économie. En outre, elles sont dangereuses car elles risquent de produire leurs effets à contretemps. L’école des anticipations rationnelles pousse encore plus loin le raisonnement et dénie toute efficacité à ces politiques.
Les économistes de l’offre soulignent les effets pervers sur l’initiative privée d’une fiscalité trop lourde. Ceux de l’école des choix publics mettent en évidence les méfaits d’une trop forte implication dans le fonctionnement de l’économie d’un Etat qui n’incarnerait pas l’intérêt général, mais exprimerait les intérêts de la bureaucratie et ceux des groupes de pression les plus influents. Les arguments de la théorie de l’agence vont dans le même sens, en montrant que l’Etat ne peut pas être un bon actionnaire.
Ainsi, la cause est entendue : les politiques keynésiennes héritées des années 30 sont responsables de la crise contemporaine.
Dès lors la solution est de restaurer les conditions permettant aux marchés de s’ajuster librement. Cela passe par la déréglementation des activités, la privatisation des entreprises publiques, l’aménagement ou la suppression du salaire minimum, la baisse des prestations sociales, la mise au pas des syndicats, le rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée au profit des entreprises et des revenus du capital.
Troisième volet de l’enquête : L’échec des politiques keynésiennes doit toutefois être relativisé et resitué dans un ensemble plus vaste de facteurs
Ces politiques ont en effet permis d’amortir la récession et d’éviter qu’elle ne se transforme en dépression cumulative. Ont joué ici des effets de stabilisation automatique de la demande par le jeu des déficits budgétaires et sociaux qui ont soutenu l’activité (en période de récession, les recettes sont moindres mais les dépenses, si on les laisse filer, poursuivent sur leur lancée). Par la suite, dans les années 80, la reprise de l’économie américaine est due à des mécanismes en fait keynésiens.
En outre, il faut tenir compte des facteurs qui ont transformé le contexte et affaibli l’efficacité des régulations héritées de la crise des années 30. Cela conduit à évoquer l’instabilité générée par le passage aux changes flottants après la disparition du système de Bretton Woods, ainsi que l’ouverture croissante des économies qui renforce la contrainte extérieure et affaiblit l’efficacité des politiques nationales. On en déduit que les politiques keynésiennes ne sont pas forcément à incriminer en tant que telles.
En outre, la crise des années 80 a d’autres causes qui lui sont spécifiques et qui n’ont rien à voir avec les solutions apportées aux difficultés des années 30. Jouent ici :
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les effets des chocs pétroliers qui sont des chocs d’offre
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ceux du mouvement de désindustrialisation lié à la concurrence des nouveaux pays industrialisés
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le ralentissement des gains de productivité qui accompagne l’épuisement de l’Organisation Scientifique du Travail
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des facteurs technologiques mis en avant par les néo-schumpétériens
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le revirement brutal des politiques monétaires qui, en devenant restrictives à la fin des années 70, ont bouleversé les conditions du financement des entreprises
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les effets pervers des politiques libérales elles-mêmes qui, en modifiant la donne pour la répartition des revenus, ont modifié les conditions de la croissance.
Si les solutions adoptées pour faire face à la crise des années 30 ont favorisé la mise en place du système fordiste, sa crise est le fruit d’un ensemble complexe de facteurs qu’on ne peut ramener à une cause unique.
Répondre à la question posée
Il n’y a pas une cause unique à la crise des années 80, qui serait la solution à la crise des années 30. Le défi que posent la crise des années 80 et la période de mutations profondes qu’elle a ouverte et qui est loin d’être close est de trouver de nouvelles formes d’intervention adaptées à un nouveau contexte, et non de supprimer toutes formes de régulations autres que marchandes. Pour les économies complexes des pays avancés, cet enjeu se perpétue et prend sans cesse de nouvelles formes. La situation actuelle appelle à son tour la mise au point de nouvelles régulations pour encadrer le fonctionnement des marchés financiers, du marché du travail et des systèmes de protection sociale.
Deuxième subdivision – Les mouvements de longue durée
Sujet développé n° 6 : En quoi les crises économiques et financières majeures marquent elles une étape dans le développement économique et social ? On se placera dans une double perspective historique, depuis le début du 19ème siècle, et économique. HEC, épreuve écrite
Concours 2002
Affronter les termes du sujet |
Le rapport du jury donne les précisions suivantes :
« Le sujet proposé pour l’épreuve écrite s’étendait sur la période longue et nécessitait une définition précise des crises économiques et financières majeures et de ce qu’on peut entendre par étape du développement économique et social. Une crise se définit par un certain nombre de faits (par exemple la diminution du revenu national, l’apparition de chômage massif…).
Une certaine typologie, même imprécise, des différentes formes de crise était également attendue – ou au moins la remarque que les crises prennent des formes historiques particulières et que ne parler que de la crise économique est fortement réducteur. Les étapes du développement devaient être définies en relation avec certaines analyses historiques et économiques, telles les théories de Rostow, Maddison, de la régulation. On souhaiterait à ce sujet que les candidats aient les idées claires sur ce qu’est une tendance, et sachent la définir précisément sur le plan statistique. »
A cet égard, il est demandé de savoir situer un mouvement cyclique court ou un changement conjoncturel par rapport à une évolution structurelle.
Pour mettre en pratique ces recommandations, il faut donc, dès l’introduction, bien cerner ce que recouvre la notion de crise majeure. Depuis Juglar (Des crises commerciales et de leur retour périodique, 1862), l’analyse économique définit la crise comme un moment particulier d’un processus plus vaste, le cycle. Ce dernier peut être le cycle dit majeur ou court d’une durée de 6 à 10 ans repéré par Juglar, ou le cycle beaucoup plus long mis en évidence par Kondratiev. On peut alors entendre par crises majeures celles qui marquent le retournement simultané du cycle Juglar et du cycle long. C’est en particulier le cas des crises de 1848, 1873, 1929 et 1973.
Cela conduit, avec l’école de la régulation, à distinguer les crises de la régulation (ou petites crises du type de celles qui ont rythmé le 19ème à travers le cycle Juglar) et les crises du mode de régulation (ou crises majeures traduisant le fait que les formes institutionnelles ne sont plus en phase avec le régime d’accumulation, ce qui selon ces auteurs est le cas en 1929 ou en 1973).
Par ailleurs l’intitulé du sujet amène à souligner le fait que les crises majeures concernent aussi bien le champ économique (celui de la production, de la consommation et des échanges) que la sphère financière (qui inclut le système bancaire et les marchés financiers). Les deux aspects sont généralement liés avec le plus souvent des désordres financiers s’exprimant ensuite par des dysfonctionnements réels – mais cela n’est pas toujours le cas. Les deux ordres de phénomènes peuvent être dissociés, comme ce fut le cas en 1973 où l’aspect financier est peu manifeste et, à l’inverse, en 1987, où l’effondrement boursier n’a pas eu les répercussions économiques que l’on redoutait.
Au nombre de ces crises majeures, dans la perspective large qu’appelait le sujet, on pouvait donc compter la crise de 1848 manifestant le début de la prééminence de l’industrie sur l’agriculture, celle de 1873 ouvrant la grande dépression et marquant l’émergence de nouvelles puissances sur la scène économique internationale, celle de 1929 qui est le fruit des déséquilibres nés de la première guerre et a ouvert la voie à une intervention systématique de l’Etat, celle des années 1970 avec l’effondrement du système monétaire international, l’essoufflement du fordisme et la remise en cause du keynésianisme.
Il était aussi pertinent de faire une place à la série de crises essentiellement financières survenues depuis 1982 en lien avec la déréglementation financière et la mondialisation croissante des échanges (cessation de paiement du Mexique en 1982 puis chute des bourses occidentales en 1987, crise du peso mexicain en 1995, crise asiatique en 1997, russe en 1998, brésilienne en 1999, argentine à la fin de 2001, crise dite des subprimes ouverte en août 2007). Au passage, on aura noté que l’intitulé du sujet ne le limite pas aux seuls pays développés.
Répondre aux attentes des examinateurs |
Pour ce qui est de l’introduction, le rapport du jury précise que doivent s’y trouver « outre une explicitation du sujet, quelques informations originales qui en montrent l’ampleur et l’intérêt : une introduction trop formelle et sans véritable contenu, qui répète le sujet sans vraiment l’exposer, est insuffisante. On ne saurait trop conseiller aux candidats de soigner leur introduction et le plan qu’ils proposent en fin d’introduction ».
Par ailleurs, conformément à la consigne figurant dans l’énoncé du sujet, «il convenait d’éviter de le traiter sur le seul plan historique ou par référence à la seule théorie économique».
Il ne fallait donc pas se limiter à un exposé factuel des diverses crises qu’ont connues les pays industrialisés au 19ème et au 20ème siècles. Il fallait aussi éviter l’erreur inverse consistant à proposer une analyse uniquement économique.
Autres observations du rapport : « Assez curieusement, peu de copies ont développé le rôle des guerres, comme évènement initiateur ou conséquence des crises, ainsi que le rôle de l’Etat par ou à l’occasion des grandes crises. Les institutions monétaires nationales et internationales ont été également assez largement négligées »
Toujours selon le jury, « les faits historiques et la théorie économique doivent être souvent analysés de manière critique, c’est-à-dire avec le souci de marquer les limites des hypothèses et des conclusions des modèles économiques, et la complexité des phénomènes historiques ».
A titre d’illustrations il est demandé de prendre en compte les limites de l’explication proposée par la théorie marxiste des crises et par celle de la régulation.
Le jury attire aussi l’attention :
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sur l’importance de l’histoire économique et sociale du 19ème siècle, « période de référence pour beaucoup de sujets dans cette épreuve, et en particulier pour celui-ci »
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sur la nécessité de ne pas escamoter le volet social du sujet : « il est important que les candidats aient des notions précises sur les grands changements sociaux des sociétés industrialisées ».
Trouver les articulations du raisonnement |
Le rapport du jury suggère de construire la problématique autour de questions difficiles qu’il demande de ne pas esquiver, « quitte à admettre que des réponses précises ne pouvaient pas toujours être apportées ». Trois interrogations sont par lui placées au cœur du sujet :
– Les crises sont-elles des moments où les structures sociales bifurquent et modifient totalement l’évolution économique et sociale ?
– Sont-elles simplement des points d’arrêt temporaires sur une même ligne de croissance tendancielle ?
– Quelles relations ont-elles avec les changements sociaux ?
Pour aborder ces questions, il semble pertinent de construire un plan combinant une approche chronologique et une approche thématique. Dans un premier temps l’enjeu sera de montrer ce qui, avant 1914, a pu accréditer l’idée de la crise comme étape sur la voie du développement économique et social, pour ensuite tirer les enseignements de la crise de 1929 et de ses conséquences à cet égard, et enfin analyser ce qu’il en est aujourd’hui au regard des crises variées qui se sont succédées depuis les années 70.
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
Sur l’approche des crises en général, il faut se référer à Marx, à l’école de la régulation, aux positions libérales et, en particulier, à la théorie des cycles réels.
Sur les aspects historiques on peut faire appel à Labrousse (typologie des crises), à Braudel (prise en compte du temps long), à Caron (impact des chemins de fer sur les fluctuations de l’économie) ou à Bouvier (analyse de la crise de 1881-1882).
Sur les mouvements longs il est indispensable de citer Kondratiev (qui pensait avoir mis en évidence des ondes longues rythmant la vie économique) et Schumpeter (qui a élaboré un modèle général de fluctuations intégrant les différents types de cycles).
Sur les cycles majeurs et les fluctuations de plus court terme, il faut mobiliser Juglar (Des crises commerciales et de leur retour périodique, 1862) et Keynes (qui reliait l’état de la conjoncture aux variations de l’investissement et de la demande anticipée).
Sur la crise de 1929 et les années 30 des pistes d’analyse sont fournies par Fisher (qui met l’accent sur le poids de l’endettement), Varga (qui incrimine les inégalités de la répartition), Rueff (qui se réfère au blocage des mécanismes concurrentiels), ou encore par Friedman et Schwartz (qui mettent en lumière les erreurs de la Fed, institution qui ne joue pas à l’époque son rôle de prêteur en dernier ressort).
Sur la crise contemporaine des éclairages intéressants sont fournis par les analyses financières (celle de Levy-Garboua et Maarek notamment qui relie la crise aux contraintes de financement des entreprises) et par les analyses néo-schumpéteriennes (celle de Mench en particulier, se basant sur le concept de système technique pour réhabiliter la relation entre progrès technique et cycle).
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
Depuis le début du 19ème siècle, les économies et les sociétés des pays aujourd’hui les plus avancés n’ont cessé d’être secouées par des crises plus ou moins graves. Avant 1914 les historiens de l’économie en dénombrent douze, soit une crise en moyenne tous les 8 ans. Eclatant en général dans la sphère de circulation de l’argent, elles sont liées aux difficultés passagères du secteur moteur de la phase d’essor qui les précède, soit le plus souvent celui des chemins de fer. Elles se diffusent ensuite dans la sphère réelle en provoquant plus ou moins de dégâts sur la production, l’emploi et le revenu national. Parmi elles, celles de 1848 et de 1873 apparaissent comme des crises majeures. La première correspond dans le cas de la France à la dernière des crises mixtes théorisées par Labrousse. La seconde marque l’entrée dans ce que les historiens appellent « la grande dépression ». Au vingtième siècle la crise de 1929 et celle qui s’ouvre en 1973 relèvent manifestement de la même catégorie. Ces crises n’ont toutefois pas empêché la poursuite du développement économique et social.
Définir une problématique
Dès lors on peut s’interroger sur le rôle que jouent les crises dans le processus. En sont-elles des étapes indispensables, lui permettant de se régénérer et de retrouver les fondements d’une nouvelle vigueur ? Ou ne sont-elles que des accidents sur une route dont elles peuvent perturber le trajet, mais dont la direction générale ne dépend pas d’elles ?
Annoncer le plan
Pour répondre à cette question on suivra une démarche en trois temps
I – Au 19ème siècle les crises changent de nature en lien avec l’essor du capitalisme industriel. Les économistes vont alors être tentés de les analyser à travers un concept unique et de faire de la crise une purge régénératrice indispensable à la poursuite de la croissance.
II – L’analyse de la crise de 1929 et de ses conséquences débouche sur des conclusions ambiguës au regard de la question posée. On peut en effet interpréter cette période aussi bien en terme de rupture que d’étape du processus de la croissance économique moderne.
III – Les crises contemporaines amènent à considérer que les crises sont des perturbations accidentelles bien plus que des points de passage obligés sur la voie du développement.
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – Au 19ème siècle les crises changent de nature. On tend à les interpréter comme des purges régénératrices indispensables à la poursuite de la croissance.
A – Les crises changent de nature
Avant le 19ème siècle les crises, dites frumentaires ou d’ancien régime, sont liées aux mauvaises récoltes, aux épidémies, et souvent aux guerres. Sortes de cataclysmes provoquant des enchaînements désastreux, elles compromettent tout progrès durable. Elles ont donc clairement le caractère de catastrophes.
Dans la première moitié du 19ème siècle, leur nature et leurs manifestations évoluent. En Grande Bretagne, des crises éclatent dans la sphère de la circulation de l’argent sans avoir d’antécédent agricole.
En France, ainsi que l’a montré E. Labrousse, surviennent des crises mixtes. Cette forme de crise est une combinaison entre une crise de type ancien et un dérèglement de l’industrie dont le poids dans la production et l’emploi ne cessait de croître.
En 1857 éclate à la bourse de Londres la première grande crise financière internationale. Elle est suivie d’une série de crises financières et industrielles sans antécédent agricole jusqu’à la guerre de 1914. Chacune de ces crises présentait les mêmes préalables boursiers et monétaires, les mêmes difficultés dans les secteurs industriels lourds et souvent nouveaux (en particulier les chemins de fer), les mêmes vagues de faillites et de chômage. La pensée économique les a dans un premier temps perçues comme « des perturbations soudaines de l’état économique naturel, et plus particulièrement des perturbations dans la fonction générale de l’échange » (Garnier, 1859). Mais leur régularité et leur ubiquité ont ensuite conduit les économistes, et en premier lieu Juglar, à les analyser comme des crises générales de surproduction obéissant à un même schéma général.
B – La recherche de la cause de la crise conduit à voir dans la crise une étape.
Le concept unitaire de crise générale de surproduction a permis de regrouper dans une même catégorie ce qui n’était jusqu’alors perçu que comme une succession d’évènements particuliers. La pensée économique a tendu à faire de la crise un moment nécessaire du cycle Juglar, une étape rendue indispensable par le fonctionnement des économies industrialisées. Dès lors les économistes s’ingénièrent à trouver la vraie cause de la crise et à en rattacher l’origine à un mécanisme endogène, inhérent à l’économie de marché. Selon les auteurs elle a été imputée à l’insuffisance de la consommation, à la surproduction, au surinvestissement, à l’abus de crédit ou encore aux contradictions inhérentes au MPC.
Cette dernière position est celle de Marx qui défend la thèse d’une inéluctable désintégration du capitalisme par aggravation constante des crises. Dans son optique les crises sont une étape nécessaire au dépassement de la société de classes, une étape vers l’abondance, vers le moment où l’homme sera libéré de la nécessité et de la rareté. A court terme les effets sont destructeurs puisqu’ils accroissent la misère du plus grand nombre ; mais à long terme le processus est salvateur.
Pour les économistes libéraux la crise est un mal nécessaire, indispensable au bon fonctionnement de l’économie de marché. Elle est inséparable du développement des échanges, du crédit, de l’expansion des activités et donc, in fine, du bien être et des progrès de la civilisation. C’est ce que souligne Juglar lorsqu’il écrit : « Les crises ne paraissent que chez les peuples dont le commerce est très développé […] ; plus le crédit est petit, moins on doit les redouter » (1862)
En ce sens la crise est bien la rançon du progrès dont elle marque à la fois une pause et une étape.
Quels sont à cet égard les enseignements de la crise de 1929 ?
II – La crise de 1929 et ses conséquences peuvent être interprétées aussi bien en terme de rupture que d’étape du processus de la croissance économique moderne
A – La crise de 1929 peut être vue comme une étape du développement des économies avancées.
En témoigne la façon dont le système capitaliste a su se transformer à la suite de la crise de 1929, révélant ainsi son énorme potentiel d’adaptation mais aussi de développement économique et de progrès social pour les pays développés.
Cela peut être rattaché à Keynes dont les idées, en se diffusant, ont favorisé l’éclosion de l’Etat providence, devenu le garant de la justice sociale comme de l’efficacité économique.
Cette crise a donc suscité un renouvellement théorique et fait émerger un nouveau régime de croissance.
Outre la référence à Keynes, ce point peut être argumenté en s’appuyant sur Schumpeter. Sa théorie des cycles d’affaires (1939) met l’accent sur le fait que toutes les crises apparaissent dans les secteurs qui ont tiré la croissance dans la phase d’expansion et les relie aux rythmes de l’innovation. Dans cette optique il rend compte de l’histoire économique du capitalisme à partir des points de retournement du Kondratiev. Il associe aux cycles longs le rôle moteur de la vapeur et du textile, puis de la chimie, de l’électricité, de l’automobile etc.…Dans chaque cas on assiste à l’essoufflement de secteurs jusqu’alors moteurs. L’épuisement des innovations de la deuxième révolution industrielle conduit à la crise de 1929. Comme les crises qui l’ont précédée, elle fait naître la possibilité d’un nouvel essor. Dans la phase B qu’elle inaugure va peu à peu apparaître et mûrir la grappe d’innovations qui plus tard redonnera un nouvel élan à l’économie. Il est aussi possible de mentionner sur ce point Kondratiev lui même qui, à travers un processus de reconstitution de l’épargne pendant la phase de dépression, concevait le capital comme un phénix renaissant éternellement de ses cendres.
L’analyse de l’école de la régulation va dans le même sens. Elle montre que dans le processus de blocage du dynamisme de l’économie interviennent non seulement des facteurs technologiques mais aussi des phénomènes institutionnels. Les crises majeures naissent alors d’un désajustement du régime d’accumulation (notion voisine du concept marxiste d’infrastructures) et du mode de régulation (règles définissant le rapport salarial, la création de monnaie, la gestion étatique, les formes de la concurrence, les modalités de l’insertion dans l’économie internationale). Cela conduit à interpréter la crise de 1929 comme une étape clef du passage d’un mode de régulation concurrentiel à un mode de régulation monopoliste. La crise ouvre une période de gestation de nouvelles formes institutionnelles mieux adaptées au nouveau contexte.
B – Mais plus qu’une étape, elle est une rupture aux aspects catastrophiques
Le prix à payer a été énorme car, outre le coût social et politique astronomique de la dépression, il faudrait aussi tenir compte des effets dévastateurs de cet « ouragan de destruction créatrice » qu’a été la seconde guerre mondiale. On peut certes soutenir que ce conflit a donné une énorme impulsion à l’économie américaine et favorisé l’éclosion d’une extraordinaire moisson d’innovations.
Mais bien plus que d’étape mieux vaudrait parler de rupture, la guerre orientant, à un prix exorbitant, le développement dans un sens que ne laissaient pas prévoir les tendances lourdes du passé.
La crise puis la guerre ont ouvert une parenthèse exceptionnelle d’essor sans crise, faisant naître l’illusion que les crises avaient disparu ou, du moins, que les pouvoirs publics étaient en mesure de les éviter grâce à un réglage fin de la conjoncture.
Le retour des crises dans les années 70 a fait disparaître cette illusion.
Il a aussi mis en évidence le fait que les solutions à la dépression des années 30 avaient donné naissance à de nouveaux problèmes compromettant à leur tour le développement. Les excès de l’interventionnisme keynésien, solution à la crise des années 30, ont en effet fait naître de nouvelles difficultés (inflation, carcan réglementaire, poids des charges, perte d’efficacité)
On trouve dans le passé des confirmations du fait que les crises suscitent des solutions qui sont à l’origine de nouveaux problèmes pouvant faire obstacle au développement.
Ainsi la crise de 1848 libère les forces productives de l’industrie et marque sa prééminence sur l’agriculture. Mais elle amplifie aussi les problèmes sociaux nés de cette industrialisation. De plus, à terme, le déclin de l’agriculture européenne (France et Grande Bretagne notamment) dans un monde marqué par le libre échange et la révolution des transports sera douloureux. La crise de 1873 et la « grande dépression » qui s’ensuit conduit à un regain du protectionnisme et exacerbe les rivalités entre les grandes puissances impérialistes. Au final cela prépare un terrain favorable au premier conflit mondial
Les crises des années 20 favorisent un retour en force du politique. Karl Polanyi dans « La grande transformation » a montré qu’il pouvait être dévastateur (fascisme, nazisme, marche à la guerre).
III – Les crises de nos économies complexes et de plus en plus financiarisées sont plus des accidents que des étapes.
A – Les crises sont des accidents
Au plan théorique, c’est ce qui ressort des analyses des libéraux contemporains, aux yeux desquels les crises sont dues soit à des erreurs commises par des institutions publiques, soit à des chocs aléatoires. Ainsi les monétaristes, avec Friedman, imputent à des erreurs des responsables de la politique monétaire l’aggravation catastrophique de la crise en 1931 et l’ampleur de la récession qui a suivi les chocs pétroliers. Niant aussi que les crises puissent être provoquées par un fonctionnement défectueux des marchés, les modèles de la nouvelle économie classique les interprètent comme la conséquence de chocs aléatoires d’origine monétaire (Lucas) ou réelle (Kydland et Prescott).
