Entreprises : gare à l’excès d’optimisme
Les informations rassurantes sur la santé économique de la France publiées cet automne ne doivent pas faire illusion. Elles masquent la situation globalement préoccupante des entreprises fragilisées par la crise sanitaire.
En termes de politique économique, la rentrée a été l’occasion d’un festival de bonnes nouvelles. Selon l’INSEE, le taux de chômage baisse significativement. De 8,5 % de la population active avant la crise sanitaire, il passe à 8 % au 2e trimestre 2021 et devrait fléchir à 7,6 % au 3e pour rejoindre ses plus bas niveaux d’avant crise d’après la dernière note de conjoncture de l’Institut. À cela s’ajoutent des perspectives très encourageantes sur l’évolution du pouvoir d’achat qui aurait progressé de 8 % dans les 5 dernières années, soit deux fois plus vite que lors des deux quinquennats précédents.
La Banque de France n’est pas en reste. Elle s’attend désormais à ce que du fait d’un rebond bien plus rapide que ce qu’elle avait d’abord prévu, le PIB augmente de 6,3 % cette année, puis de 3,7 % en 2022 et de 1,9 % en 2023.
Si l’on en croit les statistiques étatiques on se rapproche à grands pas de la situation idéale qualifiée de ” carré magique ” par l’économiste keynésien Nicolas Kaldor avec une inflation encore faible, une situation de l’emploi encourageante et une croissance vigoureuse.
À condition toutefois de faire l’hypothèse bien hasardeuse que la hausse des prix n’est qu’un épisode transitoire et de mettre sous le tapis les mauvais résultats du commerce extérieur. Sur ces deux lignes de front, les nuages s’accumulent et l’horizon devient beaucoup plus chargé.
Attention, bombes à retardement !
C’est aussi le cas si on observe avec lucidité le terrain micro-économique, celui des entreprises qui vivent des réalités beaucoup plus sombres. En dépit de la manne dont elles ont bénéficié, leur vitalité a été gravement altérée par la crise sanitaire et par les décennies d’erreurs économiques cumulées par des gouvernements convaincus des bienfaits du dirigisme.
C’est ce que soulignent les économistes d’Euler Hermès. Leur dernière étude montre sans ambiguïté que la crise du Covid-19 et plus encore la manière dont elle a été amortie à coups de subventions en tous genres a créé une bombe à retardement en matière de défaut de paiement et de faillites. Grâce à un soutien étatique d’envergure, les défaillances d’entreprises ont certes reculé en France de -38 % en 2020 et continueront de baisser en 2021 (-17 %). Mais cette période de calme avant la tempête va s’interrompre brutalement. En 2022 les faillites devraient bondir de 40 %, ce que les experts du leader mondial de l’assurance-crédit qualifient de “début de normalisation” annonçant une forte recrudescence des défaillances d’entreprises en France.
Les effets pervers du “quoi qu’il en coûte”
On sait en effet d’ores et déjà que la stratégie du “quoi qu’il en coûte” a permis la survie d’un grand nombre d’”entreprises zombies” promises à la disparition avant la crise sanitaire et qui n’ont survécu que grâce aux mesures exceptionnelles de soutien dont elles ont bénéficié sans grand discernement de la part des autorités. On sait aussi que dans un environnement économique, fiscal et réglementaire toujours difficile, bien des entreprises viables vont avoir les plus grandes difficultés à rembourser les PGE (prêts garantis par l’État) qui leur ont été consentis en faisant exploser leur endettement.
De nombreux acteurs sont donc aujourd’hui en situation de grande fragilité réelle ou potentielle, ce qui va apparaitre au grand jour avec l’inévitable retrait des dispositifs qui ont maintenu les uns et les autres à flot. Au passage, le parachute financier déployé par l’État pour retarder la chute des plus fragiles aura fait grimper la dette publique à près de 120 % du PIB. À la détérioration de la santé financière des entreprises, s’ajoutent donc les problématiques de soutenabilité de la dette publique dont le poids croissant repousse à des échéances toujours plus lointaines le rééquilibrage de nos finances publiques.
Vers la stagflation ?
Autre danger pour les entreprises, mais sans doute par pour l’État dont cela pourrait alléger le fardeau, on assiste manifestement à un retour en force de l’inflation , prévisible depuis longtemps, mais toujours nié. L’hypothèse d’un réamorçage de la boucle prix-salaires devient de plus en plus crédible si on considère la pénurie actuelle de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs essentiels de l’économie française. Si on rapproche ce processus déjà bien enclenché de hausse des prix et la vague de faillites qui se profile avec ses effets de restriction d’une offre déjà fortement perturbée par la multiplication de difficultés logistiques, la stagflation devient une hypothèse de plus en plus crédible. Ce que cache le paravent des statistiques officielles est donc peu réjouissant. Les bonnes performances actuelles ne sont qu’apparentes.