Dans cette optique, les crises ne sont pas des points de passage obligés du développement.
Au plan des faits, c’est aussi ce qui ressort de la prise en compte des crises essentiellement financières survenues depuis un quart de siècle. On peut estimer qu’elles traduisent l’emprise croissante sur des économies de plus en plus ouvertes d’activités financières régies par des règles souvent fort éloignées de celles d’une concurrence libre et non faussée (opacité des systèmes bancaires nationaux, distorsion des mécanismes de change). La crise boursière de 1987 qui aurait pu dégénérer en crise économique majeure, et l’éclatement pendant l’été 2007 de la crise des crédits hypothécaires à risque (dits subprime) sont ici de bonnes illustrations. On peut aussi se référer à la crise de la dette des pays en voie de développement qui s’est déclenchée en 1982, puis aux crises financières qui ont tour à tour frappé le Mexique (1995), les pays émergents d’Asie (1997), la Russie (1998), le Brésil (1999) ou l’Argentine (2001).
Rien en fait ne garantit l’émergence de solutions à travers ces crises, ce qui pourtant est la condition pour qu’elles se transforment en étapes du développement économique et social.
La conception de Veblen (Théorie de l’entreprise d’affaires, 1904) n’en fait pas non plus des étapes sur la voie du développement, les crises n’étant pour lui que des oscillations de la superstructure financière.
B – Le cours du processus dépend d’autres forces. Les crises qu’il est réducteur de théoriser à partir d’un concept unique n’en sont pas des étapes.
Ces forces sont le progrès technique, les effectifs de la population en âge de travailler, la puissance productive du travail des habitants, la qualité de la gouvernance. Indirectement les crises peuvent les stimuler. Mais leur issue est très incertaine.
L’issue des crises, leurs aspects positifs ou non en terme de développement, dépendent du contexte et de la capacité de réaction des sociétés et de leurs agents. Ainsi les modèles RBC montrent qu’en économie de marché, à l’issue d’un choc, ce sont les comportements des agents en réaction à ce choc qui déterminent le cours de la suite des évènements et lui donnent un caractère cyclique.
Les recherches contemporaines des économistes sur la croissance montrent que la crise en tant que telle n’est pas une étape nécessaire sur la voie du développement et qu’il faut se garder de tout déterminisme. De plus, celles des historiens contestent la légitimité du concept de crise entendu au singulier.
En dehors de quelques caractéristiques très élémentaires (dérèglement étendu à l’ensemble de l’économie, brutalité, courte durée, baisse ou ralentissement de la production et de la consommation, montée du chômage), c’est la pluralité des crises qui semble l’emporter sur l’unicité. En définitive, il semble bien peu légitime de regrouper la crise de 1929 dans la même catégorie que celles de la seconde moitié du 19ème siècle. Il en est de même de la crise de 1929 et de la crise des années 70-80.
Les travaux d’historiens français comme F. Caron (sur le rôle des chemins de fer) ou J. Bouvier (sur la crise de 1881 – 1882) rejettent le concept unitaire de crise. Comme le remarque Patrick Verley, ils étudient l’essentiel, c’est-à-dire les manifestations particulières des phénomènes, la chronologie fine des enchaînements, les courroies de transmission, les facteurs favorables à la réduction ou à l’amplification des déséquilibres.
Conclure |
Résumer et répondre
On a donc montré que les crises pouvaient n’être vues que comme des phénomènes négatifs, révélant un danger. On peut aussi les considérer comme l’expression de contradictions qu’en même temps elles permettent de surmonter. Mais si elles offrent des opportunités pour aller dans ce sens, c’est sans garantie de progrès. Pour que les crises soient facteurs de développement, il faut que le contexte social s’y prête et permette à une volonté politique d’orienter les efforts collectifs dans ce sens. N’oublions pas l’étymologie grecque de crise : krisis, qui veut dire décision.
Ouvrir
Ainsi les crises, toujours porteuses de changements, sont plus que de simples accidents qu’un bon fonctionnement des marchés aurait permis d’éviter. Il n’en reste pas moins que, pas plus que l’histoire en général, l’histoire économique n’a de sens (au sens de direction nécessaire) et que les crises ne sont pas des points de passage obligés sur la voie du développement.
L’histoire économique de l’Argentine au 20ème siècle montre que secoué par de multiples crises ce pays, qui fut aussi riche que la France, a suivi un processus de régression et non de développement.
Réfléchir sur des sujets voisins |
Sujets d’écrit :
ESSEC 2003 : Les conséquences économiques des guerres (Vous examinerez cette question en faisant appel à la théorie économique et en faisant référence aux évènements historiques depuis 1900).
ESSEC 1998 : Toute crise économique n’apparaît-elle pas aussi comme une crise de l’analyse économique?
ESCP 2003 : Les rythmes de l’innovation expliquent-ils fondamentalement les rythmes de l’économie ?
Conforter ses connaissances |
Vous consulterez avec profit les ouvrages suivants :
Bairoch, Paul, Victoires et déboires : histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours (3 Vols), Gallimard, 1997
Marcel B. et Taïeb J., Crises d’hier, crises d’aujourd’hui, 1873…, 1929…, 1973…, Coll. Circa, Nathan, 1989
Rosier B, Les théories des crises économiques, Repères, La Découverte
Brasseul J., Histoire des faits économiques et sociaux, De la Révolution industrielle à la Première Guerre Mondiale, Colin, 2004
Brasseul J., Histoire des faits économiques de la Grande Guerre au 11 Septembre, Colin, 2003
Asselain, JC, Histoire économique du XXè siècle, 2 volumes, Presse de Science Po, Dalloz, 1995.
Gazier B., La crise de 1929, Que sais-j ?, PUF, 1995
Galbraith J.K., La crise de 1929, Payot, 1989
S’appuyer sur des citations |
Regardez cet idéogramme : c’est le mot crise en chinois. Comme vous le voyez, c’est l’addition de deux signes. Que signifie chacun d’entre eux ? Le premier signifie « danger », le second signifie « opportunité ». Le chinois, dans sa sagesse ancestrale, a trouvé la plus belle définition que je connaisse du mot crise.
Lionel Stoleru, L’Ambition Internationale, Paris, Seuil, 1987
Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner, et modifie toutes les situations de sorte qu’un « processus de mise en ordre est nécessaire ».
Joseph Schumpeter (1883-1950), Théorie de l’Evolution Economique, 1911
Le développement régulier de la richesse ne se produit pas sans douleur ni résistance. Pendant les crises tout s’arrête pour un moment mais ce n’est qu’une halte temporaire, …
Clément Juglar (1819-1905), Des Crises Commerciales et de leur Retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, édition de 1889, Guillaumin et compagnie
Les crises, comme les maladies, paraissent une des conditions de l’existence des sociétés où le commerce et l’industrie dominent. On peut les prévoir, les adoucir, s’en préserver jusqu’à un certain point, faciliter la reprise des affaires ; mais les supprimer, c’est ce qui jusqu’ici, malgré les combinaisons les plus diverses, n’a été donné à personne.
Clément Juglar, opus cité
La raison ultime de toutes les crises réelles, c’est toujours la pauvreté et la consommation restreinte des masses, face à la tendance de l’économie capitaliste à développer les capacités productives comme si elles n’avaient pour limite que le pouvoir de consommation absolu de la société.
Karl Marx (1818-1883), Le Capital, 1867
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Les formes prises par la crise ne sont pas les mêmes en 1848, en 1873, en 1929 et en 1973.
En 1847-1848, les investissements massifs opérés dans les chemins de fer et une intense spéculation sur les actions sont suivis d’une crise bancaire et boursière. Elle se conjugue en France avec une crise des subsistances. Les faillites se multiplient et on compte 56% de chômeurs à Paris au printemps 1848. Cette conjonction de difficultés exacerbe les luttes sociales et provoque une crise politique.
En 1873, la crise débute par un krach boursier à Vienne et à Berlin à l’issue d’une phase d’essor rapide de l’industrie lourde allemande accompagnée de spéculations sur les titres ferroviaires. S’en suit une période de difficultés économiques (faillites), sociales (chômage) et bancaires qui marque l’entrée dans une phase de ralentissement de la croissance qualifiée de grande dépression (1873-1896). Certains l’ont interprétée comme correspondant à une phase B du cycle Kondratiev.
En 1929, l’effondrement des cours à la bourse de New York pendant la semaine noire (du jeudi 24 au mardi 29 octobre) provoque une vague de faillites bancaires et, en lien avec la restriction du crédit, une forte contraction de l’activité. Aux Etats-Unis la production industrielle passe de l’indice 100 en 1929 à l’indice 54 en 1932 et le taux de l’investissement est divisé par deux (17,6% du PIB en 1929, 8,8% en 1933). Ce choc déflationniste se propage dans le monde à travers les canaux commerciaux et financiers suscitant une vague sans précédent de faillites, de chômage et de protectionnisme.
En 1973, le quadruplement du prix du baril de pétrole déséquilibre les balances commerciales des P.D.E.M., ponctionne le pouvoir d’achat de leurs habitants et accélère l’inflation elle-même très vite suractivée par des effets de second tour (avec une spirale de hausse des prix et des salaires). Le taux de croissance du P.I.B. des pays de l’O.C.D.E. est voisin de zéro en 1974 et devient négatif en 1975. Le chômage amorce une durable ascension.
Thème V – Le financement de l’économie
Programme de travail
Le programme officiel subdivise l’analyse de ce thème en trois points.
La première subdivision porte sur la monnaie et le crédit : il est demandé d’assimiler les connaissances de base sur les fonctions et l’évolution des formes de monnaie, ainsi que sur les mécanismes de la création monétaire et de son contrôle.
La deuxième subdivision porte sur les circuits de financement de l’économie dans les grands pays industrialisés : financement direct sur les marchés de capitaux et financement indirect par l’intermédiaire des institutions financières.
La troisième subdivision est relative à l’émergence et à la constitution des systèmes financiers de la révolution industrielle à nos jours.
Subdivisions du thème |
Sujet traité |
La monnaie et le crédit |
Sujet développé n°8 : Quelle est l’influence de la gestion de la monnaie sur les fluctuations de la croissance au 20ème siècle dans les PDEM ? Vous traiterez ce sujet en faisant appel à la théorie économique et en vous référant à des faits tirés de l’histoire économique des pays développés. |
Les circuits de financement de l’économie dans les grands pays industrialisés |
Plan détaillé n° 12 : Etat, banques et bourse : vous analyserez l’importance relative de ces différents acteurs dans le financement de l’économie française depuis 1945 Plan détaillé n° 13 : En quoi les mutations du système financier français depuis le tournant libéral ont-elles modifié les stratégies des entreprises et la conduite des politiques publiques ? Plan détaillé n° 14 : Financement de l’activité économique et transformations du capitalisme dans les principaux pays industrialisés au 19ème siècle. |
L’émergence et la constitution des systèmes financiers de la révolution industrielle à nos jours. |
Première subdivision : la monnaie et le crédit
Sujet développé n° 7 – Quelle est l’influence de la gestion de la monnaie sur les fluctuations de la croissance au 20ème siècle dans les PDEM ? Vous traiterez cette question en faisant appel à la théorie économique et en vous référant à des faits tirés de l’histoire économique des pays développés.
Affronter les termes du sujet |
Le plus simple est ici de considérer, comme le font les historiens, que le 20ème siècle commence avec la première guerre mondiale.
La monnaie est l’ensemble des moyens de paiement en circulation dans l’économie. Sa qualité essentielle est la liquidité. Au 20ème siècle s’est imposée la monnaie de crédit, c’est-à-dire la monnaie scripturale créée par les banques lorsqu’elles accordent des crédits à leurs clients. Le pouvoir des banques commerciales, dites de second rang, n’est pas pour autant illimité. Elles dépendent en effet entièrement de la banque centrale pour se procurer la monnaie centrale dont elles ont inévitablement besoin. La gestion de ces opérations de refinancement relève de la politique monétaire qui peut être laissée à la discrétion des autorités monétaires ou soumise à des règles définies à l’avance.
La croissance (rappel) est l’augmentation soutenue pendant une période longue de la production d’un pays. Elle est cyclique avec des phases d’expansion ainsi que de dépression ou de récession (en cas non de chute de la production mais de simple ralentissement) suivies de reprise. Un auteur comme Juglar relie ces phases à des phénomènes d’abus puis de restrictions de la distribution du crédit.
Répondre aux attentes des examinateurs |
On vous demande d’expliciter les mécanismes liant la création de monnaie et les fluctuations de l’activité en vous appuyant sur des faits pertinents de l’histoire économique du 20ème siècle. Entre monnaie et croissance, les liens ne sont pas directs. Ils passent par des processus d’expansion et de restriction du crédit, ainsi que de fluctuations des prix qu’il faut intégrer dans l’analyse, même si ils ne figurent pas explicitement dans l’énoncé du sujet.
Monnaie de crédit et croissance
Assouplir les conditions de la création de monnaie par les banques, c’est faciliter la distribution du crédit, ce qui permet à ceux dont les projets sont financés d’affirmer des droits sur la production pour se procurer les moyens en capital et en travail dont ils ont besoin. Cela peut susciter des tensions sur les prix du travail, des matières premières, de l’énergie et de toutes les consommations intermédiaires et donc, en définitive, des biens. Le mécanisme joue aussi à l’envers.
Prix et croissance
Au 20ème siècle les prix ont fluctué à travers des phases de déflation, de désinflation et d’inflation
L’inflation est un mouvement cumulatif et auto-entretenu de hausse du niveau général des prix. Mais tous n’augmentent pas au même rythme. Il y a donc une modification des prix relatifs.
La déflation est un processus de baisse durable du niveau général des prix, le plus souvent associé à une récession ou à une dépression de l’économie.
La désinflation correspond à un ralentissement de l’inflation. Son effet n’est pas neutre, elle modifie la répartition des revenus car les salaires décélèrent plus fortement que les prix dont le ralentissement est plus marqué que le reflux des taux d’intérêt.
La masse monétaire en circulation, dont le niveau et le rythme de progression sont commandés par les opérations de crédit, influence le niveau des prix qui lui même affecte la croissance.
Il y a donc un lien monnaie de crédit/prix et un lien variations des prix/variations de la croissance.
En les analysant méfiez vous des digressions amenant à perdre le sujet de vue : ainsi il est ici inutile de s’étendre longuement sur le débat qui, au 19ème siècle, a opposé la banking school à la currency school.
Trouver les articulations du raisonnement |
Le devoir ne doit pas être uniquement centré sur les aspects analytiques du sujet. Vous ne pouvez pas vous borner à exposer le point de vue des différents courants de pensée sur la question.
Il faut aussi éviter un plan trop schématique qui opposerait les théories (1ère partie) aux faits de l’histoire économique du 20ème siècle (2ème partie).
Le mieux est alors de combiner une approche thématique et chronologique.
Le découpage chronologique le plus pertinent consiste à distinguer trois périodes :
– l’entre-deux-guerres
– les 30 glorieuses
– la phase postérieure à 1973.
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
Il est nécessaire d’être au clair sur :
– Le régime d’émission de la monnaie avant 1914 : le currency principle, les règles de l’étalon-or, les dérèglements monétaires nés de la guerre de quatorze.
– Les soubresauts de la monnaie et des politiques monétaires pendant les années vingt.
– Les mécanismes de la crise de 1929 et les réactions des autorités monétaires face à la crise des années trente.
– Les caractéristiques de la croissance et des politiques économiques suivies avant et après la fin des années soixante dix.
– Les conceptions monétaires de Keynes.
– La relation de Phillips, son interprétation keynésienne et la critique monétariste.
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
Pour amorcer la réflexion on opposera le 19ème siècle au 20ème siècle.
Le premier est marqué par la stabilité des prix et un trend de croissance modérée, dans un contexte de création monétaire strictement contrôlée.
Le second est caractérisé par l’instabilité des prix et une croissance aux fluctuations plus erratiques, alors que les règles d’émission de la monnaie sont devenues beaucoup moins rigides.
Pour ce qui est de la gestion de la monnaie, à des politiques contraintes par la nécessité d’assurer la convertibilité des billets en métal précieux, succèdent des politiques discrétionnaires, c’est-à-dire à la discrétion des autorités monétaires. Au 20ème siècle le financement de l’économie devient de plus en plus monétaire, avec pour source principale le crédit bancaire, et non plus les marchés de capitaux. Cela est à relier à la destruction d’une partie considérable de l’épargne à l’occasion des guerres, ainsi qu’à la montée de l’Etat. Face aux multiples difficultés à surmonter, il met le crédit sous son contrôle pour ne relâcher son emprise qu’à la fin du 20ème siècle.
Dans ce contexte, le gonflement de tous les moyens de paiement provoque la hausse des prix et la dépréciation du pouvoir d’achat de la monnaie. Le 20ème siècle a été globalement celui de l’inflation.
Mais il a aussi connu des périodes de contraction de la masse monétaire et de déflation.
On constate que les périodes les plus négatives pour la croissance correspondent à des politiques monétaires restrictives, elles-mêmes liées à des phases de déflation.
Inversement les phases où la croissance est la plus dynamique sont corrélées à la conduite de politiques monétaires expansionnistes, elles-mêmes liées à des épisodes inflationnistes.
Définir une problématique
Comment, en influant sur l’évolution des prix (à la hausse, à la baisse, ou dans le sens d’un ralentissement de rythme), la monnaie influence-t-elle la croissance (que ce soit positivement ou négativement) ?
Annoncer le plan
L’entre deux guerres associe une gestion désordonnée de la monnaie et du crédit à de fortes perturbations de la croissance.
La période de reconstruction puis d’essor sans crise qui suit la guerre a pour caractéristique une gestion très accommodante de la monnaie et une politique expansionniste du crédit qui favorise une croissance de plus en plus inflationniste.
Au début des années 80, la gestion de la monnaie redevient beaucoup plus stricte ce qui, au moins à court terme, freine la croissance.
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – L’entre deux guerres a été marqué par des expériences de gestion rigoureuse de la monnaie exerçant des pressions déflationnistes sur l’économie et nuisant gravement à sa croissance.
Partez du fait que la doctrine libérale domine toujours les esprits et tirez en les conséquences en matière monétaire.
Dès la fin du conflit, on cherche à revenir sans délai à une gestion rigoureuse de la monnaie. Il s’agit de mettre un terme à l’énorme inflation née de la manière dont on a financé la guerre. Il faut d’urgence fermer la parenthèse et revenir à la discipline monétaire du 19ème siècle fondée sur l’étalon-or et la convertibilité externe des monnaies au plan international, sur une émission monétaire strictement contrôlée et le respect de l’équilibre budgétaire au plan interne. Les responsables considèrent que ce sont les conditions à remplir pour que fonctionnent à nouveau correctement les mécanismes du marché et que l’Etat revienne à sa place après les débordements de la guerre.
La conception dominante est toujours la théorie quantitative de la monnaie dont la formulation moderne est l’équation de Fischer (vérifiez que vous savez bien de quoi il s’agit). On considère que le montant de la masse monétaire en circulation n’influence que le niveau des prix, mais non celui de l’activité. Cela correspond au postulat de neutralité de la monnaie. Pour éviter les distorsions et liquider les excès de la guerre il faut toutefois ramener le niveau des prix à celui du pays où ils ont le moins augmenté, c’est-à-dire des Etats-Unis, puis gérer la monnaie selon les principes en vigueur avant le conflit.
A ce stade, demandez vous quelle est la traduction de ces conceptions en termes de politiques économiques.
Au Royaume Uni, pays qui a le plus avant poussé cette logique, est menée une politique systématique de déflation. Les mécanismes automatiques de rééquilibrage par les prix ne fonctionnant plus spontanément, on les provoque par des politiques délibérées de déflation monétaire, salariale et budgétaire. En revenant à l’orthodoxie monétaire et en rétablissant la parité or de la livre à son niveau d’avant guerre, le 28 avril 1925, on pense assainir une situation viciée par la guerre et recréer les conditions d’une restauration de la puissance financière de la place de Londres.
Les conceptions dominantes ne sont guère différentes en France et en Allemagne, mais ne pourront être appliquées de la même manière pour des raisons politiques et de circonstances. En Allemagne, après une phase d’hyperinflation aux conséquences catastrophiques (faites le point sur cet épisode), le mark est à nouveau défini en 1924 par le même poids d’or qu’avant guerre.
En France, l’inflation est forte jusqu’en 1926 (demandez vous pourquoi), mais la croissance l’est aussi car les exportations sont stimulées par la forte dépréciation du Franc que suscite l’inflation. Poincaré stabilise finalement le franc au 1/5 de sa valeur d’avant guerre et Paris redevient à son tour un centre or. Mais les exportations françaises perdent leur avantage compétitif en termes de prix, ce qui nuit au dynamisme de l’économie française.
Aux Etats-Unis, le retour à l’orthodoxie se traduit quelques mois après la fin des hostilités par des mesures d’austérité budgétaire et de rigueur monétaire. Au boom de l’économie succède en 1920/21 une crise violente que suit une période de stabilité des prix et d’expansion jusqu’en 1929.
De la description passez à l’analyse et mettez en évidence les effets nuisibles de la déflation.
Le Royaume Uni, qui a géré rigoureusement sa monnaie et provoqué la baisse des prix, s’en sort nettement moins bien en terme de croissance dans les années 20 que les pays qui, comme la France, n’ont pas combattu efficacement l’inflation. Les effets négatifs de la déflation sont dramatiquement soulignés par la terrible contraction de l’activité qui suit la crise de 1929, crise de nature déflationniste considérablement aggravée, comme l’ont montré M. Friedman et A. Schwartz par les erreurs de politique monétaire de la Fed qui laisse se contracter d’un tiers la masse monétaire américaine. Ils sont encore renforcés par les politiques Laval et Brüning de déflation qui ont des résultats catastrophiques.
C’est pourquoi on a fini par combattre la baisse des prix à travers des politiques de reflation (New Deal, Front Populaire) et par changer de perspective avec la révolution keynésienne mise en œuvre après la deuxième guerre mondiale.
Sur tous les points soulignés ci-dessus vérifiez que vous avez acquis les connaissances nécessaires.
De ce qui vient d’être exposé, déduisez qu’on peut, avec Keynes, faire l’hypothèse qu’une politique d’argent bon marché devrait avoir un effet stimulant sur l’économie, et passez à la deuxième partie.
II – Une politique monétaire accommodante stimule la croissance, aussi longtemps que l’inflation reste sous contrôle. C’est ce qui ressort de l’étude des 30 glorieuses
Appuyez vous sur l’approche keynésienne de la question
Keynes n’a cessé de dénoncer les méfaits des politiques de déflation. Il a montré que dans un contexte de rigidité à la baisse des prix et des salaires, la déflation ne peut que déprimer la demande effective et l’investissement. Elle induit en effet des mécanismes cumulatifs de contraction de l’activité : la baisse des prix incite à différer les achats et à thésauriser, la mévente et la baisse des prix provoquent la faillite des entreprises les plus vulnérables ainsi qu’une baisse de l’activité, avec un essor du chômage et une baisse des revenus qui se répercute à son tour sur la demande. La surproduction dissuade d’investir pour créer des capacités supplémentaires. La priorité est donnée au désendettement en raison de l’élévation des taux d’intérêt réels, ce qui déprime aussi l’investissement.
Sa conclusion est qu’en créant de la monnaie, on peut « réamorcer la pompe » et agir sur le niveau d’activité lorsqu’il y a des hommes au chômage et des équipements non utilisés. La monnaie n’est pas neutre, elle est active.
Aussi longtemps que l’économie se trouve en situation d’équilibre de sous-emploi (avez-vous bien compris cette notion clef du raisonnement keynésien ?), l’inflation ne se manifeste pas.
Cette conception est complétée par la courbe de Phillips qui introduit une relation fonctionnelle entre l’inflation et le chômage et suggère aux gouvernements qu’un arbitrage est possible entre les deux phénomènes (exercez vous à représenter cette relation dans un repère cartésien en nommant correctement les axes).
Montrez maintenant par quels mécanismes l’inflation est liée positivement à la croissance.
Vous pouvez notamment rappeler :
– qu’elle allége les dettes passées et facilite le financement de l’économie ; en particulier elle facilite l’achat de logements par les ménages et dynamise la construction
– qu’elle stimule la consommation en incitant les consommateurs à avancer leurs achats
– qu’elle améliore les perspectives de profit et de ce fait favorise l’investissement
Trouvez d’autres arguments.
A ce stade, demandez vous quelle est la traduction de ces conceptions en termes de politiques économiques.
Montrez que celles qui la tolèrent obtiennent de bons résultats.
Il s’agit d’abord de politiques très dirigistes menées au lendemain de la guerre par un pays comme la France. A travers le circuit du Trésor (de quoi s’agit-il ?), l’Etat y contrôle directement le crédit et la création de monnaie, ce qui accélère la reconstruction et stimule la croissance.
Il s’agit ensuite de politiques de réglage fin de la conjoncture qui ont des effets contra cycliques (c’est-à-dire ?) et favorisent l’essor sans crise caractéristique des 30 glorieuses. Le meilleur exemple est ici celui des « New Economics » de Kennedy puis Johnson dans l’Amérique des années 60 (vous devez en mémoriser les principaux axes).
A travers ces politiques le crédit passe sous le contrôle de l’Etat.
Les politiques monétaires deviennent souples, voire laxistes : elles s’efforcent d’obtenir un minimum d’inflation pour un maximum de croissance. L’activité des banques est favorisée : elles pratiquent la transformation et par leur canal le financement de l’économie devient de plus en plus intermédié. Dans le cadre de cette économie d’endettement (pensez à la typologie de Hicks), le crédit à la consommation devient une pratique courante et soutient l’activité. Tous ces éléments sont susceptibles d’entretenir l’inflation Mais une inflation modérée paraît alors être de nature à stimuler la croissance. Le problème est qu’à partir de 1965 elle s’enracine dans les comportements et s’accélère, ce que les agents économiques finissent par intégrer dans la formation de leurs anticipations.
Cette conclusion d’étape étant posée, passez à la troisième partie.
III – La gestion discrétionnaire de la monnaie finit par se retourner contre la croissance. C’est l’enseignement de la période qui suit le premier choc pétrolier et voit triompher les thèses monétaristes.
Evoquez les années 70 et l’inefficacité des politiques keynésiennes de relance qui ont alors été mises en œuvre (que savez vous de la relance Chirac ? de la relance Carter ?). Dans un contexte de généralisation de l’inflation, elles ont contribué à l’accélérer sans obtenir de bons résultats dans la lutte contre le chômage. Pour qualifier cette situation inédite on invente le terme de stagflation.
Ces évolutions invalident la relation de Phillips et les politiques keynésiennes qu’elle fondait.
Cela amène à souligner les risques de l’inflation pour la croissance :
– elle perturbe le calcul économique rationnel et fausse l’allocation des ressources. Comme l’a montré Hayek (que savez vous de cet auteur ?), les prix sont des signaux d’information sur lesquels se guident les agents pour prendre leurs décisions. Avec l’inflation ils deviennent faux et ne permettent plus à la rationalité de s’exercer correctement.
– elle affecte la répartition : les comportements d’épargne sont pénalisés ainsi que tous les agents qui prennent du retard dans l’ajustement de leurs revenus. La baisse de l’épargne entraîne un recours croissant à la création monétaire pour financer l’investissement, ce qui peut entretenir l’inflation.
– elle crée de l’incertitude et fait monter les primes de risque sur les marchés financiers.
– au delà d’un certain seuil, l’inflation s’accélère par le jeu des anticipations et risque d’échapper à tout contrôle. Quand elle s’accélère et n’est plus maîtrisée, elle sape la confiance des agents dans la fonction de réserve de valeur de la monnaie. Les comportements de fuite devant la monnaie se généralisent et désorganisent fortement l’activité économique (trouvez une illustration de cette assertion).
– en changes fixes, elle pose un problème extérieur grave, car elle oblige à un arbitrage entre la dévaluation et la perte de compétitivité extérieure. Elle favorise de ce fait la spéculation contre la monnaie (pourquoi ?)
Tirez les conséquences de cette analyse.
Montrez que cela débouche sur la recherche de la stabilité des prix et l’application de politiques ayant pour objectif la désinflation :
– dans un contexte de restauration des mécanismes de marché, les Etats cessent de contrôler le crédit. La monnaie est désormais gérée selon les principes du monétarisme, alors que les salaires sont partiellement désindexés des prix. Ce revirement des politiques économiques est illustré par le tournant de la rigueur pris à son tour par le gouvernement français en 1983. Il induit un processus de désinflation qui se traduit par une décélération des salaires plus forte que celle des prix, qui eux mêmes ralentissent plus que ne décroissent les taux d’intérêt nominaux (vérifiez que vous avez bien compris cet enchaînement). Il en résulte une modification du partage de la valeur ajoutée qui s’opère au détriment des salariés.
– dans un premier temps la croissance en est fragilisée et s’affaiblit avec une décélération de l’activité et de l’emploi. Mais l’inflation est désormais sous contrôle. Dans les années 90 on s’oriente, sous la houlette des Etats-Unis, vers un nouveau régime de croissance dans un contexte de stabilité des prix.
Au début du 21ème siècle on se met toutefois à redouter à nouveau la déflation dont l’impact ne pourrait être que négatif (pourquoi ?). Les signes en étaient la langueur de l’économie japonaise, puis le krach des valeurs technologiques et l’onde de choc déclenchée par les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Pour y faire face les banques centrales, et en tout premier lieu la Fed, ont adopté une politique très accommodante de baisse des taux d’intérêt. Cette politique de crédit facile et d’argent bon marché a à son tour généré des effets pervers dont les symptômes sont l’abondance de liquidités dans le monde et la montée du prix des actifs (financiers et immobiliers).
A l’issue de la crise dite des subprimes (ayez une idée de ses mécanismes de base) qui s’est déclenchée pendant l’été 2007, on cumule une déstabilisation financière née de cet excès de liquidités (que certains opérateurs ont engagé dans des opérations risquées pour obtenir un supplément de rentabilité) et un retour de l’inflation (envolée des prix des matières premières et de l’énergie). Il semble difficile dans ces conditions de concilier les impératifs contradictoires de remise en ordre financière et de soutien de la croissance.
Conclure |
Résumer et répondre
La gestion de la monnaie a de fortes incidences sur la fluctuation des prix et, par ce biais, sur le rythme et l’intensité de la croissance. Les évènements du 20ème siècle montrent que les questions relatives à la monnaie et au crédit sont de la plus haute importance.
Ouvrir
Les ressorts fondamentaux de la croissance n’en sont pas moins situés ailleurs : ils ont trait à la productivité des facteurs et au progrès technique. Si le contexte monétaire et financier peut faciliter la croissance ou la brider, il ne la détermine pas en dernière analyse. Par ailleurs, d’autres facteurs que la politique monétaire et du crédit influencent aussi les mouvements de prix et donc la vitalité de l’économie. Il faut notamment prendre en compte l’état de la concurrence sur les différents marchés, les tensions sur les ressources ou la rareté relative des facteurs. Cela conduit à s’interroger sur le rôle que peut jouer la politique monétaire aujourd’hui.
Réfléchir sur des sujets voisins |
A titre de complément vous pouvez vous entraîner sur le sujet suivant qui est plus limité mais vous permet de vérifier si vous avez bien assimilé les notions et mécanismes de base :
Vous analyserez l’impact des mouvements de prix sur la croissance économique de la fin du 19ème siècle à nos jours dans les PDEM
Conforter ses connaissances |
Vous pouvez vous référer :
– au petit livre de J. F. Goux sur Inflation, Désinflation, Déflation, collection les topos, Dunod
– au numéro des Cahiers Français sur la monnaie publié par La Documentation Française
– aux chapitres 7 et 8 du tome 1 de l’anti-manuel d’économie de Bernard Maris sur l’argent, la Bourse et les marchés financiers
S’appuyer sur des citations |
Il n’est pas dans l’économie quelque chose de plus insignifiant que la monnaie, si on la considère autrement que comme un mécanisme pour faire vite et commodément ce qu’on ferait moins vite et moins commodément si elle n’existait pas.
John Stuart Mill, Les principes d économie politique, 1848
Lorsqu’on s’attaque à la recherche des facteurs qui déterminent les volumes globaux de la production et de l’emploi, la théorie complète d’une économie monétaire devient indispensable.
John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1936
Le prêt bancaire reste le canal essentiel du financement des investissements. Seules les banques, en effet, ont la possibilité, en anticipant sur une épargne à venir, de s’engager à financer des projets à hauteur des sommes dont elles ne disposent pas encore. Ce faisant, elles prennent un risque de liquidité, mais facilitent largement la croissance.
Michel Aglietta, Anton Brender et Virginie Coudert, Globalisation financière : l’aventure obligée, Economica, 1990
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Selon les calculs de l’Insee :
– un Franc de1914 équivaut à 2,99469 euros de 2006
– le pouvoir d’achat du Franc français a été divisé par 17,281 entre 1914 et 1999
Dans le même temps le pouvoir d’achat des français a été multiplié par plus de 4
Notez sur votre carnet toutes les données qui vous semblent pertinentes pour illustrer les liens entre monnaie, prix et croissance.
Deuxième subdivision : Les circuits de financement de l’économie dans les grands pays industrialisés
Plan détaillé N° 9 – Etat, banques et bourse : vous analyserez l’importance relative de ces différents acteurs dans le financement de l’économie française depuis 1945.
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Analyser un phénomène en évolution conduit à en décrire les mutations de façon à en mettre en évidence les causes et à en rechercher les conséquences.
Le financement de l’économie est la tâche qu’assume le système financier dont les principaux acteurs sont les banques et la bourse. Mais l’Etat est aussi concerné. Il l’était directement lorsqu’il était la clef de voûte du financement de la reconstruction. Il l’est toujours dans la mesure où des autorités publiques sont supposées assurer la régulation du système financier.
Cette première lecture indique clairement que le sujet porte sur la manière dont ont évolué les modes de financement de l’économie française depuis 1945, année de la nationalisation de la Banque de France et des grandes banques de dépôt, ainsi que de la création du conseil national du crédit.
Les erreurs à ne pas commettre
Les erreurs éventuelles peuvent porter :
-sur la périodisation qui doit être correcte.
-sur les enchaînements qui conduisent d’une étape à la suivante, en faisant passer le financement de bases très dirigistes à des principes beaucoup plus libéraux.
-sur les ordres de grandeur indiquant l’importance relative des différents modes de financement. A cet égard il est erroné de soutenir que le financement se ferait aujourd’hui essentiellement par les marchés et que l’importance du financement bancaire serait négligeable.
La démarche à suivre
On est très vite conduit à distinguer trois périodes (et c’est indispensable pour traiter le sujet) :
– celle de la reconstruction, dont le financement est organisé et dirigé par l’Etat.
– celle de l’économie d’endettement, dont le financement repose sur l’autofinancement des entreprises et le crédit bancaire sous tutelle publique.
– celle de l’économie de marchés de capitaux, dont le financement a pour centre de gravité la bourse, ce qui ne signifie pas que le rôle des banques soit devenu secondaire.
En décrivant les mutations successives du financement, les questions à avoir en tête sont de savoir :
– pourquoi le rôle respectif de chacun de ses acteurs a évolué, ce qui suppose d’identifier et d’analyser les besoins spécifiques à chaque période.
– quelles en sont les conséquences sur l’évolution des prix, sur le rythme et les fluctuations de la croissance, sur la répartition des risques que comporte toute opération financière ou encore sur le partage des richesses et leur transfert dans le temps.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Pour traiter correctement le sujet, il faut :
– connaître les grandes évolutions qui depuis 1945 ont fait passer d’un financement administré par l’Etat à un financement intermédié par les banques, puis à un financement direct davantage centré sur les marchés de capitaux.
– avoir assimilé les mécanismes et notions portant sur ce thème du programme : escompte et autres formes du crédit, procédures de refinancement des banques, émission de titres, liens entre financement et monnaie, effet de levier, mécanismes des crises financières et de leur diffusion à l’économie réelle.
A titre complémentaire, vérifiez que vous avez bien compris la signification et la portée du théorème de Modigliani-Miller.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : De 1945 aux années 60 l’économie française est administrée de façon dirigiste et son financement est étatisé.
1 – Le contexte de la reconstruction conduit l’Etat à prendre directement en charge le financement de l’économie française.
Le contexte est marqué par les séquelles de la crise de 29 et de la dépression des années 30 : la bourse est en sommeil, les banques privées ont été fragilisées et n’ont que de faibles capacités d’action.
La guerre a suscité de considérables destructions, alors que l’épargne très amoindrie est insuffisante pour assurer le financement de la reconstruction.
L’Etat doit prendre la direction des opérations dans un cadre très dirigiste. Il nationalise la Banque de France, les grandes banques de dépôt, les compagnies d’assurance. Tous les leviers du crédit passent sous son contrôle.
Il organise le financement autour du Trésor public, du Fonds de modernisation et d’équipement, de la Caisse des Dépôts et Consignations et de la banque centrale devenue une institution publique.
Il met en œuvre les indispensables crédits Marshall. Il octroie aux entreprises publiques, sur fonds budgétaires, les ressources nécessaires à leur redressement. Il subventionne les entreprises privées.
Les institutions financières contrôlées par l’Etat multiplient les crédits à taux bonifiés au profit des activités jugées prioritaires par le plan (agriculture, logement, mines, transports, construction navale, industrie lourde etc.…). Chacune d’elles ayant son propre régime spécial de crédit, les circuits de financement se cloisonnent. Ils ne sont plus régis par les lois du marché mais par des impératifs politiques.
2 – Les dysfonctionnements de ce système où la place des autres acteurs est secondaire sont de plus en plus apparents.
Pour ce qui est du système bancaire, la loi de 1945 adopte le principe de sa spécialisation. Il n’y a pas de liberté d’établissement et les banques commerciales sont étroitement surveillées par le conseil national du crédit.
La politique monétaire est dirigiste : son outil principal est le réescompte selon des procédures garantissant le refinancement des opérations que l’Etat veut encourager. L’allocation des ressources ne repose pas sur des mécanismes de marché.
Cela a été efficace pour stimuler la reconstruction. Mais en résultent aussi des tensions inflationnistes plus ou moins maîtrisées, la création de monnaie étant indispensable pour boucler ce circuit de financement administré de l’économie.
En outre cela fait disparaître la concurrence aussi bien entre les institutions financières qu’entre les demandeurs de capitaux.
Deuxième volet de l’enquête : Dans les années 60 on s’efforce de remédier aux défauts de ce financement administré.
1 – Dans sa volonté de désengagement l’Etat pousse les banques au centre du système financier.
Il s’agit de mettre fin aux excès du dirigisme et de prendre acte de l’ouverture européenne.
En 1966/67 interviennent les réformes Debré-Haberer qui placent le système bancaire au centre du système financier. Les banques pratiquent la transformation systématique de ressources déposées à court terme en placements de moyen et long terme. Pour faciliter leur refinancement est créé en 1967 un marché monétaire interbancaire où les établissements qui ont des excès de liquidités peuvent les prêter à ceux qui ont des besoins de trésorerie. Cela témoigne d’une volonté de passer à une régulation par les taux pour fonder la politique monétaire.
Par ailleurs, la commission des opérations de bourse est mise en place pour surveiller les transactions boursières et contribuer au réveil du marché des titres.
2 – Dans un contexte d’accélération de l’inflation, tous les objectifs ne sont pas atteints.
L’inflation s’accélère en lien avec la crise du système monétaire international et les chocs pétroliers. Pour la freiner, la politique monétaire repose à partir de 1972 sur un encadrement systématique du crédit. Elle reste donc très dirigiste, contrairement à ce qui était souhaité.
La Bourse ne prend toujours pas son essor.
L’endettement des entreprises est croissant : il est dopé par l’effet de levier alors que les taux d’intérêt réels sont proches de zéro.
Le système bancaire reste cloisonné et non concurrentiel. Ce mode de financement entretient l’inflation dont le taux passe à deux chiffres. On tente de sortir de ces contradictions en nationalisant presque tous les établissements de crédit en 1982, mais ce sursaut de dirigisme conduit à une impasse.
Troisième volet de l’enquête : La donne change radicalement avec le tournant de la rigueur et la globalisation financière qui donnent aux marchés financiers le premier rôle.
1 – Le contexte devient authentiquement libéral.
Le tournant de la rigueur exprime le choix :
– de la désinflation au plan intérieur
– de l’ouverture et de l’acceptation des conséquences financières de la globalisation au plan extérieur.
Dans la foulée suivent les réformes du financement dont l’impulsion est donnée par Pierre Bérégovoy (dont un texte est reproduit ci-dessous) :
– le marché monétaire est ouvert aux agents non financiers en 1985 et devient le compartiment du marché financier où se négocient les titres courts.
– l’encadrement du crédit est abandonné, de même que le contrôle des prix et des changes en 1987.
L’inspiration de la politique monétaire devient monétariste. A partir de 1993, la banque de France qui la met en oeuvre est indépendante, ce qui la soustrait à toute ingérence des pouvoirs publics.
Pour ce qui est de la bourse, l’Etat stimule son essor par des mesures fiscales destinées à y orienter l’épargne des ménages. Il facilite aussi l’accès des entreprises aux marchés financiers pour qu’elles s’y procurent des fonds. Cela passe par des mesures de modernisation et de déréglementation ainsi que par l’adoption de multiples innovations financières (titres hybrides, marchés dérivés, opérations de fusion-acquisition).
La France participe activement au vaste processus de globalisation financière qui modifie toutes les règles du jeu.
2 – Cela a un impact sur les banques et sur le fonctionnement de l’économie dans son ensemble.
Les banques sont d’abord fragilisées : elles doivent s’adapter en raison du déclin des financements intermédiés.
L’Etat y contribue
– par l’unification du cadre juridique de l’activité bancaire en 1984
– par la privatisation progressive des grands établissements de crédit (BNP, Société Générale etc.).
Les banques s’adaptent en se concentrant et en redéfinissant leurs activités. Au passage elles se tournent de plus en plus vers les marchés financiers en « marchéisant » leurs opérations. Elles conservent une place déterminante du fait de l’importance des asymétries d’information entre prêteurs et emprunteurs, avec tous les risques d’aléa de moralité et d’anti-sélection que cela comporte. Mais si leur rôle reste capital, les marchés financiers sont devenus le centre de gravité du système, et c’est par rapport à eux qu’elles se situent.
Les conséquences de ces mutations sont :
– le caractère plus concurrentiel des mécanismes d’allocation des ressources, ce qui est le gage d’une meilleure efficacité aux yeux des libéraux.
– un financement à priori non inflationniste de l’économie.
– un risque plus grand d’exubérance « irrationnelle » des marchés conduisant à la formation de bulles spéculatives.
– une plus grande cyclicité de l’économie devenue plus sensible aux chocs issus de la sphère financière.
Aujourd’hui on est fondé à se demander si la configuration financière actuelle :
– favorise réellement l’investissement et la croissance.
– permet un meilleur partage du risque.
– est apte à transférer efficacement de la richesse dans le temps.
Répondre à la question posée
On considère souvent que l’économie française était le prototype d’une économie d’endettement et qu’elle a évolué vers le modèle d’une économie de marchés financiers pour reprendre la typologie de Hicks. Mais cette vision est trop simplifiée pour rendre compte de la réalité des processus. L’analyse proposée par Jean François Goux (Economie monétaire et financière, 1998) permet de caractériser l’évolution du système financier français « non comme la transformation brutale d’une économie d’endettement en une économie de marchés de capitaux, mais de manière beaucoup plus modeste et réaliste comme le passage d’un système financier fondé sur la banque et administré, à un système financier qui reste fondé sur la banque mais qui est désormais libéralisé ».
A travers cette évolution, la croissance semble s’être affaiblie alors que le risque de crises financières parait plus élevé. On peut donc se demander si la configuration actuelle est durable. L’effacement de l’Etat est-il définitif ? On peut en douter.
S’appuyer sur un texte
Le texte ci-dessous éclaire le sens des réformes conduites par le Ministère des Finances dans les années 80.
« Dans le passé le discours libéral est allé de pair avec une pratique dirigiste : le système financier français était cartellisé, soumis à une hyper réglementation pointilleuse, qui avait vu se multiplier les situations de monopole, les privilèges de réseaux et les procédures dérogatoires.
Ce système était le produit d’une longue tradition étatique. En France, l’État a, depuis toujours, joué un rôle plus important qu’ailleurs suppléant à l’absence d’un vaste marché des capitaux en même temps, qu’en drainant les ressources pour son compte, il rendait impossible sa constitution. Les financements aidés pour l’industrie, le logement, les exportations… se sont ainsi multipliés et les concours de l’État, de rôle d’appoint, devenaient la clé de toute opération.
L’idée qui a commandé la modernisation du financement de l’économie est à l’opposé de cet héritage : il faut que l’argent soit mobile pour apporter aux prêteurs et aux emprunteurs une liberté de choix et d’arbitrage essentielle à une économie moderne. Si l’argent est plus mobile, son coût devient aussi plus faible, du fait de l’élimination des rentes dont le poids est supporté par les entreprises, les particuliers et l’État. Dès lors, il devient possible de clarifier le rôle de l’État en recentrant ses concours sur les vraies priorités, en premier lieu la recherche et le développement des PME, et en limitant ses interventions réglementaires à l’organisation générale et à la surveillance du marché des capitaux.
Pierre Bérégovoy, ministre de l’Économie, des Finances et du Budget
Préface au livre blanc sur la réforme du financement de l’économie
Plan détaillé n° 10 : En quoi les mutations du système financier français depuis le tournant libéral ont-elles modifié les stratégies des entreprises et la conduite des politiques publiques ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Voici quelques pistes pour mettre en route la réflexion sur le sujet.
On peut d’abord donner des précisions sur ce qu’est le système financier, en rappelant qu’à la base il repose sur des comportements d’épargne et d’investissement, qu’il est structuré par des institutions (banques, organismes de crédit, marchés de capitaux) et animé par des circuits qui peuvent être directs et indirects.
A cet égard la typologie de Hicks établit une distinction bien connue entre « overdraft économy » et « auto économy ». Il faut toutefois se garder de l’appliquer trop schématiquement.
Le tournant libéral se produit au cours des années 80, il faut donc remonter 25 ans en arrière.
Les mutations financières sont celles qui ont fait éclater le cadre national et dirigiste qui prévalait jusqu’alors et qui ont poussé à la globalisation financière.
Cela ne peut pas ne pas avoir d’impact sur les comportements des agents, en l’occurrence sur les stratégies des entreprises et la conduite des politiques publiques.
Les stratégies des entreprises peuvent se déployer dès lors qu’elles sont à même de se fixer des objectifs et de mettre en œuvre des moyens pour les atteindre. Cela suppose qu’elles ne sont pas totalement soumises aux lois du marché et sont en mesure de faire des choix qui sont influencés par le contexte financier dans lequel elles évoluent. Le choix de base porte sur les modalités de leur croissance. Celle-ci est dite interne si elles recherchent prioritairement le développement de leurs propres forces. Elle est dite externe si elles ont pour objectif premier la prise de contrôle d’entreprises déjà existantes.
La conduite des politiques économiques comporte au moins deux volets : les politiques conjoncturelles cherchent à atténuer les variations trop brutales de l’activité et de l’emploi, les politiques structurelles cherchent à développer le potentiel de l’économie. Pour prendre une analogie routière la première cherche à améliorer les conditions de la circulation, la seconde à augmenter la puissance du moteur.
Les erreurs à ne pas commettre
La difficulté est ici d’arriver à lier, dans une réflexion synthétique, trois éléments situés sur des plans différents. Elle est aisément surmontable dès lors que l’on connaît son cours.
La démarche à suivre
Le plus sûr et le plus efficace est de présenter dans un premier temps les mutations du système financier, puis d’analyser leur impact sur les finances publiques et les possibilités d’action de l’Etat, pour enfin mettre en évidence leur incidence sur les comportements des entreprises.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Ce sont les mêmes que dans le sujet précédent.
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Premier volet de l’enquête : Quelles mutations pour quels enjeux ?
A travers ses mutations, le système financier français acquiert des bases libérales qu’il n’avait pas (ou plus).
Les mutations
Avec le tournant libéral, le cadre national et dirigiste qui prévalait jusqu’alors éclate. L’Etat perd de fait une bonne part de ses prérogatives. Plus exactement il s’en dépouille, car c’est sous son impulsion qu’est menée une action de modernisation passant par la déréglementation des activités financières, le décloisonnement des circuits et la désintermédiation du financement.
Cela passe par la réforme du marché monétaire en 1985. Simultanément, grâce à des incitations fiscales et à des mesures juridiques favorisant les innovations financières, la bourse prend son essor.
Le sens de ces évolutions est de faire reculer le dirigisme au profit d’une plus grande liberté des agents et de dissoudre le marché français des capitaux dans un ensemble beaucoup plus vaste qui s’étend à l’échelle de la planète.
Leurs enjeux
Elles sont porteuses de plus d’efficacité mais aussi de plus de risques.
Dans ce nouveau contexte le financement devient en effet plus facile d’accès, moins coûteux, mais aussi générateur d’une plus grande instabilité de l’économie.
Les comportements des agents ne peuvent qu’en être affectés. Dans cette perspective David Thesmar, récompensé en 2007 par les prix du meilleur jeune économiste, s’est attaché à mesurer les effets de la déréglementation bancaire sur le tissu industriel français. Ses travaux mettent en évidence « une accélération de la réallocation du capital, et donc du processus de création-destruction de valeur et d’emplois qui, si elle améliore la productivité des facteurs augmente aussi les risques pour tous les acteurs » (Le monde du 15 mai 2007)
Deuxième volet de l’enquête : quelles conséquences pour le financement des politiques publiques ?
Ces mutations procurent aux pouvoirs publics des facilités d’endettement, mais réduisent à terme leurs marges de manœuvre.
Les incidences sur la gestion des finances publiques
Pour ce qui est des dépenses publiques, il est désormais exclu de les financer par création de monnaie. En revanche, les administrations publiques ont accès à un marché des capitaux beaucoup plus large. Cela leur procure des facilités plus grandes d’endettement. Considérées par la communauté financière comme des signatures très sûres, elles bénéficient des meilleures conditions pour placer leurs emprunts. Par un mécanisme en apparence indolore, elles sont incitées à reporter à plus tard la mise en œuvre de réformes difficiles. Mais cela ne peut durer indéfiniment. Aujourd’hui se pose le problème du niveau, de la légitimité et de la soutenabilité de la dette publique.
Les incidences sur les politiques économiques
Pour ce qui est des politiques économiques, elles ont été modifiées dans leurs différentes dimensions. C’est d’abord le cas pour la politique des changes : face aux volumes échangés chaque jour sur les marchés de devises, les réserves des banques centrales ne pèsent pas lourd. Les crises monétaires de 1992 et 1993 ont illustré l’impuissance relative des gouvernements européens et les ont convaincu d’accélérer le passage à l’euro.
La politique monétaire aussi a été affectée. Elle a désormais pour arme principale le maniement des taux d’intérêt directeurs, l’encadrement du crédit n’étant plus utilisable car trop facile à contourner.
La politique budgétaire est également concernée : si les déficits sont jugés trop élevés par les marchés, cela pousse à la hausse les taux d’intérêt, ce qui alourdit le poids de l’endettement public et pénalise les économies concernées.
Plus globalement, cette évolution conduit les Etats à adopter des politiques structurelles qui conviennent aux marchés, c’est à dire allant dans le sens de ce qu’ils souhaitent. Ainsi les marchés apprécient la robustesse d’une économie à partir de critères tels que la capacité d’adaptation de ses entreprises, le degré de flexibilité du marché du travail, la maîtrise des dépenses sociales, le poids de la fiscalité ou encore la qualité du système de formation.
L’évolution des taux de change et des taux d’intérêt dépend de l’analyse que portent les marchés sur l’ensemble de la politique économique : cette contrainte rend nécessaire des politiques d’ajustement structurels visant à améliorer les vraies déficiences des économies. En ce sens la pression qu’exercent les marchés est porteuse d’efficacité. Mais on peut aussi estimer que cette influence s’exerce au détriment de la souveraineté des Etats et qu’en cherchant à démontrer aux marchés la crédibilité de leur politique, les gouvernements se soumettent à des exigences toujours plus rigoureuses sur les dépenses publiques ou la protection sociale.
Troisième volet de l’enquête : quel impact sur les stratégies d’entreprise ?
Les mutations du système financier permettent aux entreprises de mener des stratégies offensives de croissance externe, mais les soumettent à des contraintes très fortes de rentabilité.
Des stratégies plus offensives sous surveillance des marchés
Les grandes entreprises ont un accès beaucoup plus large à tous les modes de financement direct et sont devenues beaucoup moins dépendantes des banques. Elles peuvent développer des stratégies financières pour conforter et développer leurs positions dans un contexte redevenu concurrentiel. Elles sont à même de lever sur les marchés des capitaux très importants. Cela facilite le financement de leur effort de recherche-développement, mais aussi les opérations de croissance externe par fusions-acquisitions. La nouvelle donne financière a contribué à accélérer la concentration financière en facilitant les offres publiques d’achat et d’échange (OPA, OPE) et les opérations dites de LBO (pour leverage buy out) financées par endettement.
Elles sont aussi en mesure de mieux faire face aux risques inhérents à leurs activités. En nouant des contrats à terme ou en achetant des options sur les marchés dérivés, elles peuvent en effet se prémunir contre les fluctuations des cours du change ou contre les variations des taux d’intérêt.
En contrepartie elles sont soumises à des contraintes très fortes de rentabilité, avec une pression permanente à la baisse des coûts. La concentration financière s’accompagne d’un processus de déconcentration productive. Le recours à la sous-traitance, à l’externalisation des activités, à l’éclatement des collectifs de travail est en effet une source majeure d’économies.
Pour ce qui est de leur management, les nouvelles règles du jeu ont remis en cause la domination de la technostructure. Ainsi que l’a montré Galbraith, cette dernière était en mesure de mener des stratégies calées sur un horizon long. Lui a succédé le « gouvernement d’entreprise » soumis à des contraintes de rentabilité immédiate dans un environnement plus risqué. Cela peut être un aiguillon utile à l’amélioration de l’efficacité des organisations productives. Mais l’affaire Enron a montré que les marchés peuvent se révéler défaillants pour assurer un contrôle efficace de leur gestion.
Logique financière et logique productive
A la limite on peut se demander si désormais les marchés ne fonctionnent pas « à l’envers », les bourses cessant paradoxalement de financer les besoins des entreprises pour exiger au contraire (sous forme de versements de dividendes et de rachats par les sociétés de leurs propres actions) qu’elles rémunèrent constamment les actionnaires. C’est ce que soutient un consultant comme Jean-Luc Gréau (L’avenir du capitalisme, Gallimard, 2005) lorsqu’il avance que, sous la pression des grands actionnaires que sont les SICAV et les fonds de pension, le rendement de l’épargne prévaut sur l’investissement à long terme. On retrouve le même type d’argumentation dans le livre polémique d’Edouard Tetreau (Analyste, au cœur de la folie financière, Grasset, 2005) ou dans l’Antimanuel d’économie de Bernard Maris.
Répondre à la question posée
En conclusion, on constatera que l’économie s’est financiarisée avec un impact certain sur les comportements des agents (y compris ceux des ménages qu’on n’avait pas à étudier dans le devoir mais qu’on peut aborder en conclusion)
On se demandera quel impact cela peut avoir au final sur la croissance. Au niveau global, ces mutations ont été de pair avec une croissance mondiale vigoureuse mais sans doute plus fragile car déséquilibrée avec la multiplication des crises financières. La croissance française n’en a que peu bénéficié en raison de la difficulté à faire passer les réformes que la mondialisation rend nécessaires : les facilités d’endettement ont en effet permis aux pouvoirs publics de reporter les difficultés dans le temps…
On peut donc ouvrir sur la dette publique, ou évoquer les régulationnistes selon lesquels, en lien avec les mutations financières, on serait passé d’un mode de régulation monopoliste à un mode de régulation patrimonial, autrement dit du capitalisme managérial au capitalisme des actionnaires.
Troisième subdivision : L’émergence et la constitution des systèmes financiers de la révolution industrielle à nos jours.
Plan détaillé n° 11 : Financement de l’activité économique et transformations du capitalisme dans les principaux pays industrialisés au 19ème siècle.
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
L’expression financement de l’activité économique amène à se poser quelques questions simples : Quels sont les moteurs de cette activité au 19ème siècle ? Quels sont les besoins à financer ? Quelles sont les modalités de leur financement ?
Les mutations du capitalisme sont celles qui le poussent à devenir plus industriel, plus concentré, plus organisé, plus financier.
Les pays à prendre en compte sont la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, les Etats-Unis, la Russie et le Japon.
Les erreurs à ne pas commettre
L’erreur la plus grave serait d’ignorer le fait que le capitalisme revêt des formes nationales et de ne pas différencier les évolutions propres à chaque pays.
La démarche à suivre
La problématique est à organiser autour de deux questions qui se complètent :
Comment la sphère financière s’est elle adaptée aux évolutions de l’économie réelle ?
Quelles transformations du capitalisme en ont résulté ?
En résulte une proposition de plan en 3 parties :
I- Le développement du capitalisme nécessitait une évolution du financement.
II- Pour y répondre les banques et les marchés financiers se transforment et s’adaptent différemment selon les pays.
III- Ces mutations financières ont des conséquences sur le fonctionnement du capitalisme.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Le sujet est vaste et demande de réunir des connaissances sur :
– les techniques de financement des dépenses d’investissement d’une part et des dépenses d’exploitation courante de l’autre.
– les différentes formes d’entreprise, de celle qui se confond avec la personne de son créateur à la société de capitaux.
– les débats qui au 19ème siècle ont porté sur les questions monétaires.
– la configuration des systèmes financiers propres à chaque pays, sachant que la place respective du marché des titres et du système bancaire n’y est pas identique.
– les liens entre les mutations financières et la concentration.
– leurs connexions avec les crises et les cycles.
– la révolution ferroviaire qui a été une source majeure d’innovations financières.
Ce dernier point mérite quelques précisions.
Comme le note Jean Pierre Rioux : « L’attrait décisif du rail, c’est l’énorme masse de capitaux qu’il mobilise et qu’il fait fructifier » (La Révolution Industrielle, Points, Seuil, p. 81). Ce sont les banquiers qui, très tôt, ont flairé l’importance du rail et tout l’appareil bancaire moderne sort directement du champ d’expérimentation qu’est la construction ferroviaire : les titres, avec le lancement d’actions et d’obligations par Rothschild dès 1845 pour financer la ligne Paris-Lille, les grandes banques de dépôt et de crédit, les modernes banques d’affaires.
Le chemin de fer mobilise en effet des capitaux très importants pour se développer. L’investissement ferroviaire devient une composante clef de l’investissement total et de ce fait joue un rôle décisif dans les crises et les fluctuations de l’économie typiques du 19ème.
Les auteurs qui viennent à l’esprit sont, entre autres : Bouvier, Cameron, Chandler, Gerschenkron, Juglar, Kindleberger, Marx et éventuellement les théoriciens de l’impérialisme.
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Premier volet de l’enquête : les besoins de financement des agents et les techniques pour y répondre.
Qui doit se financer?
Au 19ème siècle, il s’agit des entreprises et des collectivités publiques. Mais il n’y a pas de crédit à la consommation et les particuliers ne sont pas concernés.
A court terme, les entreprises ont des besoins en capitaux circulants liés aux financement des stocks, au paiement des salaires, des matières premières et des consommations intermédiaires ou encore aux délais de paiement accordés aux clients. A tous ces postes correspondent des sorties d’argent dont les dates ne correspondent pas avec celles de l’encaissement des recettes. Ces décalages doivent être financés. Ils sont d’autant plus importants que le chiffre d’affaires s’accroît, ce qui est à relier à l’extension de la taille des marchés.
A long terme, elles ont des besoins en capitaux fixes qui sont directement fonction du montant plus ou moins important des investissements. Au début du 19ème siècle, l’autofinancement est le procédé habituel : les branches motrices relèvent des industries dites légères, le coût des machines et des installations y est encore bas, les coûts salariaux sont peu élevés et les profits dégagés par l’exploitation sont largement suffisants.
Mais à partir de 1830, les besoins en capitaux fixes augmentent de manière considérable avec l’essor d’activités très capitalistiques comme les chemins de fer, les constructions mécaniques, la sidérurgie, les mines ou les assurances. L’autofinancement ne suffit plus et il faut mettre au point de nouveaux modes de financement.
Les administrations publiques ont également des besoins de financement non couverts par l’impôt.
Au 19ème siècle les besoins de l’Etat n’ont pas cessé de grandir et il est devenu de plus en plus emprunteur. Sa dette a deux composantes. La dette à long terme se compose d’emprunts servant à payer des dépenses administratives ou d’infrastructures. Il peut aussi s’agir de dépenses exceptionnelles : à titre d’exemple, c’est par l’emprunt qu’ont été réunies les sommes imposées par l’Allemagne à la France à l’issue de la guerre de 1870.
La dette à court terme permet à l’Etat d’assurer ses paiements quotidiens dont les échéances ne correspondent pas à celles des rentrées fiscales.
Les collectivités locales émettent également des emprunts pour faire face à leurs dépenses d’infrastructures. Ainsi, pour financer les travaux d’Haussmann, la ville de Paris ne s’est pas limitée à ses recettes et a eu recours à des emprunts.
Comment?
Pour ce qui est des entreprises, la partie de leurs besoins à court terme qui n’est pas satisfaite par les délais de paiement qu’elles s’accordent les unes aux autres est couverte par recours au crédit bancaire. Sa forme normale au 19ème siècle est l’escompte d’effets de commerce. Ces crédits relèvent d’un financement intermédié : lorsqu’elles les mettent en place les banques font office d’écran entre leurs clients déposants et leurs clients emprunteurs et peuvent créer de la monnaie scripturale. Leurs possibilités dans ce domaine sont restreintes au 19ème siècle, en raison des règles qui imposent une couverture métallique de la monnaie en circulation.
La partie des besoins à long terme qui n’est pas autofinancée est satisfaite :
– par émission d’actions dont la somme constitue le capital social de la firme. Cela suppose qu’il s’agisse d’une société de capitaux et non de personnes. En France, une loi de 1867 définit le statut juridique des sociétés anonymes dont la création n’est plus subordonnée à une autorisation préalable de l’administration.
– par émission d’obligations, ce qui correspond à une forme d’emprunt.
– par recours au crédit bancaire en s’appuyant sur les mécanismes potentiellement dangereux de la transformation des échéances. Cette forme de crédit, dit industriel, reste peu développée au 19ème siècle, en raison des contraintes de refinancement que fait peser sur les banques un système où la création de monnaie est étroitement liée au stock de métaux précieux.
Pour les collectivités publiques, la dette à long terme se divise en emprunts amortissables, dont le capital est remboursable par tranches annuelles, et emprunts perpétuels dont les intérêts (la rente) doivent être versés sans limitation de durée. Cette forme d’emprunt était concevable à une époque de stabilité de la monnaie et des prix.
La dette à court terme, dont l’encours varie au gré des besoins et qui, de ce fait, est qualifiée de dette flottante, est constituée de bons du Trésor acquis par les banques et remboursables dans un délai bref.
A l’exception des bons du Trésor, qui ne sont à l’époque pas négociables, tous les titres s’échangent sur le marché des titres qu’on appelle la bourse. Les banques y jouent un rôle clef pour monter les opérations, placer les titres dans le public et en assurer la gestion tout au long de leur existence. Cela correspond à un financement direct.
Deuxième volet de l’enquête : les réponses des systèmes financiers nationaux
Le modèle anglais et le cas français
Au Royaume Uni, le développement économique a été précoce et spontané. Le pays dispose d’importantes capacités d’épargne et, par voie de conséquence, d’un marché étoffé des capitaux. Dans ce contexte, les banques n’ont pas eu à jouer le rôle de déclencheur de la croissance. En revanche, elles se sont diversifiées pour répondre au mieux aux différents types de besoins de financement. Les « joint stock banks » sont des banques de dépôt, les « merchant » ou « private banks » sont des banques d’affaires, les « foreign » et les « colonial banks » sont spécialisées dans les opérations concernant une région du monde ou un pays. Très complet le système bancaire anglais est tourné vers l’extérieur et vers le marché financier. C’est à Londres que l’on peut obtenir le crédit le plus rapide, le plus sûr et le plus avantageux.
En France, le système financier reste archaïque jusqu’au milieu du 19ème siècle, puis se modernise sous la pression des besoins. L’essor des chemins de fer et de l’industrie lourde, ainsi que la conduite de grands travaux d’infrastructures requièrent en effet la mobilisation de capitaux considérables.
Les banques d’affaires répondent à ces exigences nouvelles en sortant du cadre étroit de la haute banque traditionnelle et en adoptant la forme juridique de sociétés par actions. Le crédit mobilier des frères Pereire, fondé en 1852, cherchait à associer étroitement banque et industrie. A son initiative ont été créées des compagnies de chemin de fer, de gaz, d’hôtellerie, d’assurance. Des participations ont été acquises dans toute l’Europe. Cela s’est traduit par un excès d’immobilisation des capitaux engagés et par la prise de risques trop importants conduisant au dépôt de bilan en 1867.
Les modernes banques de dépôt font également leur apparition après 1850. Fondé en 1863, le Crédit Lyonnais a également tenté à ses débuts d’orienter l’épargne du public vers l’industrie. Mais la faillite d’entreprises qu’il soutient le conduit à changer de stratégie.
A la suite de ces déboires, la règle d’or de la banque française est devenue celle de la séparation des activités. Le système bancaire français se spécialise et se coupe relativement de l’industrie. A la différence de l’Allemagne, les participations croisées banque/industrie deviennent exceptionnelles. Les banques de dépôt abandonnent « les branches vermoulues de l’industrie » (pour reprendre la formule d’Henri Germain, Président-fondateur du Crédit lyonnais) et se concentrent sur les opérations d’escompte qui sont peu risquées. Elles financent l’activité courante des entreprises, mais non (ou peu) leurs investissements.
« Notre métier n’est pas d’être des entrepreneurs mais de prêter sans risque aux entrepreneurs, en leur laissant les risques » (Henri Germain). En vertu de cette règle d’or qui distingue le court terme du long terme les banques de dépôt limitèrent leurs opérations à l’escompte des traites qui devint une pratique bancaire typique de la France. Pour ce qui est du long terme, le système bancaire français s’est tourné vers le prêt aux gouvernements de l’épargne collectée auprès de la petite et de la moyenne bourgeoisie. Il a ainsi misé sur les emprunts russes jusqu’à 25 % des placements à l’étranger.
Dans le même temps, la Banque de France a évolué et s’est adaptée à la nouvelle donne. Progressivement elle a effectivement assumé ses responsabilités de banque centrale et est devenue le pivot du système bancaire qu’elle refinance.
La dynamique du financement dans les pays d’industrialisation plus tardive
En Allemagne, les banques universelles sont omniprésentes. Ces banques à tout faire recueillent la petite et la moyenne épargne. Elles s’impliquent dans l’industrie en assurant toute la gamme des crédits et en prenant des participations. Elles pratiquent à grande échelle la transformation. Dominé par quatre grandes banques (dites les 4 D du fait de leurs initiales), l’appareil bancaire est fortement concentré. La physionomie de ce système est une réponse au retard initial de l’économie allemande qui n’a que de faibles capacités d’épargne au moment de son décollage. Le système bancaire y joue le rôle d’un substitut au marché des capitaux défaillant. Par la suite l’accélération du développement économique suscite une concentration technique et financière forte nécessitant beaucoup de capitaux fixes. A la fin du 19ème siècle, la fusion des activités bancaires et industrielles est devenue très poussée. En élaborant ses thèses sur l’impérialisme, Lénine prend l’Allemagne comme modèle de référence.
On observe qu’en Russie et au Japon aussi, des banques à tout faire sont intervenues activement dans le financement de l’économie. La thèse de Gerschenkron semble ici pertinente : plus le développement est tardif, moins les conditions initiales sont favorables et plus le système bancaire doit se développer en tant que substitut aux marchés de capitaux pour pallier les insuffisances de l’épargne intérieure.
Le système bancaire américain au 19ème siècle est un système décentralisé qui, dans le cadre d’un Etat fédéral, fonctionne sans banque centrale jusqu’en 1913. Il se compose d’un grand nombre de petites banques locales régulièrement secouées par des faillites. En raison de l’insuffisance de l’épargne nationale face aux besoins, le financement de l’économie est dépendant du système anglais. Les banquiers d’affaires, tels J.P. Morgan, modèle du « capitaine de finances » selon T. Veblen, jouent un rôle clef dans la vague de fusions qui, de 1898 à 1903, remodèle complètement la physionomie du système productif américain et donne naissance aux grandes entreprises américaines du 20ème siècle.
Troisième volet de l’enquête : les conséquences sur les capitalismes nationaux
En lien avec ces mutations financières, le fonctionnement du capitalisme se modifie en profondeur.
Il y a des traits communs aux différents pays.
Dans cette partie, il faudrait souligner que le centre de gravité de la richesse passe de la propriété immobilière à la propriété mobilière et que le calcul rationnel s’impose partout comme critère prioritaire de décision.
En se référant à Polanyi, il faudrait montrer comment apparaît au 19ème siècle, outre le marché du travail et le marché de la terre, un marché de la monnaie. La monnaie, qui est une création du mécanisme de la banque ou de la finance d’Etat, n’est pas fondamentalement une marchandise, mais elle le devient.
Dans ce contexte, le marché du capital joue un rôle vital et unificateur. Le développement de l’industrie implique en effet les moyens de drainer les ressources disponibles et de les affecter de la manière la plus efficace. Cela suppose la permanente évaluation par les banques et la bourse de la valeur des entreprises, c’est-à-dire de leur aptitude à tirer parti des capitaux qu’elles mettent en œuvre.
A travers ces mutations, les lois du marché tendent à imposer leur logique à l’ensemble de la vie économique et sociale.
Ces relations marchandes de plus en plus étendues et complexes génèrent périodiquement des crises et des cycles. Juglar a montré comment ces fluctuations étaient liées à des processus d’essor, d’abus puis d’insuffisance du crédit.
Mais chaque pays présente des particularités.
Le régime capitaliste y acquiert des traits spécifiques que l’on peut rattacher aux particularités de leurs structures financières avec :
– un capitalisme anglais extraverti, où la place de Londres assume un rôle financier hégémonique jusqu’en 1914.
– un capitalisme allemand aux structures concentrées, où la coopération des banques et de l’industrie est très étroite.
– un capitalisme américain dont les structures financières sont fragmentées, dépendantes du Royaume Uni jusqu’en 1914 et marquées par les menées audacieuses de quelques « capitaines de finance » tels que Morgan ou Rockefeller.
– un capitalisme français que l’on a pu qualifier de rentier.
– un capitalisme russe financièrement très dépendant de l’étranger.
– un capitalisme japonais marqué par une forte présence initiale de l’Etat.
Etoffez chacun de ces points à partir d’éléments de cours.
Répondre à la question posée
L’analyse met en relief l’affirmation d’un capitalisme plus financier (où la richesse est de plus en plus détenue sous forme mobilière et de moins en moins sous forme de terres ou de métaux précieux), plus oligopolistique et plus organisé (avec des firmes qui acquièrent un pouvoir de marché), plus productif et capable de générer une croissance auto-entretenue (avec des gains de productivité permis par les investissements et qui sont source d’une amélioration du pouvoir d’achat), plus internationalisé (avec l’intensification des flux de capitaux), plus conflictuel (avec de plus en plus de compétition entre les entreprises et les territoires), plus spéculatif et plus instable (avec des crises déclenchées par des évènements financiers et des cycles liés aux mouvements du crédit).
Thème VI – Le rôle de l’Etat dans la vie économique et sociale
Programme de travail
Le thème porte sur le rôle et le poids de l’Etat dans l’économie et la société.
On mesure directement le poids de l’Etat dans la vie économique et sociale à travers des indicateurs tels que la part des dépenses publiques dans le PIB ou le taux des prélèvements obligatoires. Prenez la peine d’assimiler quelques ordres de grandeur sur les évolutions intervenues dans ce domaine pour les principaux pays industrialisés.
Indirectement, on l’apprécie à travers la production de normes réglementaires et législatives émanant des administrations publiques et concernant tous les domaines de notre vie, « du berceau à la tombe » pour reprendre une expression du rapport Beveridge. Sont aussi à prendre en compte l’intervention des autorités publiques dans le domaine monétaire et la production de biens et services marchands par les entreprises du secteur public.
Ce poids est devenu considérable, ce qui traduit l’importance de son rôle au sein de pays à économie supposée être régie par le marché. L’analyse économique tente d’éclairer ce paradoxe par les défaillances de la régulation marchande. Elle s’efforce de comprendre selon quels mécanismes s’opère le partage entre les productions requérant l’intervention de l’Etat et celles qui relèvent de la seule initiative privée. Il s’avère toutefois que ce partage ne relève pas en dernier ressort de la mise en œuvre de critères d’efficacité relevant d’un calcul rationnel. Il varie en effet fortement d’un pays à l’autre, en fonction de son histoire et de ses traditions.
Pour aborder la question éminemment politique du rôle de l’Etat, il faut donc combiner les apports de l’analyse économique, sur laquelle la première subdivision du programme met l’accent, et de l’analyse historique, sur laquelle est centrée la deuxième subdivision.
Subdivisions du thème |
Sujet traité |
Analyse économique du rôle et des fonctions de l’Etat | Sujet développé n° 8 : Intérêt et limites de l’intervention de l’Etat – ESSEC, épreuve écrite |
Le poids et l’action de l’Etat dans l’économie et la société : passé et présent |
Plan détaillé n° 12 : Avons nous eu raison de construire notre société sur une association des secteurs public et privé ? ESSEC, épreuve écrite |
Première subdivision : Analyse économique du rôle et des fonctions de l’Etat.
Sujet développé n° 8 : Intérêt et limites de l’intervention de l’Etat. ESSEC, épreuve écrite
Concours 2006
Affronter les termes du sujet |
Son intitulé ne présente aucun mystère. Si le sujet est déroutant, c’est par sa généralité et l’étendue très large du spectre de connaissances qu’il conduit à mobiliser.
L’intérêt d’une intervention de l’Etat est à relier aux défaillances du marché.
Les limites de cette intervention sont à relier aux défaillances des pouvoirs publics.
Répondre aux attentes des examinateurs |
Le rapport du jury commence par indiquer que, dans l’ensemble, les réponses apportées ont été satisfaisantes et que le sujet a été, en général, convenablement traité.
Mais il est aussi noté :
– que rares sont les candidats qui prennent « la peine de définir certaines notions importantes comme les biens collectifs, les monopoles naturels, les externalités…Sans définition ou sans préciser le sens des mots utilisés il est difficile de savoir si ces notions ou concepts sont bien maîtrisés ».
– que dans beaucoup de copies la présentation de la théorie keynésienne a été peu précise.
– qu’un effort s’impose pour améliorer la conclusion.
– qu’il faut éviter aux correcteurs de lire trop souvent des poncifs du type « il ne faut pas moins d’Etat mais mieux d’Etat ».
Mais les principales déceptions sont relatives à la construction du plan et sont exposées dans la rubrique suivante.
Trouver les articulations du raisonnement |
Le premier point important est de choisir un plan permettant de mettre en valeur, le mieux possible, aussi bien les arguments favorables à l’intervention de l’Etat dans l’activité économique que ceux qui la critiquent.
Un plan purement historique présentant les différentes phases de cette intervention depuis le début du 19ème siècle a l’intérêt d’être exhaustif. Il conduit à évoquer successivement l’Etat minimal caractéristique du 19ème siècle, puis la montée au 20ème siècle d’un Etat de plus en plus interventionniste et sa contestation depuis la fin des années 1970.
Le choix de ce plan historique a l’inconvénient de masquer sous une multitude de données factuelles les différents arguments justifiant ou non l’intervention de l’Etat.
Mieux vaut lui préférer un plan analytique, qui permet de mettre en valeur les nombreux apports de la littérature économique dans ce domaine.
Ce plan analytique peut être construit de trois manières différentes :
– Une première articulation reprend le libellé du sujet. Elle met en relation l’intérêt de l’intervention de l’Etat et les imperfections du marché. Elle en souligne les limites par les défaillances de l’Etat. Le rapport du jury indique que ces deux premières parties devaient être complétées par une troisième analysant ce que pourrait être le bon niveau d’intervention de l’Etat, tout en observant que « très rares ont été les candidats qui ont abordé la troisième partie ».
– Une deuxième articulation hiérarchise les arguments selon la nature des politiques publiques implémentées : politiques conjoncturelles, structurelles, et redistributives.
– Une troisième articulation s’appuie sur la typologie bien connue de. Musgrave regroupant les actions de l’Etat autour de trois fonctions portant sur l’allocation des ressources, la répartition des revenus et la stabilisation de la conjoncture.
Selon le rapport du jury : « Ce dernier plan, en lien direct avec la littérature économique, semblait à priori le plus abouti car il présentait l’avantage de montrer au niveau de chacune des fonctions énoncées, l’intérêt et les limites de l’intervention de l’Etat. Il a été cependant, et sans doute malheureusement, peu utilisé par les candidats. Le premier plan eut davantage les faveurs des candidats. Toutefois (…), la structuration à l’intérieur de chacune de ces deux sous parties fut négligée, laissant place à une succession d’idées ou de faits s’enchaînant sans cohérence ni lien ».
Repérer les connaissances et les auteurs à mobiliser |
Après avoir noté que le champ à couvrir était très large et qu’il était difficile d’être exhaustif, le rapport attire l’attention sur :
– la gestion des monopoles naturels
– la gestion des externalités positives et négatives
– la prise en charge des biens collectifs
– l’impact de l’investissement public sur la demande effective via le multiplicateur keynésien
– les effets d’éviction de l’investissement public
– l’équivalence ricardienne
– l’analyse des objectifs collectifs et privés de l’Etat en lien avec les apports de l’école des choix publics
– la loi de Wagner
– l’effet de cliquet des dépenses publiques
– la mondialisation.
Rédiger l’introduction |
Amener le sujet
L’intervention de l’Etat dans la vie économique et sociale soulève des controverses anciennes et relève de pratiques plus anciennes encore. Adam Smith, en s’en prenant au système mercantile et dirigiste qui prévalait de son temps, a fixé pour longtemps le cadre des débats sur le sujet. A l’Etat, il assigne des fonctions précises mais limitées, les activités humaines devant être régies pour l’essentiel par la main invisible du marché. Cette conception est toujours celle des libéraux. Depuis la publication en 1776 de La Richesse des Nations, le rôle et la place de l’Etat n’en ont pas moins pris une extension considérable, l’Etat assumant un nombre toujours plus diversifié de tâches rattachées par Musgrave à trois grandes fonctions : d’allocation des ressources, de régulation de la conjoncture et de redistribution.
Conformément à la loi de Wagner, son poids s’est accru, ainsi qu’en témoigne l’accroissement des dépenses publiques passées entre 1914 et aujourd’hui de 10 à 54% du PIB français.
Alors qu’elle a longtemps semblé irrésistible, cette ascension est aujourd’hui contestée. Avec le renouveau des idées libérales, on assiste depuis la fin des années 70 au retour en force du marché et à la multiplication des interrogations sur l’intérêt et les limites de l’intervention de l’Etat.
Définir une problématique
Pourquoi l’intervention de l’Etat dans les économies de marché s’est elle imposée, quels en ont été les faiblesses et les effets pervers, quel est son rôle dans un capitalisme devenu patrimonial et en partie déréglementé ?
Annoncer le plan
L’Etat est un acteur indispensable pour remédier aux défaillances du marché (première partie), mais les modalités de son action ont été contestées (deuxième partie). Il reste toutefois indispensable au développement et doit se réformer pour s’adapter à de nouvelles exigences (troisième partie)
Dérouler les lignes directrices du raisonnement |
I – L’Etat est un acteur indispensable pour remédier aux défaillances du marché.
Pour montrer qu’il est un acteur indispensable, structurez l’argumentation en distinguant trois périodes : celle qui précède1914, celle des trente glorieuses et celle que nous vivons.
Mobilisez vos connaissances historiques pour mettre en évidence le fait qu’au moment du décollage et tout au long du 19ème siècle, même dans les pays réputés libéraux comme la Grande Bretagne ou la France, l’Etat a joué un rôle clef :
– en mettant en place le cadre juridique et institutionnel indispensable à l’épanouissement du capitalisme
– en étant le garant des contrats et du bon fonctionnement des marchés
– en étant l’artisan d’une politique douanière tournée vers le libre échange
– en étant le premier agent de l’économie nationale du simple fait que les dépenses du budget sont comprises entre 10 et 15% du PIB
– en contrôlant l’émission de monnaie et l’activité des banques
– en encadrant la construction des chemins de fer
– en réglementant la durée et les accidents du travail.
Pour les pays d’industrialisation plus tardive, mettez en avant l’argumentation de Gerschenkron et illustrez par des exemples relatifs à l’Allemagne, à la Russie et au Japon (où l’Etat va jusqu’à créer des entreprises-pilote pour ensuite les revendre au secteur privé).
Pour ce qui est des trente glorieuses, argumentez en montrant comment l’Etat pousse à la construction d’une économie mixte :
– au sein de laquelle il décide d’une partie de l’allocation des ressources
– qu’il régule par des politiques conjoncturelles volontaristes
– qu’il complète par des mécanismes de redistribution ayant vocation à couvrir toute la population.
Rappelez qu’aujourd’hui les théoriciens de la croissance endogène placent toujours l’Etat au cœur de la croissance, alors même qu’ils appartiennent à la mouvance libérale. En effet, lui seul est en mesure de favoriser systématiquement la production d’externalités positives à travers :
– le financement des infrastructures
– la stimulation des efforts de recherche et de développement
– l’accumulation de capital humain.
A ce stade de l’analyse, mettez en relation ces multiples interventions avec les imperfections du marché.
Ces imperfections sont à relier :
– à la présence d’effets externes au marché, qui ne sont pas pris en compte par les mécanismes marchands de formation des prix. Dans le cas d’externalités positives, seul l’Etat qui est en position de surplomb par rapport au marché, peut en encourager la production. De même, par la réglementation, la taxation ou la création de toutes pièces d’un marché des droits à polluer, il est le seul à pouvoir peser sur les comportements des agents privés de manière à ce qu’ils internalisent les externalités négatives, c’est-à-dire les prennent en compte dans les calculs rationnels qui fondent leurs décisions.
– au financement des biens publics qui profitent à tous mais que personne ne veut payer, préférant se comporter en passager clandestin. Dans ce cas le recours à l’impôt, et donc à l’Etat, est indispensable
– au fait que les forces du marché tendent spontanément à faire disparaître la concurrence et à mettre en péril la propriété intellectuelle par le biais de la contrefaçon. Seuls les pouvoirs publics peuvent édicter une législation favorisant le maintien de la concurrence (lois anti-trust) et protégeant la propriété intellectuelle (lois sur les brevets).
Poursuivez en évoquant le raisonnement de Keynes et des keynésiens tendant à montrer que l’économie de marché n’a pas la capacité de s’autoréguler. Si elle est livrée à elle-même, le plus probable est qu’elle s’enlise dans un équilibre de sous-emploi. Dès lors il est de la responsabilité de l’Etat de la réguler par des politiques de gestion de la demande. Explicitez ce que vous savez de ce type de politiques. Montrez par quels mécanismes les politiques budgétaire et monétaire peuvent être utilisées à des fins contracycliques de stabilisation de la conjoncture.
II – Les modalités de son action ont été contestées mais son recul n’a pas eu que des aspects positifs
Pour expliquer pourquoi elle a été contestée, référez vous aux faits comme aux théories.
Au plan factuel, faîtes état des échecs subis par les politiques keynésiennes lorsqu’on les a mises en œuvre dans le contexte de stagflation des années 70. Illustrez par des exemples précis portant sur l’Angleterre avant l’élection de Madame Thatcher, sur les Etats-Unis de la présidence Carter ou sur la France avant le tournant de la rigueur.
Au plan théorique référez vous à la contestation de la courbe de Phillips par l’analyse monétariste de Friedman, puis par celles des auteurs de la nouvelle économie classique (NEC). Mettez en avant le théorème dit de l’équivalence ricardienne établissant que si l’Etat met en place une politique budgétaire expansionniste, les agents vont anticiper une hausse des futurs impôts. De ce fait ils vont épargner et non pas augmenter leur consommation, ce qui rend la politique de relance inefficace. Vous pouvez relier ce résultat à la théorie du revenu permanent. Si la consommation de la période en cours est fonction non du revenu de la période en cours (ou revenu courant) mais du revenu permanent (vérifiez que vous avez bien compris de quoi il s’agit), les politiques keynésiennes ne peuvent en effet avoir de bons résultats.
Dans la même optique, citez l’école des choix publics et sa contestation du fait que l’Etat agisse au nom de l’intérêt général.
Ces critiques multiples ont induit des changements ;
Elles ont conduit à mener des politiques structurelles de déréglementation de l’offre et des politiques conjoncturelles interférant aussi peu que possible avec les mécanismes de marché.
Dans cette perspective :
– la politique monétaire ne doit plus être discrétionnaire (c’est-à-dire à la discrétion des autorités) mais obéir à des règles définies à l’avance ou, du moins, se fixer à elle-même des limites comme c’est le cas des politiques actuelles de ciblage de l’inflation.
– la politique budgétaire doit aussi rechercher la neutralité en visant la réduction des déficits et de l’endettement public.
Les critères de Maastricht, le pacte de stabilité et de croissance et le statut de la Banque Centrale Européenne fournissent ici de bonnes illustrations.
Interrogez vous maintenant sur les résultats de ces politiques de désengagement de l’Etat qui ont réduit son rôle pour redonner de l’importance aux mécanismes de marché. Montrez que cela a aussi eu des conséquences négatives. En effet, les Etats se sont dessaisis d’une large partie de leurs prérogatives et ont perdu leurs marges de manœuvre dans un contexte marqué :
– par la montée des inégalités qui menace la cohésion sociale
– par une plus grande instabilité de la conjoncture
– par la mise en concurrence des territoires du fait de la mondialisation
– par l’aggravation des contraintes environnementales.
Développez ces différents points en recherchant des arguments qui pourraient les étoffer.
A contrario, l’analyse que l’on vient de mener met bien en valeur le fait que l’intervention de l’Etat, malgré ses limites, présente toujours un intérêt capital, mais que pour répondre à ses missions il doit adapter son action.
III – L’Etat reste indispensable au développement et doit se réformer pour s’adapter à de nouvelles exigences.
Les impératifs du développement et de la protection sociale justifient plus que jamais son intervention.
Sur le premier point, prenez en compte les positions des théoriciens de la croissance endogène montrant pourquoi des actions structurelles de l’Etat sont indispensables à la poursuite du développement des pays avancés. Illustrez aussi par le cas des pays émergents et, avec J. Stiglitz, constatez que la Chine, pays aujourd’hui en très forte croissance, a su maîtriser la libéralisation de son économie, en particulier dans le domaine financier resté sous le contrôle des pouvoirs publics.
Rassemblez ensuite ce que vous savez sur la question du développement durable, thème abondamment traité par les média et qui est soumis à votre réflexion depuis le programme de terminale. Faites valoir que seule la concertation d’Etats souverains est à même d’imposer des règles du jeu de nature à favoriser un développement qui ne remette pas en cause la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins tout en répondant à ceux des générations présentes.
Faites maintenant un point rapide sur la nécessité d’une action redistributive de l’Etat. Dès le 19ème siècle il légifère dans le domaine social pour contrer les abus les plus criants de l’industrialisation. Dans les années 1880, l’Allemagne établit un système complet d’assurances sociales à base professionnelle couvrant ceux qui travaillent et sont à jour de leurs cotisations. Au 20ème siècle les rapports Beveridge de 1942 et 1944, en Grande Bretagne, et le rapport Laroque de 1945, en France, marquent une nouvelle étape. A travers des systèmes de plus en plus complets de protection sociale, les pouvoirs publics organisent la protection des individus contre une série d’évènements (ou risques sociaux) provoquant une baisse du revenu ou des dépenses supplémentaires: la maladie, la vieillesse, les charges de famille, les accidents du travail et le chômage (indemnisé en France depuis 1959 par les partenaires sociaux, sous l’égide de l’Etat).
Bien qu’indispensable, la protection sociale est aujourd’hui menacée, alors que la poursuite du développement se heurte à l’épuisement de certaines ressources.
Pour faire face à ces nouveaux défis l’Etat doit se réformer.
Appuyez vous sur l’analyse de P. Rosanvallon soulignant la triple dimension de la crise de l’Etat providence. L’une est liée aux difficultés récurrentes de son financement, une autre à la remise en cause de son efficacité et la troisième à la mise en doute de sa légitimité.
Dressez un bilan des critiques faites au système redistributif hérité des trente glorieuses et indiquez comment les interventions de l’Etat social apparaissent de plus en plus inadaptées et inefficaces face à la montée de nouvelles inégalités différenciant les territoires (dimension spatiale), les membres d’une même catégorie sociale (dimension intracatégorielle) et les groupes d’âge (dimension intergénérationnelle).
Mettez en avant le rapport Pebereau soulignant le caractère dangereux de la dérive des finances publiques et suggérant les solutions à mettre en œuvre pour résorber les déficits publics et réduire l’endettement des administrations.
Conclure |
Il est avéré que l’Etat ne peut pas se substituer au marché. Il ne peut être le seul artisan d’une organisation optimale de l’économie. Mais son intervention est nécessaire à la croissance et à la redistribution de ses fruits, en complément du marché. Il doit aujourd’hui accompagner la mondialisation et trouver sa place dans le nouveau capitalisme. Il ne peut plus être aussi interventionniste que pendant les 3O glorieuses où le capitalisme s’était institutionnalisé. Mais il a encore un rôle à jouer pour rendre le territoire national attractif, mener une politique industrielle, encourager les efforts de recherche, favoriser l’accumulation de capital humain ou encore sécuriser les parcours professionnels.
Entre Etat et marché le compromis a toujours été difficile à établir. Il doit continuer à évoluer. L’immobilisme conduirait à la sclérose de l’économie et au blocage de la société.
Exercice suggéré
Entraînez vous en réorganisant tous les arguments selon le plan que le jury suggère d’établir autour de la typologie de Musgrave.
Réfléchir sur des sujets voisins |
Sujets d’écrit
Les rôles respectifs de l’État et du marché dans la répartition et la redistribution des revenus depuis la fin du 19ème siècle. HEC 2001
Les dépenses publiques favorisent-elles la croissance économique ? N.B. : Vous appuierez votre argumentation sur l’expérience des grands pays industrialisés. E.S.C.P.1997
Sujets d’oral (E.S.C.P.)
Y a-t-il une place pour l’Etat dans la théorie libérale ?
En quoi le rôle de l’Etat a-t-il changé dans les pays développés depuis 1979 ?
Dans quelle mesure l’action de l’État est-elle modifiée par la mondialisation des économies ?
Conforter ses connaissances |
Vous pouvez vous reporter à l’ouvrage suivant :
Yves Crozet, Analyse économique de l’Etat, Cursus, A Colin
S’appuyer sur des citations |
Pour vous distraire, voici quelques formules réductrices mais parlantes du Président Reagan sur l’Etat :
“L’État n’est pas la solution à nos problèmes… L’État est le problème.”
“L’État c’est comme un bébé, un tube digestif avec un gros appétit à un bout et aucun sens des responsabilités à l’autre.”
“Les grands esprits ne sont pas au gouvernement. Si c’était le cas, ils seraient embauchés par les entreprises.”
“Les neuf mots les plus terrifiants de la langue sont : je suis du gouvernement et je viens vous aider.”
“Les administrations ont une vision de l’économie qui peut être résumée en quelques mots : « Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le. »
“L’efficacité de l’assistance sociale devrait être mesurée à partir du nombre de gens qui s’en extraient, plutôt que par le nombre de gens qui y viennent.”
Mémoriser des points de repère et des ordres de grandeur |
Recherchez des données sur :
– le niveau actuel et l’évolution depuis 1945 du taux des prélèvements obligatoires dans les principaux PDEM
– le niveau actuel et l’évolution depuis 1945 des effectifs d’agents publics dans les principaux PDEM
Continuez à régulièrement consigner sur votre carnet de notes les données et les citations qui vous semblent utiles.
Deuxième subdivision : Le poids et l’action de l’Etat dans l’économie et la société : passé et présent
Plan détaillé n° 12: Avons-nous eu raison de construire notre société sur une association des secteurs public et privé ? ESSEC, épreuve écrite
Concours 1996
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Nous, notre société : qui est ce nous ? Manifestement il s’agit de la société française qui a fait le choix d’associer le secteur public et le secteur privé dans le cadre d’une économie mixte.
Le secteur privé correspond à l’ensemble des entreprises privées.
Par symétrie, on en déduit que le secteur public, au sens strict, se compose de l’ensemble des entreprises publiques.
Pour l’INSEE « est considérée comme publique toute entreprise sur laquelle l’Etat peut exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété ou de la participation financière, en disposant soit de la majorité du capital, soit de la majorité des voix rattachées aux parts émises ».
Dans une acception plus large, que les termes « notre société » poussaient à adopter, on peut y inclure la fourniture de biens et services dont l’Etat veut encourager la production (biens tutélaires, secteurs de l’éducation et de la santé).
Quand et comment ce secteur public est-il apparu ? Juste avant et surtout après la 2ème guerre mondiale à travers les opérations de nationalisation et la création de la sécurité sociale en 1945.
Sur ces bases on peut reformuler l’énoncé : à partir de 1945 la France a adopté une sorte de 3ème voie et tenté de mettre sur pied une économie mixte associant un secteur public renforcé et un secteur privé restant majoritaire : cela était-il et est-il encore justifié ? Si oui, quel critère faut-il prendre en compte : celui de l’efficacité économique et /ou celui de la cohésion sociale ?
Ou encore : Dans quelle mesure l’économie mixte a-t-elle été bénéfique à notre société ?
Les erreurs à ne pas commettre
Le rapport du jury remarque que les candidats ont éprouvé des difficultés à définir correctement le secteur public et ont été gênés pour interpréter « notre société ». Il observe que les meilleurs devoirs ont privilégié le cas de la France et le secteur public au sens strict, c’est-à-dire les entreprises publiques, mais ajoute avoir admis la possibilité d’étendre le sujet à la société occidentale et de considérer également les grandes administrations.
Sur le fond le jury note :
– que « les devoirs contiennent rarement les deux arguments essentiels : la main invisible et les imperfections du marché (coûts fixes, incertitude, biens publics) ».
– que « la question du monopole naturel est très mal traitée ».
– qu’il y a des confusions « sur les différentes missions du secteur public : secteur marchand par rapport au secteur non marchand, monopole ou concurrence vis-à-vis du secteur privé. Très souvent la réglementation (ex : S.M.I.C.) est assimilée au secteur public. De façon générale, il n’y a pas eu de réflexion sur les missions du secteur public ».
– que « la confusion entre dette publique et déficit public est à peu près systématique ».
Il signale également :
– que les années 70, 80 et 90 sont souvent englobées à tort dans une période de crise, alors que leurs taux de croissance sont identiques à celui que l’on a connu avant les « trente glorieuses » et qu’il n’y a donc pas de crise au sens de baisse de la production.
– que « les candidats souhaitent apparemment que l’Etat intervienne chaque fois qu’une activité n’est pas rentable, ce qui contredit leur souhait d’une réduction des déficits ».
– que « le déficit public est dû avant tout à la hausse des transferts sociaux plus rapide que la hausse du PIB. Il n’est pas dû au salaire des fonctionnaires ! ».
– que sur l’importance du secteur public, son rôle exact, les dates de sa constitution, les arguments sont souvent méconnus. Les candidats cernent mal les grandes vagues de nationalisations. Rares sont les copies où les choix des différents gouvernements sont correctement expliqués. Ainsi personne n’oppose la vague des nationalisations de 1945, fondée sur les monopoles, à celle de 1982 qui concerne le secteur concurrentiel. Le secteur public bancaire est quasiment occulté. Très rarement les candidats ont fait référence au rapport Nora, peu abordent le débat des années 70 sur une autre gestion pour le secteur public, la planification, les contrats de programme et de plan, la gestion tripartite souhaitée en 1981… ».
La démarche à suivre
Le sujet amène à s’interroger sur la répartition des rôles dans le domaine de la production de biens et de services.
Il porte sur le système productif et la place qu’y occupent les entreprises publiques d’une part et les entreprises privées de l’autre.
Il ne porte pas sur l’intervention de l’Etat en général, mais sur son action directe dans la sphère de la production.
Parmi les trois fonctions de Musgrave, il faut donc mettre en avant celle d’allocation des ressources (et subsidiairement de redistribution), mais non celle de stabilisation de la conjoncture.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Les éléments de base de l’analyse portent sur :
-
Les étapes et les modalités de la constitution du secteur public français
-
Les raisons justifiant la mise en place d’une économie mixte
-
Les résultats obtenus
-
Les évolutions intervenues dans les années 70 et au début des années 80
-
Les raisons de la remise en cause du secteur public
-
Les modalités de la redéfinition des contours du secteur public
-
Le rôle du secteur public aujourd’hui.
De cette liste on déduit par regroupement une articulation orientant l’enquête dans deux directions :
I – Comment et pourquoi a-t-on mis en place en France un important secteur public et avec quels effets ?
II – Pourquoi et comment est-il aujourd’hui remis en cause ?
Rechercher et mettre en ordre les arguments
Premier volet de l’enquête : Comment, pourquoi et avec quels effets a-t-on mis en place en France un important secteur public?
Nationalisations et planification.
Vous devez avoir une idée précise des entreprises qui ont été nationalisées (c’est-à-dire dont la propriété du capital a été transférée à l’Etat), et des secteurs concernés. Remarquez que le Front Populaire n’a pas été inactif dans ce domaine, puis insistez sur les nationalisations intervenues entre 1944 et 1946. Précisez qu’elles ont permis de restructurer des secteurs vitaux de l’appareil productif tels que les mines (avec les Charbonnages de France), les constructions mécaniques (avec en particulier Renault), le crédit et les assurances (avec la Banque de France, les quatre plus grandes banques de dépôts et onze groupes d’assurances), le gaz et l’électricité (avec Gaz de France et Electricité de France), les transports (avec notamment Air France s’ajoutant à la SNCF nationalisée en 1937) et la presse (avec l’Agence France-Presse).
On a aussi mis en place les réformes de structures qui ont institué l’Etat providence. Référez vous au rapport Laroque et mobilisez ce que vous savez sur les raisons et les modalités de la création de la sécurité sociale.
A travers ces réformes, les pouvoirs publics favorisent l’accès de tous au système de santé publique. Ils se préoccupent aussi d’ouvrir au plus grand nombre le système éducatif. La santé et l’éducation deviennent des services collectifs assurés par des agents publics et financés par des prélèvements obligatoires.
Dès lors, secteur public et secteur privé coexistent au sein de l’économie. La planification est une instance clef de leur association. Mettez en avant ce que vous savez sur la planification d’abord assez dirigiste (lors du plan Monnet entre 1947 et 1953), puis plus indicative, instituée dans notre pays.
Pourquoi cette association ?
Il s’agit ici d’en recenser les mobiles. Il y a d’abord des raisons de circonstances. A la libération, on a invoqué la faillite des classes dirigeantes, l’urgence de la reconstruction et de la modernisation, l’espoir de construire une démocratie économique et sociale, la volonté de rationaliser les structures de l’appareil productif.
Ont aussi été invoqués des motifs plus directement tirés de l’analyse économique. L’argument est alors que le secteur public doit se charger de ce que le privé ne fait pas ou fait mal. C’est la position de Keynes pour lequel spontanément le marché n’atteint pas l’équilibre de plein emploi, ce qui justifie une large socialisation de l’investissement. Si Keynes n’était pas personnellement partisan des nationalisations, son raisonnement peut facilement y conduire. L’analyse néo-classique admet aussi que l’Etat agisse sur l’allocation des ressources lorsque le marché souffre d’imperfections. C’est en particulier le cas si on est en présence d’externalités et/ou de rendements croissants conduisant à des monopoles naturels. Or les activités en réseaux (de distribution du gaz, de fourniture d’électricité, de transports collectifs, de télécommunications) présentent toutes ces caractéristiques.
En présence de ces défaillances du marché, l’économie du bien-être stipule que l’Etat peut imposer aux entreprises concernées une tarification au coût marginal qui, certes, est source de déficit, mais est conforme à l’intérêt général. Les pertes seront couvertes par des subventions publiques financées par l’impôt. On démontre que les pertes subies sont moindres que l’accroissement du surplus du consommateur. Cette analyse fournit des arguments à l’inclusion de tous les monopoles naturels dans le secteur public.
Remarque : les connaissances ci-dessus relèvent de la micro-économie. Sur nombre de sujets, cette partie du cours fournit des éléments d’analyse qui vous permettront de différencier votre copie de celles des autres candidats. La lecture du sujet n° 5 vous en a déjà apporté la démonstration. Vous ne devez donc pas la négliger et acquérir des bases suffisantes dans ce domaine.
Sur ce sujet précis, il était nécessaire de maîtriser les notions de coûts fixes, d’indivisibilités, de monopole, d’externalités, de biens publics et de rendements croissants. Est-ce votre cas ?
Avec quels résultats ?
Le secteur public a indéniablement permis d’intensifier l’effort d’investissement et par là d’accélérer la reconstruction et la modernisation du pays.
Par la suite le secteur public a montré l’exemple :
– dans le domaine social, où la Régie Nationale des Usines Renault a joué un rôle pionnier
– dans le domaine économique, où l’Etat s’est servi des entreprises publiques pour favoriser la concentration de l’appareil productif
– en matière de recherche, où l’effort du secteur public a été très important dans les domaines clefs du nucléaire, de l’aéronautique et de l’informatique.
Justifiée aussi bien par des raisons d’efficacité économique que de justice sociale, l’association parait alors favorable à la croissance. Le secteur public semble bien contribuer à mettre l’essor de l’économie au service de l’intérêt général.
Mais dès 1967 le rapport Nora présente une analyse critique de la gestion des entreprises publiques et suggère de nouvelles orientations.
C’est un document important dont vous devez retenir les trois idées principales:
– En matière de tarification, c’est à l’usager de payer plutôt qu’au contribuable, de manière à réduire les subventions. C’est le principe de la vérité des prix.
– Si l’Etat impose à une entreprise des missions de service public déséquilibrant ses comptes, il doit couvrir les pertes qui en résultent. C’est le principe de transparence.
– La gestion des entreprises du secteur concurrentiel doit pleinement prendre en compte les impératifs de la rentabilité. C’est le principe d’autonomie.
A la suite de ce rapport sont signés quelques contrats de programme entre l’Etat et de grandes entreprises publiques (EDF, SNCF). Mais la gestion du secteur public n’est pas fondamentalement modifiée.
Deuxième volet de l’enquête : Pourquoi et comment est-il aujourd’hui remis en cause ?
Que devient la situation dans les années 70 ?
Dans les années 70, le secteur public est utilisé à des fins conjoncturelles et non plus structurelles. A l’issue du choc pétrolier, l’économie entre en récession. Les grandes entreprises nationales lancent de grands programmes qui soutiennent l’investissement. EDF en particulier couvre le territoire d’un réseau de centrales nucléaires. Mais au nom de la défense de l’emploi, l’argent public sert aussi à soutenir des entreprises non rentables présentes sur des marchés qui ne sont pas porteurs d’avenir. C’est notamment le cas de la sidérurgie qui est de fait nationalisée dès 1978 et engouffre des sommes considérables. On en déduit que cet argent n’a pu être mis au service du nécessaire redéploiement structurel de l’économie française. Globalement le recours au secteur public est décevant et les résultats sont mauvais.
Au début des années 80, on franchit un pas supplémentaire dans la direction d’une économie dirigée : les nationalisations de 1982 confèrent au secteur public français un poids très élevé, et font de la France une anomalie parmi les PDEM. Le secteur public englobe désormais le quart de l’industrie et les neuf dixièmes des institutions de crédit. Par ce programme, les pouvoirs publics cherchent à remettre à niveau des entreprises en difficulté, à soutenir les industries de pointe et à maîtriser l’intégralité des filières de production concernées. Mais au sein de la société française, le fossé se creuse entre un secteur public dont le personnel est protégé par son statut, et un secteur privé exposé à la concurrence et au chômage. Par ailleurs si les entreprises publiques sont pour la plupart revitalisées, il est très vite manifeste qu’elles sont gérées comme des entreprises privées et non selon une logique différente. Dès lors pourquoi les avoir nationalisées ?
Quelles sont les raisons et les modalités de la remise en cause du secteur public ?
Au plan théorique, l’Etat est critiqué dans son rôle de gestionnaire et d’actionnaire par l’école des choix publics et la théorie de l’agence (vérifiez ce que vous savez sur ces deux courants de l’analyse libérale).
A l’approche en terme de monopole naturel (c’est-à-dire d’activités à rendements croissants dont l’Etat doit prendre le contrôle pour appliquer des tarifs favorisant la croissance) succède celle des marchés contestables (savez vous de quoi il s’agit ?)
Le secteur public est de plus en plus associé aux faiblesses structurelles de notre appareil productif dans un contexte de compétition internationale accrue.
Il apparaît que si il fait la même chose que le secteur privé, cela est générateur de distorsions de concurrence nuisibles à l’efficacité économique. Or, dans le contexte européen, l’accent est de plus en plus mis sur la restauration des conditions de la concurrence, et en particulier sur l’ouverture à la concurrence des activités en réseaux chaque fois que cela est possible.
Dans ces conditions, les lignes de partage ont du évoluer. Dès 1986, le secteur public est remis en cause par les privatisations qui ont renforcé les bases de l’économie de marché. (Reprenez la chronologie des opérations mises en œuvre depuis une vingtaine d’années par les gouvernements successifs).
Des privatisations, on attend qu’elles exposent les entreprises publiques à la concurrence et par là améliorent leur efficacité productive, qu’elles diminuent le poids des dépenses publiques, qu’elles favorisent l’actionnariat salarié, qu’elles redonnent aux entreprises concernées les marges de manœuvre leur permettant de mener une stratégie internationale.
Dans le même temps, après un bref sursaut entre 1981 et 1983, la planification décline et le commissariat au Plan finit par être supprimé.
La déréglementation va dans le même sens : à l’instigation des instances européenne les anciens monopoles publics ont été ouverts à la concurrence et les marchés des télécommunications, du gaz et de l’électricité ont été libéralisés.
De même, le financement intermédié, dont les rouages étaient publics, révèle ses défauts, et lui succède un financement de marché.
Ainsi, les bases de notre système productif sont redevenues plus libérales.
Quel rôle pour le secteur public aujourd’hui ?
Sa place a beaucoup régressé, les effectifs des entreprises publiques passant dans les années 90 de 1,8 millions à 1,3 millions de salariés.
Toutefois, de solides arguments justifient toujours l’existence d’un secteur public rénové, reconfiguré et efficacement associé au secteur privé.
Il est en effet toujours un élément clef de soutien de l’effort de recherche et développement, directement ou indirectement par des subventions. L’aéronautique ou le nucléaire sont ici de bons exemples. Dans ces secteurs à haute valeur ajoutée la solidité des positions françaises est le fruit d’une politique stratégique mise en œuvre par des capitaux et des entités publiques.
En prenant en charge l’essentiel des dépenses d’éducation, il favorise l’investissement en capital humain, ce qui est un enjeu primordial pour notre pays dans le contexte actuel.
Il faut également tenir compte de son implication dans le domaine des infrastructures dont la qualité conditionne la rentabilité des activités privées, et donc l’attractivité du territoire national.
Recherche, éducation, infrastructures : comme vous le savez déjà, ces trois thèmes ont été mis en valeur par les théoriciens de la croissance endogène dans les années 80.
Sur un autre plan, il en va de la cohésion de la société française de laisser dans le secteur public non marchand ce qui relève de la santé et de la protection sociale.
Répondre à la question posée
Alors que l’économie était devenue mixte, elle est à nouveau régie au premier chef par les lois du marché. La présence d’un secteur public influent dans le domaine de la recherche, de la santé et de l’éducation n’en demeure pas moins nécessaire à la croissance.
Par ailleurs, l’actualité des entreprises montre régulièrement que l’Etat, dont la Caisse des Dépôts et Consignations regroupe les participations, ne peut pas être indifférent aux opérations de restructurations initiées par les marchés financiers. Dans un contexte de plus en plus mondialisé, les considérations de politique industrielle reviennent au premier plan. Le secteur public a donc un avenir, même si les modalités de son association avec le secteur privé ont évolué en profondeur et continueront à évoluer. La nécessité de faire « bouger les lignes » rend urgente la réforme de l’Etat et peut demain conduire à la refonte de la protection sociale.
Suggestions
Restructurez les éléments d’analyse présentés ci-dessus selon le schéma suivant :
I – L’extension du secteur public et son association au secteur privé dans un cadre dirigiste ont stimulé la croissance française pendant les trente glorieuses avec
A – Les arguments justifiant la construction d’une économie mixte
B – Les contours du secteur public
C – Les résultats obtenus.
II – Face à la crise, le secteur public est mobilisé mais les mauvais résultats enregistrés remettent en cause sa légitimité avec
A- Un secteur public mobilisé
B – Un secteur public critiqué
C – Un secteur public reconfiguré.
Vous pouvez aussi vous entraîner sur le thème de l’Etat en réfléchissant sur des sujets voisins dont voici quelques exemples :
Faut-il des entreprises publiques ? (Oral ESCP)
En quoi l’action de l’Etat, de la fin du deuxième conflit mondial au début des années 80, a t’elle conféré des caractéristiques spécifiques à l’économie française et influé sur le cours se sa croissance ?
Comment et pourquoi l’intervention publique dans le champ économique s’est elle transformée depuis les années 70 dans les pays développés ?
En quoi le retour en force des conceptions libérales a-t-il modifié la conduite des politiques économiques dans les P.D.E.M. depuis les années 70 ?
Thème VII : Les différentes formes de structures sociales.
Programme de travail
Le thème 7 du programme d’Analyse Economique et Historique des sociétés contemporaines de première année aborde le terrain de la sociologie
Il vous est demandé d’acquérir un socle de connaissances de base sur l’objet particulier de cette discipline, sur ses méthodes spécifiques et sur son histoire, depuis sa naissance au 19ème siècle jusqu’à aujourd’hui.
Il vous est aussi demandé de savoir manier avec un minimum d’aisance les critères et les principes d’analyse de la stratification sociale.
Vous devez enfin assimiler des points de repère sur l’histoire de la société française depuis le début du 19ème siècle.
En deuxième année d’autres aspects de l’analyse sociologique sont abordés dans le thème XI
Attention : Les rapports de jury déplorent régulièrement que les aspects sociaux des sujets et leur dimension d’histoire sociale soient mal traités par les candidats. Si vous souhaitez creuser la différence avec les autres candidats, vous disposez là d’une excellente carte à jouer.
Subdivisions du thème |
Sujets traités |
Eléments de sociologie : objet et méthodes ; les grands courants d’analyse | Plan détaillé n° 13 : La distinction holisme/individualisme méthodologique permet-elle de classer les grands courants de la pensée sociologique ? ESCP, sujet d’oral |
Principes et critères des classifications sociales |
Plan détaillé n° 14 : Pour comprendre l’évolution de la société française depuis 1945, peut-on recourir à la fois à une analyse en terme de classe sociale et de catégorie socioprofessionnelle ? |
L’évolution des structures sociales depuis la Révolution industrielle (on s’appuie notamment sur le cas français) | Plan détaillé n° 15
La notion de classe moyenne est-elle pertinente pour analyser l’évolution de la structure sociale française au 20ème siècle ? ESCP, sujet d’oral |
Première subdivision : Eléments de sociologie : objet et méthodes ; les grands courants d’analyse
Plan détaillé n° 13: La distinction holisme/individualisme méthodologique permet-elle de classer les grands courants de la pensée sociologique ? ESCP, sujet d’oral
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
L’individualisme méthodologique est une règle de méthode applicable en sciences sociales, selon laquelle les phénomènes collectifs doivent être décrits et expliqués à partir des propriétés et des actions des individus et de leurs interactions mutuelles (approche ascendante).
Cette règle s’oppose au holisme selon lequel les propriétés des individus se déduisent des propriétés de l’ensemble auquel ils appartiennent (approche descendante).
Les grands courants de l’analyse sociologique sont étudiés en première année.
Avant 1914 il s’agit en Europe de ceux qu’ont initiés Durkheim en France et Weber en Allemagne. Par la suite, la sociologie a pris son essor aux Etats Unis avec la première école de Chicago puis le culturalisme, le fonctionnalisme, la « rational action theory » ou encore l’interactionnisme symbolique. En France, la sociologie se renouvelle après 1945 et s’organise autour des figures de Pierre Bourdieu, de Raymond Boudon, d’ Alain Touraine et de Michel Crozier.
Les erreurs à ne pas commettre
L’erreur de base serait d’avoir fait l’impasse sur cet aspect du programme, en oubliant qu’il fournit la matière de nombreux sujets à l’oral. En supposant que vous êtes conscient de cet aspect des choses, l’autre erreur serait de mal utiliser les connaissances acquises. Il ne s’agit pas de décrire plus ou moins bien les courants que vous connaissez sur le mode du patchwork, c’est-à-dire en oubliant la question posée.
Prenez garde également à ne pas confondre l’individualisme méthodologique avec l’individualisme en tant que conception morale et politique.
La démarche à suivre
La question est de savoir si le critère proposé correspond à un clivage d’une portée suffisante pour classer en deux camps les courants multiples et en apparence très divers de l’analyse sociologique.
Pour la traiter vous pouvez commencer par montrer que cette opposition fondatrice structure la sociologie dite classique, celle d’avant 1914, puis qu’elle continue à opérer tout au long du 20ème siècle. Elle permet donc de classer les principaux courants d’analyse. Toutefois les faiblesses inhérentes à chacune des deux approches ont suscité des tentatives de dépassement, ce qu’il faudrait s’efforcer d’expliquer dans un troisième temps.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Il s’agit d’un sujet classique mais très théorique dont le traitement exige de recourir à des éléments d’analyse assez pointus.
Sur les grands courants, il faut rassembler vos connaissances :
– sur les grands auteurs de la sociologie classique (celle d’avant 1914)
– sur les principaux représentants de la sociologie américaine au 20ème siècle
– sur les auteurs qui structurent le champ de la sociologie française après la seconde guerre mondiale
– sur les auteurs, comme Edgar Morin, qui s’efforcent de dépasser ce clivage.
Sur l’individualisme méthodologique
Mobilisez ce que vous savez de la sociologie de l’action sociale.
Sur le holisme
Mobilisez ce que vous savez de la sociologie du fait social.
Rechercher et mettre en ordre les arguments |
Premier volet de l’enquête : c’est une opposition fondatrice.
Quel est le bon point de départ pour analyser les phénomènes sociaux ? Faut –il partir des comportements des individus ou des contraintes que la société exerce sur eux ? Cette question fondamentale de méthodologie est un axe structurant depuis les origines de la sociologie en tant que discipline autonome.
A ce stade, exposez avec le plus de précision possible ce que vous savez de ces deux conceptions antagonistes et difficiles à concilier.
Les caractéristiques de chacune des approches
Individualisme méthodologique
Le terme a été crée par Joseph Schumpeter, puis repris notamment par les économistes Ludwig von Mises et Friedrich von Hayek, l’épistémologue Karl Popper et, en France, par le sociologue Raymond Boudon.
Mettez en avant les trois propositions qui le caractérisent et qui établissent que :
1 – seuls les individus ont des buts et des intérêts
2 – le système social et ses changements, résultent de l’action des individus
3 – tous les phénomènes socio-économiques sont explicables ultimement dans les termes de théories qui se réfèrent seulement aux individus, à leurs dispositions, croyances, ressources et relations.
La proposition 3 est celle qui caractérise l’individualisme méthodologique au sens strict, puisque les propositions 1 et 2 sont d’ordre ontologique.
Précisez que, dans cette optique, les sciences sociales ont pour objet de décrire les choix effectués sous contraintes par les individus et leurs effets sociaux, en partant du principe que les comportements individuels ne sont jamais la conséquence exclusive de ces contraintes, mais résultent toujours d’un choix entre plusieurs actions possibles.
Il faut pour cela reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène en question et appréhender ce phénomène comme le résultat de l’agrégation de comportements individuels dictés par ces motivations. Les phénomènes sociaux ne résultent alors pas de déterminismes extérieurs, mais sont des résultats non attendus de cette agrégation d’actions individuelles.
Remarquez que l’individualisme méthodologique est adopté par un grand nombre de théories en sciences sociales, et qu’il est notamment l’une des bases de la théorie néoclassique en économie.
Observez que la proposition 3 n’est pas sans poser un problème logique.
Dans la mesure où les actions des agents sont fonction de leurs croyances, dispositions et ressources, cela indique, dans une optique compréhensive (c’est-à-dire consistant à retranscrire la logique qui guide les actions individuelles), qu’il est nécessaire de s’interroger sur les origines de ces croyances, dispositions et ressources qui sont extérieures à l’individu puisqu’elles résultent du système social. Or, conformément à la proposition 2, cela implique de les expliquer par les actions des individus, c’est-à-dire par leurs croyances, dispositions et ressources etc. On est donc en présence d’une régression qui n’a logiquement pas de fin.
Pour dépasser ce problème, on parle de plus en plus d’ « individualisme méthodologique complexe » (IMC) sur lequel il n’est pas inutile de donner quelques précisions. L’idée de cette posture est de considérer que le monde social (par opposition au monde naturel) est dual car partagé entre l’action et les structures sociales. L’IMC postule que chacune de ses parties est une propriété émergente de l’autre : les actions individuelles, guidées par les structures sociales, s’agrègent et produisent des résultats non attendus qui modifient les structures sociales ; en retour les structures sociales produisent des effets cognitifs sur les individus et déterminent en partie leurs actions, et ainsi de suite. L’évolution sociale est donc le résultat de cette dialectique entre action et structure, l’idée étant qu’il est impossible de réduire l’une à l’autre, même si elles sont fortement interdépendantes.
Holisme
Le terme est la francisation d’un néologisme forgé par l’homme d’État Sud-africain Jan Christiaan Smuts qui le définissait comme « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice » (Holism and Evolution, 1926)
Le holisme est donc un point de vue qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités, en posant que l’explication d’un tout n’est pas donnée par la somme des explications des parties. L’expression consacrée est : « Le tout est plus que la somme de ses parties».
Plus spécifiquement, le holisme sociologique conduit à expliquer des faits sociaux par d’autres faits sociaux. Il pose que la société exerce une contrainte (pouvoir de coercition) sur l’individu qui doit intérioriser (ou « naturaliser ») les principales règles et les respecter. Les comportements individuels sont donc socialement déterminés. Ce point de vue était celui d’Émile Durkheim.
En sociologie, le holisme prône donc l’explication de l’inférieur, du local (ex. : les comportements humains) par le supérieur, le global (ex.: les modèles culturels, les institutions). Il privilégie le sociétal sur l’individuel (E. Durkheim), le système sur les acteurs (T. Parsons).
Deux conceptions antagonistes
Soulignez maintenant l’antagonisme des deux conceptions et la manière dont il se traduit en sociologie. Dans un cas, une réalité doit être expliquée à partir de ses unités élémentaires constitutives parce qu’elle-même est faite de ces unités élémentaires. Le holisme s’oppose à ce réductionnisme en raisonnant en termes d’ensemble, de totalité, de système, que l’individualisme méthodologique récuse en les considérant comme des entités métaphysiques que la science positive doit écarter.
En sociologie, dès les origines de la discipline, ce point oppose l’approche de Weber à celle de Durkheim.
Pour Durkheim, les institutions conditionnent les choix des individus. Dans Les Règles de la méthode sociologique (1895), il précise qu’un fait social fait partie d’ « un ordre de faits qui présentent des caractères très spéciaux : ils consistent en des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui ». Vous devriez savoir par cœur cette définition qui traduit on ne peut plus clairement la position holiste de son auteur.
Ce tropisme en faveur du holisme est en affinité avec le projet de Durkheim de démarquer la sociologie de la psychologie. Il conduit au déterminisme et à la sociologie du fait social.
Le point de vue inverse a été adopté par Weber qui ne voulait pas faire l’économie des intentions, des objectifs et des actions des individus dans son explication des faits et des processus sociaux. Dans cette optique, l’action « est sociale dans la mesure où, du fait de la signification subjective que l’individu ou les individus qui agissent y attachent, elle tient compte du comportement des autres et en est affectée dans son cours » (Guy Rocher, Introduction à la sociologie générale, tome 1, Points, Seuil, 1970).
Cette posture méthodologique conduit à une explication des phénomènes sociaux par des effets de composition ou d’agrégation, également qualifiés d’effets pervers.
Si on remonte plus loin, on retrouve une opposition similaire entre les positions holistes de Marx et celles de Tocqueville, qui relèvent de l’individualisme méthodologique.
Deuxième volet de l’enquête : elle continue à opérer après 1914 et permet de classer les principaux courants de l’analyse sociologique.
Au 20ème siècle la tradition sociologique continue à se diviser en deux camps. Le holisme affirme toujours que l’individu est produit par la culture, la société, son environnement.
L’individualisme méthodologique persiste au contraire à affirmer que la société est une somme d’actions individuelles.
Aux Etats-Unis :
Le fonctionnalisme de Talcott Parsons et de Robert Merton relève du holisme. Il s’oppose à l’individualisme méthodologique des autres courants que sont :
-La première école de Chicago
-La « rational action theory », qui formalise les principes de l’individualisme méthodologique
-L’interactionnisme symbolique, qui pose que l’interaction est l’ unité de base du social.
Depuis les années 1980, James Coleman est l’individualiste méthodologique le plus connu aux Etats-Unis. Tout comportement s’explique par le fait que l’acteur y voit des conséquences bonnes pour lui. Le principal souci de Coleman est alors d’expliquer le passage du niveau micro au niveau macro. Pour lui, les évènements macro sont déterminés par les comportements individuels ; toutefois le niveau macro a des effets sur les croyances et préférences des acteurs.
En France :
Le holisme de Bourdieu (structuralisme génétique) et de Touraine (actionnalisme) contraste avec l’individualisme méthodologique de Boudon et l’analyse stratégique de Crozier.
Ainsi, les tenants d’une sociologie bourdieusienne insistent sur le fait que l’individu est le produit des structures sociales et qu’il n’est donc pas nécessaire d’intégrer la dimension proprement individuelle dans la théorie (les intentions et les objectifs d’action des individus sont grosso modo déductibles de la place qu’ils occupent dans la société).
En revanche, l’école boudonnienne de sociologie, beaucoup plus compatible avec les théories libérales et néo-libérales, ne voit dans les faits et les processus sociaux que l’addition de conduites et de représentations individuelles en interaction : l’individu est « l’atome logique de l’analyse » car il constitue l’élément premier de tout phénomène social. Comprendre le social, c’est, dans cette perspective, analyser les rationalités des individus, puis saisir leurs « effets de composition », c’est-à-dire la façon dont l’ensemble des actions individuelles s’agrègent pour créer un phénomène social. Boudon a mis ainsi en évidence ce qu’il nomme des « effets pervers », c’est-à-dire des « phénomènes de composition » où l’addition d’actions individuelles rationnelles produit des effets inattendus et contraires aux intentions de chacun. Les paniques boursières constituent un exemple typique de tels effets pervers. Quand un grand nombre d’individus, par crainte d’une baisse des cours, vendent leurs actifs, ils provoquent ce qu’ils craignaient : une chute du prix des actions.
Troisième volet de l’enquête : Les tentatives de dépassement ont initié de nouvelles approches qui renouvellent la discipline.
Une dichotomie à dépasser
Mettez d’abord en évidence les forces et les faiblesses respectives de chaque approche. Observez que l’individualisme méthodologique donne de meilleurs outils pour penser le changement, alors que le holisme fournit de meilleurs outils pour expliquer l’inertie sociale, par exemple la persistance de la surreprésentation de l’échec scolaire dans les classes populaires. Mais il achoppe sur l’explication du changement social, alors que l’individualisme méthodologique souffre des limites du réductionnisme : chercher à expliquer la réalité sociale à partir de ses unités élémentaires rend en effet difficile la prise en compte des interactions.
Creusez ce point en recherchant les arguments confortant ces assertions.
Des pistes pour un dépassement
Evoquez ensuite les tentatives de synthèse et de dépassement. Référez vous à Edgar Morin, promoteur de la « pensée complexe » qui n’est ni holiste, ni réductionniste. E. Morin conçoit le monde social comme une entité où travaillent en permanence des forces qui s’assemblent et s’opposent, où ordre et désordre se mêlent, où les actions individuelles, les évènements sont à la fois des produits et des producteurs de la dynamique sociale, où les phénomènes d’émergence, d’auto-organisation, de bifurcation, viennent briser les régularités de l’ordre social. Il cherche donc à dépasser la vieille dichotomie opérée entre l’individu et la société, en avançant que l’individu est produit par la société qui produit la société. A cet effet les principes directeurs de son analyse s’organisent autour de quelques notions-clés : auto-organisation du social, principe de récursivité entre individu et société, dialogique…
Mary Douglas va dans le même sens. Dans un ouvrage intitulé Comment pensent les institutions ? (La Découverte/Mauss, 2000), elle tente une synthèse de la théorie du choix rationnel et de la sociologie holiste. Elle fait l’hypothèse que des cadres de pensée élémentaires, liés à la façon dont nous classons les objets, les personnes, les actes, interviennent comme supports des stratégies individuelles dans la création d’un bien collectif : le respect des conventions. Dans son optique, les sociétés sont des collectifs liés par des cadres de pensée communs (et non par des affects). Elle place la force des institutions humaines dans les savoirs qui encadrent les jugements de chacun. En étant dépositaires d’un ensemble d’informations, c’est-à-dire d’une mémoire, les institutions permettent à chacun d’exercer sa rationalité d’individu. Si les savoirs portés par les institutions changent, c’est parce que les institutions ne sont pas comme le « big brother » d’Orwell. Les sociétés se composent de collectifs qui tendent à la diversification et à la concurrence. A un certain moment, la pensée instituée devient incapable de rendre compte de la complexité nouvelle. Elle se brise et fait place à une autre. Les savoirs sont donc à la fois institués collectivement et utilisés de manière rationnelle par les individus.
Répondre à la question posée
Malgré les efforts pour la dépasser, cette distinction reste pertinente pour classer les grands courants de l’analyse sociologique. L’actualité récente montre qu’elle continue à opérer. Elle attire en effet notre attention sur l’émergence de la neuro-économie. Cette discipline récente est née aux Etats-Unis il y une dizaine d’années. Son projet est d’utiliser les progrès réalisés dans la compréhension du fonctionnement du cerveau humain pour expliquer et modéliser les comportements des agents économiques en intégrant les émotions (et pas seulement la raison) dans la prise de décision. Cette approche relève incontestablement de l’individualisme méthodologique et ne peut qu’être critiquée par les tenants du holisme qui en dénoncent le réductionnisme, c’est-à-dire la prétention d’expliquer des phénomènes collectifs en les rapportant aux seuls comportements individuels.
Deuxième subdivision : Principes et critères des classifications sociales
Plan détaillé n° 14 : Pour comprendre l’évolution des structures de la société française depuis 1945, peut-on recourir à une analyse à la fois en termes de classe sociale et de catégorie socioprofessionnelle ?
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Structures de la société française
En examinant l’intitulé du sujet, associez le terme un peu vague de structures sociales à celui plus précis de stratification. En cours vous avez appris que toute société est divisée en groupes de droit (tels que les ordres dans la France d’ancien régime) ou de fait (tels que les classes dans les sociétés qui s’industrialisent au 19ème siècle). Cette division est déterminée par un système de différenciation sociale répartissant inégalement les richesses, le pouvoir, le savoir et le prestige entre les groupes et les individus qui en sont membres. Au sens large, la stratification sociale désigne cet ensemble de différences et les inégalités qui lui sont associées.
Evolution depuis 1945
On vous demande d’analyser son évolution en France depuis 1945. La majorité des analystes s’accordent pour considérer qu’à cette date la société française est structurée selon des principes et des critères hérités de la révolution industrielle, et qu’une analyse en termes de classe est pertinente pour rendre compte de sa dynamique.
Sur son évolution ultérieure, rappelez vous que s’affrontent deux clefs de lecture. Pour l’une, la société française reste structurée par des rapports de domination, pour l’autre, la structure de classes a éclaté du fait de la moyennisation des niveaux et des modes de vie.
Classe sociale
Dans l’optique marxiste, les classes sociales ne sont pas des agrégats d’individus, mais un système de positions antagonistes définies par les rapports sociaux qui président à l’organisation de la production. Les classes préexistent aux individus qui en font partie indépendamment de leur volonté. Elles n’existent qu’à travers les relations conflictuelles qui les opposent entre elles. Une classe ne peut donc être définie de manière isolée, indépendamment de la structure de classes dans laquelle elle est insérée. Son existence comme communauté suppose l’existence d’intérêts communs à ses membres, la prise de conscience de ces intérêts et la volonté de les défendre par une action collective dans la lutte des classes.
Catégorie socioprofessionnelle
La notion de catégorie socioprofessionnelle ne se situe pas sur le même plan. Elle relève d’une approche non plus théorique mais empirique. Pour exploiter les données du recensement, l’INSEE a mis en œuvre en 1954 une classification repérant au sein de la population un nombre restreint de catégories présentant chacune une certaine homogénéité sociale. Cela signifie que chaque C.S.P. regroupe des gens qui, au regard de certains critères, se ressemblent et, du fait de ces ressemblances, se distinguent des autres. Vérifiez que vous savez ce que sont ces critères et de quelle manière ils ont été agencés pour construire cette nomenclature qui est un instrument statistique à priori neutre de classement des informations.
Attention au « à la fois »
La question est ici de savoir si l’approche en terme de C.S.P. est ou non compatible avec celle en terme de classe pour décrire les évolutions de la stratification sociale. Il s’agit donc de déterminer si on peut ou non combiner les deux approches, ce qui exclut de les étudier séparément.
Les erreurs à ne pas commettre
C’est un sujet assez technique qui demande une bonne connaissance du cours sur les principes et les critères de stratification sociale.
Son traitement ne peut être qu’erroné :
– si vous vous bornez à dire ce que vous savez des classes puis des catégories sociales sans relier les deux
– si vous ne parvenez pas à identifier clairement la différence entre les deux outils
– si vous n’êtes pas à même de caractériser de manière synthétique les grandes tendances de l’évolution des structures sociales.
La démarche à suivre
Partez de 1945, et constatez qu’à cette date on avait encore affaire à des groupes sociaux bien identifiés qu’on pouvait analyser en terme de classe. Le schéma marxiste fonctionnait assez bien. Ainsi, Henri Mendras, au début de son ouvrage sur la seconde révolution française, dresse le portrait d’une société composée de quatre grands groupes sociaux ayant chacun ses caractéristiques particulières : les paysans, la bourgeoisie, le prolétariat et les classes moyennes.
Remarquez qu’au début des années 50, l’INSEE définit une nomenclature des CSP et en fait un instrument statistique de mesure des évolutions de la société française.
Le choix même de l’appellation est révélateur des intentions de son auteur, Jean Porte, qui a préféré l’expression catégories socioprofessionnelles à celle de catégories sociales : « Si nous avions choisi ce mot, nous aurions été critiqués par tout le monde. La gauche aurait estimé que ce n’était pas de vraies classes sociales, et la droite aurait crié au contraire que c’était des classes sociales. Tandis qu’avec « socioprofessionnel » personne n’a rien dit ». La volonté de neutralité des concepteurs du code des CSP est donc affichée.
Les deux approches sont donc d’esprit très différent, ce qui les rend a priori exclusives l’une de l’autre. Ne peut on néanmoins les recouper pour enrichir notre connaissance des mutations de la société française ? Plus précisément, au regard des informations fournies par la nomenclature des CSP, que devient sa stratification ?
A ces questions, deux types de réponses sont possibles : selon l’une, l’évolution que permet d’observer la nomenclature des CSP montre que la structure de classes a disparu. C’est la position adoptée par Mendras. Selon l’autre, le croisement des deux approches met en évidence la perpétuation de rapports de domination au sein de la société. C’est la position adoptée par Bourdieu.
Dans un cas, les deux approches ne sont pas compatibles, puisque l’un des termes perd toute pertinence, alors que dans l’autre elles se complètent.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Les connaissances à mobiliser portent sur les différents travaux relatifs aux classes et aux conflits de classe, en particulier ceux de Marx, Darhendorf et Bourdieu.
Il faut également maîtriser tout ce qui touche à la genèse de la nomenclature des CSP, aux critères de sa construction, à son architecture et à son utilisation.
Si ce n’est déjà fait, apprenez par cœur la liste des six groupes socioprofessionnels d’actifs et des deux groupes d’inactifs de la nomenclature de 1982, assimilez les principes de leur raccordement à la classification de 1954, et mémorisez quelques ordres de grandeur sur les évolutions de leurs effectifs de 1945 à nos jours.
Soyez enfin au clair sur les grandes tendances de l’évolution de la société et les grilles de lecture qui en ont été données, en particulier la thèse de la moyennisation et sa réfutation.
Les auteurs de référence sont ici ; Marx, Weber, Warner, Darhendorf, Bourdieu, Baudelot, Establet, Mendras, Chauvel.
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Premier volet de l’enquête : Rassemblez les éléments pouvant justifier une réponse négative à la question posée.
En premier lieu : considérez qu’il s’agit de deux approches très différentes et montrez qu’on peut les utiliser l’une contre l’autre.
Classe et lutte des classes relèvent d’une démarche théorique centrée au départ sur le conflit.
Au fondement de la différenciation en classes se trouvent :
– les rapports d’exploitation selon Marx qui focalise l’analyse sur la sphère économique et l’univers du travail
– les rapports de domination selon les auteurs qui s’inspirent de l’oeuvre de Marx, mais font intervenir d’autres éléments d’ordre culturel et symbolique (Bourdieu, Darhendorf)
Dans cette optique, les classes sont des communautés. L’appartenance à telle ou telle classe a des conséquences nécessaires, quasiment mécaniques, sur le comportement des individus.
Leurs luttes sont au principe du changement social. La conception de la société qui en résulte est conflictuelle et fortement hiérarchisée. Elle relève d’une vision dialectique de l’histoire.
Un auteur comme Weber a dilué la notion de classe. Il en a fait un concept parmi d’autres pour rendre compte de la stratification sociale. Il a contesté le fait que la lutte des classes soit le moteur de l’histoire.
A sa suite, des sociologues américains (Warner notamment) ont développé une approche en terme de strate qui s’oppose aux analyses en termes de classes. Elle met en effet l’accent sur la gradation régulière des positions et l’absence de conflits majeurs entre les groupes.
Or cette approche stratificationniste n’est pas sans affinité avec la nomenclature des CSP.
En deuxième lieu : établissez que la notion de C.S.P. relève d’une démarche empirique qui ne préjuge pas de conflits entre les groupes sociaux et accorde une large place aux catégories moyennes salariées. C’est pour classer les données du recensement de 1954 qu’a été élaboré et mis en œuvre cet outil statistique d’analyse des différences. Sa conception ne repose pas sur une vision théorique à priori des rapports sociaux et de leur dynamique. Elle ne préjuge pas que ces rapports soient conflictuels. Le code a seulement pour but de classer l’ensemble de la population en un nombre restreint de catégories présentant une certaine homogénéité sociale. Il permet d’ordonner un grand nombre d’informations statistiques d’ordre économique, social et culturel.
Ne postulant pas l’existence d’oppositions tranchées entre les couches sociales, le classement de l’INSEE est un instrument qui peut servir de base à l’analyse des flux de mobilité. On est donc loin des mécanismes de dualisation et de perpétuation des inégalités invoqués par les marxistes.
En troisième lieu : montrez qu’il n’est à priori pas possible d’assimiler les classes et les CSP.
Des différences sensibles dans leurs modes de construction font qu’on ne peut ni les confondre, ni directement les superposer. Ainsi la classe ouvrière ne coïncide pas avec le groupe socioprofessionnel des ouvriers, contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord. Elle incorpore aussi la partie des employés qui a des conditions de travail proches de celles des ouvriers. A l’inverse, la fraction la plus qualifiée du groupe ouvrier n’a souvent pas le sentiment d’appartenir à la classe ouvrière, de même qu’une partie des employés. Il n’y a pas non plus d’adéquation entre les professions intermédiaires et les classes moyennes salariées qui incluent une partie des employés et des cadres et professions intellectuelles supérieures.
On peut même utiliser chacune des approches pour récuser l’autre.
Pour les marxistes, la nomenclature de l’INSEE gomme la structure de classe. Ils lui reprochent d’escamoter à tort une classe entière : la bourgeoisie. En classant la population selon des critères professionnels, elle éparpille les détenteurs de capitaux dans plusieurs catégories, ce qui empêche de cerner les comportements sociaux de cette classe. Elle ne rend pas non plus compte des statuts précaires ni de la situation des exclus. Ainsi, une personne privée d’emploi reste rattachée à sa catégorie aussi longtemps qu’elle est comptabilisée comme chômeur, puis sera classée parmi les inactifs si elle se décourage et renonce à chercher un emploi.
A l’opposé, selon Mendras, l’évolution des CSP montrerait que la structure de classe héritée de la révolution industrielle a disparu. C’est la thèse bien connue de la moyennisation. Vous pouvez la résumer par le triple constat :
– d’une atténuation des disparités en termes de revenu, de consommation, de loisirs entre les CSP
– d’une deconnexion entre les styles de vie et l’appartenance à telle ou telle catégorie sociale
– de l’expansion d’une vaste constellation centrale au milieu de la structure sociale.
Deuxième volet de l’enquête : Rassemblez maintenant les éléments pouvant justifier de répondre positivement à la question posée.
Mettez d’abord en relief le fait que la manière dont a été construite la nomenclature de l’INSEE permet de la tirer dans un sens favorable à l’approche en terme de classe, comme le fait Bourdieu, et de la renouveler à un moment où elle retrouve de l’actualité avec la montée des inégalités.
En premier lieu : faites ressortir les points de convergence et établissez la possibilité de les raccorder.
On sait que la grille marxiste des classes privilégie la position dans les rapports de production, et donc la place dans l’univers du travail. Or la classification des CSP découle du choix de critères fondés sur la profession : métier, taille de l’entreprise, secteur d’activité, qualification (pour les salariés), statut (privé/public, indépendant/salarié), position dans la hiérarchie.
Dans les deux cas les critères retenus s’enracinent donc dans la sphère du travail et de la production.
En outre, la nomenclature de l’INSEE est construite pour rassembler des individus dans des groupes homogènes. Si les CSP ne sont pas des communautés et, en ce sens ne sont pas assimilables aux classes, elles ne se limitent pas à être de simples agrégats statistiques, comme peut l’être une tranche de revenus.
En deuxième lieu : expliquez comment Bourdieu utilise la nomenclature des CSP pour la mettre au service d’une théorie des classes. Si ce point est obscur pour vous, revoyez sa nomenclature des différentes espèces de capitaux (économique, social et culturel) et la manière dont il l’utilise pour distinguer trois grandes classes au sein de la société française : la classe dominante, la petite bourgeoisie et la classe populaire.
A chacune de ces classes, il donne un contenu en termes de CSP. La classe dominante comprend les industriels et gros commerçants, les professions libérales, les cadres supérieurs du secteur privé (fraction dominante) ainsi que les ingénieurs, les professeurs et assimilés, les professions intellectuelles (fraction dominée). La petite bourgeoisie, ou classe moyenne, comprend les cadres moyens, les employés, les techniciens, les commerçants, les artisans. Au sein des classes populaires, il agrège les ouvriers de toutes catégories, les contremaîtres, les manœuvres, les marins pêcheurs, les petits agriculteurs ainsi que les personnels de service et les salariés agricoles.
Cela lui permet d’exploiter la masse considérable d’informations statistiques disponibles sur les catégories socioprofessionnelles et, sur cette base, de conduire une investigation systématique des rapports de domination.
Baudelot et Establet procèdent de même pour analyser les inégalités sociales dans le domaine de la consommation. Dans « Qui travaille pour qui ? » (1979), ils mobilisent les études statistiques de la réalité sociale menées à partir des catégories socioprofessionnelles pour appuyer leur démonstration.
En troisième lieu : expliquez en quoi le croisement des deux approches éclaire les mutations en cours de la société française.
Mettez en évidence le fait que les études en terme de CSP permettent de contester la thèse de la moyennisation. Elles établissent l’existence d’écarts grandissants de revenus entre catégories supposées appartenir à la constellation centrale. Par ailleurs, on observe que la diffusion de biens de consommation durables issus des dernières technologies reste socialement discriminante, et que les écarts considérables de patrimoine ne diminuent nullement. Dans le domaine culturel, malgré les progrès de la scolarisation et l’élargissement de l’accès aux biens et services artistiques, des disparités opposent toujours les CSP de manière tranchée.
De même, les informations de l’INSEE fondent les interrogations de Louis Chauvel sur le retour des classes sociales, en lien avec la résurgence des inégalités. A ce jour la montée du chômage et l’atomisation de la société n’ont pas suscité le réveil d’une conscience de classe. On peut se demander ce qu’il en sera demain.
Répondre à la question posée
La nomenclature des CSP, devenue celle des PCS, est un outil d’une grande plasticité qui peut être mis au service d’approches concurrentes de la stratification sociale. Cela fait son originalité et contribue à expliquer sa longévité.
Troisième subdivision : L’évolution des structures sociales depuis la Révolution industrielle (on s’appuie notamment sur le cas français
Plan détaillé n° 15: La notion de classe moyenne est-elle pertinente pour analyser l’évolution de la structure sociale française au 20ème siècle ? ESCP, sujet d’oral
Répondre aux attentes des examinateurs
Le décryptage de l’énoncé
Il est doublement difficile.
Il faut d’abord cerner la notion de classe moyenne, alors qu’elle est particulièrement floue.
Considérez d’abord le mot « classe », et mettez en avant les critères habituels de sa définition. Remarquez que le terme renvoie généralement aux positions occupées par des groupes dans les rapports de production. Cela tire l’analyse du côté d’une sociologie du conflit.
Portez ensuite votre attention sur l’adjectif « moyen ». Notez qu’il désigne un positionnement intermédiaire sur une échelle de revenu ou de qualification. Cela tire l’expression du côté d’une analyse en terme de stratification, elle-même en affinité avec une sociologie de l’intégration.
Au plan théorique la notion est donc ambivalente.
Il faut ensuite caractériser de manière synthétique ce qu’ont été les évolutions de la société française au 20ème siècle.
Si on raisonne en termes de stratification, celle qui prévaut au début du 20ème siècle est héritée de la révolution industrielle. Qu’est-elle devenue et quel rôle la classe moyenne a-t-elle joué dans ses mutations ?
Si on raisonne en termes de changements, la société française en a connu de multiples, en particulier en matière de niveau et de mode de vie. Dans quelle mesure la classe moyenne a-t-elle été le vecteur de ces changements ?
Les erreurs à ne pas commettre
Il ne s’agit pas d’un sujet sur les mutations de la stratification de la société française en général. En procédant par élimination, il faut écarter tout ce qui concerne spécifiquement les classes populaires (« la France d’en bas ») et les élites (« la France d’en haut »).
Il ne faut pas non plus se laisser arrêter par la seule signification marxiste du terme de classe qui a un sens très précis et donc enfermant. Classe est ici à entendre au sens large de groupe social. Il faudra en rapprocher le concept de strate, et se demander s’ il ne faut pas passer du singulier (la classe moyenne) au pluriel (les classes moyennes).
Par ailleurs, pour conduire cette réflexion, vous ne pouvez vous contenter de décrire la ou les classes moyennes au 20ème siècle. Vous devez aussi replacer leurs évolutions dans celles des structures sociales dans leur ensemble, ce qui suppose d’analyser leur place dans la société française et leur rôle dans la dynamique de ses évolutions.
La démarche à suivre
Dans un premier temps, interrogez vous sur la composition des classes moyennes en observant qu’elle évolue dans le temps, ce qui nécessite de périodiser correctement les évolutions observées. Selon une démarche historique, cela conduit à montrer que ses contours ont évolué au 20ème siècle.
Dans un deuxième temps, demandez vous comment les grands courants de l’analyse sociologique utilisent la notion en remarquant :
– que les marxistes orthodoxes la définissent d’une certaine façon et lui attribuent un rôle passif dans le processus inéluctable de bipolarisation des sociétés capitalistes.
– que Bourdieu en cerne autrement les contours et lui confère un rôle clef dans le maintien de la domination des classes dominantes.
– que Mendras s’appuie sur une représentation qui fait de la moyennisation le processus majeur de transformation des structures sociales.
La question des classes moyennes est donc au cœur de débats essentiels en sociologie.
Pour schématiser s’y opposent deux grandes traditions :
– si on met l’accent sur le conflit, l’enjeu est de placer les classes moyennes dans les rapports sociaux de production et de montrer comment elles participent à la perpétuation de la domination des classes dirigeantes.
– si on met l’accent sur l’intégration, l’enjeu est de montrer que la classe moyenne est un agent actif du changement, celui qui a fait disparaître la structure de classe et, à travers ce processus, a lui-même disparu en tant que classe pour devenir la constellation centrale.
Les connaissances et les auteurs à mobiliser
Pour cerner la notion de classe moyenne, il faut bien connaître la classification des professions et des catégories socioprofessionnelles.
Il faut aussi avoir conscience du fait qu’on ne peut l’associer d’emblée à un ou des groupes sociaux bien typés. Elle évoque « un entre-deux à géométrie variable entre les classes supérieures et les classes populaires » comme le note Serge Bosc.
Elle est un espace social intermédiaire et hétérogène qui se définit par une double négation : en font partie ceux qui n’appartiennent ni à la classe populaire, ni à la classe supérieure.
Réalité mouvante, elle est aussi et peut être surtout une représentation. Les enquêtes montrent en effet qu’une majorité de la population pense en faire partie et que le sentiment d’appartenir à la classe moyenne ne cesse de progresser.
Vous pouvez en déduire que le concept de classe moyenne est un objet sociologique étrange : d’une part c’est un ensemble hétéroclite dont les membres n’ont objectivement pas ou très peu d’intérêts communs. Mais, d’autre part, un nombre croissant de français a la conviction d’en faire partie.
Demandez vous ce qui peut fonder ce sentiment d’appartenance et cette représentation très répandue des structures de la société. Pour cela raisonnez en terme de projet de promotion, et mettez en avant une croyance partagée dans la possibilité de grimper dans l’échelle sociale. Relevez aussi que le « malaise des classes moyennes » est aujourd’hui fortement corrélé à la montée du risque de déclassement social pour leurs enfants.
Pour caractériser les évolutions de la société française, vous devez avoir assimilé quelques faits saillants de notre histoire sociale qui relèvent du programme de 1ère année, et être au fait des changements intervenus dans le domaine des niveaux et des modes de vie précisés en 2ème année.
Pour ce qui est des auteurs importants sur le sujet, pensez à mobiliser ceux du 19ème siècle (Marx, Tocqueville, Weber) mais aussi C Wright Mills (et son étude sur la montée des cols blancs), Bourdieu (et son étude sur la distinction) ainsi qu’Henri Mendras (et son analyse de la moyennisation).
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Premier volet de l’enquête : cette notion ambiguë et floue désigne des réalités changeantes
Au cours du temps l’expression a changé de sens
Si on examine le label « classe moyenne», on constate qu’il a progressivement glissé du singulier au pluriel, suivant en cela les transformations de la réalité sociale.
Au départ, « classe moyenne » désigne la bourgeoisie, par opposition à l’aristocratie. Mais l’affirmation progressive d’une bourgeoisie industrielle et commerciale comme classe dominante change la donne, au moins jusque dans l’entre-deux-guerres. Le vocable en vient à désigner de préférence les petites et moyennes catégories indépendantes, dont le caractère est composite puisqu’elles sont formées de commerçants, d’artisans, d’agriculteurs aisés, de petits industriels et de professions libérales modestes. Les marxistes les regroupent dans la «petite bourgeoisie», appelée selon eux à dépérir du fait de l’évolution du capitalisme, conformément aux analyses de K. Marx et de F. Engels.
À partir du début du 20ème siècle, la classe moyenne, jusque-là identifiée au monde de la petite entreprise, s’enrichit de nouvelles composantes salariées. Dès lors le pluriel s’impose. Devenue une véritable nébuleuse, l’expression « classes moyennes» recouvre désormais deux catégories bien distinctes: une classe moyenne indépendante, constituée de non salariés, et une classe moyenne salariée.
Progressivement le centre de gravité de cet ensemble flou se déplace.
Des années 30 aux années 70, l’essor du salariat non manuel s’accompagne en effet du déclin des catégories indépendantes. C’est l’ère des organisateurs, de l’accélération du progrès technique, de la deuxième révolution industrielle ainsi que de l’affirmation d’un Etat régulateur et du secteur public. C.Wright Mills souligne cette tendance des catégories salariées à prendre le dessus sur les catégories indépendantes dans la hiérarchie sociale intermédiaire [Les cols blancs, Essai sur les classes moyennes américaines, 1951, Maspero, 1966 pour la traduction française].
En France, le basculement n’intervient pas avant les années 50 : salarisation, concentration, bureaucratisation, révolution agricole y ont lieu plus tardivement.
Avec l’avènement de la « société salariale », les différenciations principales se trouvent désormais à l’intérieur du salariat. Se constitue un nouvel espace intermédiaire marqué par une spécialisation fonctionnelle et une hiérarchisation verticale: une pyramide des « cols blancs » s’esquisse, qui relie les cadres supérieurs ou moyens aux employés de bureau.
Aujourd’hui, un processus de différenciation croissante est à l’œuvre au sein des classes moyennes salariées. Cette différenciation est verticale, avec une distance qui augmente entre cadres dirigeants et cadres ordinaires. Elle est fonctionnelle, avec un clivage entre ceux qui mobilisent une compétence technique et ceux qui exercent une responsabilité gestionnaire. Elle est statutaire, avec un fossé entre gens du public et gens du privé. Dans un contexte de montée des inégalités au sein du monde salarié, le malaise des classes moyennes qui doutent de leur identité s’accroît. Déstabilisées, elles subiraient un rétrécissement selon les uns, un écartèlement selon les autres.
L’investigation se poursuit sur le terrain théorique où le caractère ambivalent et confus de la notion se confirme.
On a déjà remarqué qu’elle associe deux termes qui renvoient à des analyses distinctes.
Poursuivez le raisonnement, en soulignant qu’on se trouve au croisement de deux visions difficilement conciliables de l’agencement des structures sociales.
Pour l’une, l’espace social est divisé par des rapports de force. La société est le lieu de conflits nés de l’opposition entre ceux qui détiennent la propriété et/ou le pouvoir économique, et ceux dont le travail est déterminé par les intérêts et les décisions des premiers. On raisonne alors en terme de classe et de rapports de classe. Ainsi, dans l’analyse marxiste, une classe se définit par l’existence d’intérêts communs à ses membres et par la prise de conscience de ces intérêts. En découle un sentiment d’appartenance et une solidarité débouchant sur l’action collective et la lutte. Dans cette optique une classe n’existe que dans son opposition à une autre classe. La notion est donc relationnelle et inséparable de la lutte des classes.
Dans une telle optique, comment situer la classe moyenne dans les rapports de classe ?
Sa position est nécessairement ambiguë au regard de la lutte qui oppose le prolétariat à la bourgeoisie. Voués à rejoindre soit un pôle soit l’autre, ses membres n’ont pas d’intérêts qui leur soient propres. Ils ont appelés à disparaître en tant que classe au terme du processus de bipolarisation. En attendant, leur vocation est d’être des auxiliaires de la classe possédante.
Dans la seconde, l’espace social forme un ensemble continu. Au sein de cet ensemble, les individus différent par leur niveau d’éducation, leurs qualifications, leurs revenus, leur statut, leur prestige. Ceux qui occupent des positions non extrêmes sur ces différentes échelles de stratification font partie d’un groupe intermédiaire entre les classes sociales supérieures et les classes populaires. Mais dans ce continuum, qui va de la part supérieure des classes populaires jusqu’aux portes de l’élite, il est impossible de poser l’existence d’une part d’un noyau central et d’autre part de limites précises. Il est donc impossible de définir une classe moyenne au singulier. Plutôt que de classe mieux vaut alors parler de strates moyennes s’agrégeant en une vaste constellation centrale, comme le fait Mendras lorsqu’il analyse le processus de moyennisation de la société française. La notion de classe se dissout dans celle de strate.
Le concept de classe moyenne est donc bien un objet sociologique étrange comme on l’a noté plus haut.
Deuxième volet de l’enquête : la notion a nourri des analyses contradictoires des évolutions de la société française.
Les sociologues l’ont chacun utilisée à leur manière. Leurs grilles de lecture interprètent de manière opposée le rôle joué par cet espace social intermédiaire dans les évolutions de la société française au 20ème siècle.
Tournez vous d’abord du côté de la sociologie du conflit
Evoquez les positions de Pierre Bourdieu. Dans La Distinction (1979), il met en scène une petite bourgeoisie aux contours bien définis et dont les pratiques participent au maintien d’une société de classe.
Des contours bien définis.
Pierre Bourdieu part de la nomenclature des C.S.P. pour préciser la composition de cette classe située au milieu de la structure sociale et qui joue un rôle central dans la perpétuation des rapports de domination.
Les métiers artistiques ou semi-artistiques, les métiers intellectuels ou semi-intellectuels, les métiers de conseil, les professions de présentation et de représentation, les secrétaires, les infirmières et les techniciens supérieurs composent la petite bourgeoisie nouvelle.
Les cadres moyens, techniciens, employés de commerce et de bureau, les instituteurs, les gendarmes et les policiers forment la petite bourgeoisie d’exécution.
Les patrons de P.M.E. et les artisans traditionnels font partie de la petite bourgeoisie traditionnelle dite aussi en déclin.
Surplombant la classe moyenne ou petite bourgeoisie, les classes supérieures comportent une fraction dominante et une fraction dominée. Cette dernière regroupe les ingénieurs, les professeurs et assimilés, les professions intellectuelles et assure la liaison avec la petite bourgeoisie.
En dessous se trouvent les classes populaires avec les ouvriers et les petits salariés.
Un habitus de classe
Ce qui fonde l’identité de cette classe est la prétention de ses membres à s’élever dans l’espace social alors que leur dotation en capital économique et culturel est faible. Leurs seuls vrais atouts sont leurs dispositions ascétiques, à savoir leur bonne volonté culturelle et leur esprit d’économie « qui en font les clients idéals de l’école et de la banque ». Dans cette perspective, leur habitus est générateur de pratiques et de comportements totalement subordonnés aux impératifs de l’ascension sociale.
Il en résulte que les différentes fractions de la petite bourgeoisie sont dans une relation de dépendance culturelle et idéologique à l’égard de la classe dominante et entretiennent un rapport subordonné à la culture savante. La classe moyenne n’a donc pas d’autonomie culturelle. Aucune de ses composantes n’est à même de jouer un rôle pionnier dans la transformation des modes de vie. N’ayant pas de capacité d’innovation, elles ne sont pas à même de propager de nouveaux comportements au sein de la société.
Un rôle central dans le maintien de la structure de classe
Il faut ici mobiliser ce que vous avez appris de la théorie des classes construite par Bourdieu et vous souvenir :
– qu’elle repose sur une extension de la notion de capital qu’il décline sur trois registres : économique, social et culturel. Entre les classes existent des différences en termes de dotation en capitaux, aussi bien sous l’angle de sa structure que de son volume.
– qu’elle fait appel à la notion d’habitus qui est au principe de pratiques et de comportements socialement différenciés. La spécificité des habitus de classe n’est pas neutre : elle crée des rapports de domination symbolique. La classe dominante est celle qui parvient à inventer et à légitimer les goûts et les comportements. Pour perpétuer sa domination, elle peut s’appuyer sur la bonne volonté culturelle de la classe moyenne.
Tournez vous ensuite du côté de la sociologie de l’intégration
Observez que ses tenants font de la constellation centrale le foyer des mutations de la société française. Ainsi, Henri Mendras, dans La seconde révolution française (1988), montre comment l’expansion de la classe moyenne a conduit à l’éclatement de la stratification sociale héritée de la révolution industrielle.
De la classe moyenne à la constellation centrale
Il note qu’en affirmant que la classe moyenne était en passe de devenir une véritable classe, Simmel a complètement subverti le schéma marxiste (Sociologie et épistémologie, 1917, traduction française P.U.F., 1981). En effet, placée au centre de la société, la classe moyenne entretient nécessairement des relations avec chacune des deux autres. Elle les modifie en leur communiquant ses propres caractéristiques. Peu à peu, elles se mettent à ressembler plus à la classe moyenne qu’au prolétariat et à la bourgeoisie, et entre les classes les frontières deviennent floues. Au sein de la classe moyenne, la diversité des situations s’accompagne d’une forte mobilité qui devient le modèle de la société tout entière. Le mouvement s’affirme aux Etats-Unis dans les années 20 et 30, mais plus tardivement en France. Lorsqu’il est achevé, on ne peut plus parler de classe moyenne. Elle s’est détruite en tant que classe en entraînant une transformation de toute la structure sociale qui n’est plus une structure de classe. A la classe moyenne succède la constellation centrale jouxtant la constellation populaire et des « galaxies périphériques » au sein d’une figure en forme de toupie.
La moyennisation de la société
Sur cette base, Mendras soutient l’idée d’une moyennisation de la société en soulignant plusieurs tendances de fond. Il s’agit en particulier de l’atténuation des disparités socio-économiques et d’une certaine homogénéisation des styles de vie. Sur ce point, mobilisez les aspects du cours de deuxième année relatifs aux inégalités et à la consommation, et notez qu’un tel processus, si il existe, signe la fin de la lutte des classes.
Ces évolutions s’accompagnent de profondes mutations du système de valeurs qui est de plus en plus marqué par l’hédonisme et la contestation des formes traditionnelles d’autorité. En adoptant et en propageant dans la société de nouveaux comportements imprégnés de libéralisme culturel, les catégories moyennes salariées ont manifestement joué un rôle dans la transformation des mœurs en général et des modes de vie familiaux en particulier. Pour Mendras, ces mutations résultent plus précisément de l’implication de certains « noyaux innovateurs » tels que les enseignants, les animateurs sociaux et culturels ou les personnels de services médico-sociaux. Situés dans la constellation centrale, ils ont diffusé des valeurs et une genre de vie attractifs pour les autres groupes sociaux qui les ont imités.
Moyennisation et/ou dualisation
La remontée des inégalités et le développement de la précarité dans les années 1980 conduisent cependant à aménager et nuancer ce diagnostic global. Il apparaît en effet que la moyennisation n’exclut pas une certaine dualisation de la société française entre insiders et outsiders. Cette approche conduit à une analyse qui met en avant le concept d’exclusion pour mieux repousser celui d’exploitation. La segmentation du marché du travail et l’accès à celui-ci deviennent alors les critères essentiels de la structuration sociale. Deux processus seraient donc à l’œuvre au sein de la société française avec, d’une part un mouvement déjà ancien de moyennisation et, d’autre part, un phénomène plus récent de dualisation. Reste à comprendre la dynamique de leurs relations.
Répondre à la question posée
En raison de nombreux clivages (indépendants/salariés, public/privé…) les classes moyennes contemporaines ne forment pas un ensemble structuré, cohérent et organisé.
Elles constituent néanmoins un troisième bloc dans notre société à côté de la classe dirigeante et des classes populaires, un bloc qui a grossi avec la révolution invisible analysée par Mendras.
La place et le rôle qu’on leur donne conditionnent la grille de lecture des évolutions de la société française au 20ème siècle. Ces questions sont porteuses d’enjeux majeurs en termes idéologiques, politiques et de cohésion sociale. Elles prennent d’autant plus de relief que se multiplient les signes d’un malaise des classes moyennes. Sont-ils la manifestation d’un simple desserrement, d’une recomposition limitée de la constellation centrale, ou annoncent-ils une déstabilisation générale ? Si la deuxième hypothèse devait se vérifier on pourrait craindre avec Louis Chauvel que « de même qu’elles associèrent les autres à leurs succès, les classes moyennes les entraînent à présent dans leurs difficultés ». Le malaise de la constellation centrale annoncerait alors le retour des classes sociales.