Des remèdes qui seraient pires que le mal
Le seul espoir de redressement porte sur les entreprises alors qu’à l’approche des élections présidentielles certains ne rêvent que d’une chose : leur faire supporter ainsi qu’à leurs actionnaires la facture de la crise en rétablissant l’ISF, en supprimant la flat tax et en alourdissant leur fiscalité. Ce serait un grave contresens, mais notre pays est malheureusement coutumier de ces erreurs d’appréciation. Pour écarter ce noir scénario, il est impératif de faire de la question des faillites et de la fragilité de notre tissu productif un point central de la campagne à venir.
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Contrepoint : L’économie du reconfinement : Ubu roi
En intervenant sur tous les fronts, la machinerie administrative a fait bondir la part des dépenses publiques, rapprochant dangereusement l’économie française d’une économie administrée de commandement soviétique.
Par Pierre Robert.
Au nom de la santé publique l’administration est en train de passer une camisole de force à notre économie et de lui infliger des dégâts irréversibles. Cette manœuvre s’accompagne d’une restriction drastique du périmètre de nos libertés et d’une mainmise de la technocratie sur l’organisation de toutes les activités.
UNE CAMISOLE DE FORCE
Huit mois après le début officiel de l’épidémie, l’État dicte en effet aux entreprises la manière dont leurs salariés doivent s’organiser pour travailler. Il soutient celles dont il a ordonné la fermeture comme la corde soutient le pendu, règle les salaires d’une fraction croissante de la population et décide à la place des consommateurs ce qu’ils peuvent ou non acheter.
Il prétend aussi planifier l’hypothétique et future relance d’une économie qu’il a mise à genoux et que manifestement il voue à la décroissance.
En quelques mois, en intervenant sur tous les fronts, la machinerie administrative a fait bondir la part des dépenses publiques de 55,6 % à 64,3 % du PIB, un niveau qui devient réellement extravagant pour un pays développé supposé être encore une économie de marché.
Avec de tels chiffres on se rapproche dangereusement d’une économie administrée de même nature que celle que les citoyens soviétiques ont dû supporter pour leur malheur pendant plus de 70 ans avec les résultats que l’on connait.
L’épreuve que notre pays est en train de vivre est à cet égard un cas d’école pour montrer l’ampleur des dysfonctionnements que génère l’illusion de pouvoir piloter l’économie par le haut.
Elle met en lumière les raisons pour lesquelles ignorer à ce point son fonctionnement spontané et ne pas tenir compte du comportement individuel des acteurs confrontés à ce qu’on tente de leur imposer génère des effets pervers et des blocages en série. Quelques exemples en font la démonstration
LE DIKTAT DU NÉCESSAIRE ET DU SUPERFLU
Paru le 3 novembre, un décret fixe les « mesures applicables aux moyennes et grandes surfaces spécialisées ou généralistes et aux prestations de services à domicile ».
Si elles font moins de 400 mètres carrés elles n’ont pas de souci à se faire. Mais si elles dépassent cette superficie elles doivent fermer tous leurs rayons proposant à la vente les produits que les consommateurs n’ont plus le droit d’y acheter comme les jouets, les meubles, les bijoux, les livres, les jeux vidéo, les CD et DVD, les vêtements, les fleurs, le gros électroménager mais pas le petit (va-t-on publier un arrêté pour fixer la ligne de démarcation ?) ni les déodorants ou les produits de maquillage…
On imagine l’enchaînement des réunions interministérielles, les échanges frénétiques de textos, les appels téléphoniques multiples, les interventions ciblées des groupes de pression, les arbitrages minutieux qui ont du présider à l’élaboration de ces mesures dérisoires.
Prises dans un souci d’équité pour les petits commerçants contraints de fermer leurs boutiques et pour certains condamnés à court terme à la faillite, ce ne sont pas elles qui vont les sauver.
Ce qui les a inspirées relève du malthusianisme le plus pur (réduire l’offre pour réduire les contacts). Les effets pervers en sont redoutables puisque tous les acteurs physiques sont empêchés de vendre à l’approche des fêtes de fin d’année mais pas Amazon ni les sites d’e-commerce qui peuvent continuer à prospérer.
Au nom de ce que certains nomment « la justice », on aggrave les choses en oubliant que toute mesure imposée d’en haut pour contraindre l’activité lèse le plus grand nombre mais crée des opportunités pour ceux qui sont en mesure de lui échapper.
Lancée à fond la machinerie administrative a produit ce qu’elle fait le mieux : empêcher bien plus que protéger.
Pour ce qui est des services, on a délibérément sacrifié les bars, les restaurants, les coiffeurs, les esthéticiennes, les cordonniers (la liste n’est pas exhaustive) au virus, ce qui a peu de chances de l’amadouer.
Quant à la culture, dans l’esprit de la haute fonction publique, elle fait manifestement partie du superflu, chose pourtant si nécessaire selon Voltaire, et qui l’est encore plus en temps de confinement.
BLOCAGE EN VUE POUR LES ROUTIERS ET LE BTP
Sur les autoroutes les restaurants-relais ont été fermés le 30 octobre dernier. 500 000 travailleurs de la route sont concernés. Or ces lieux qui leur assurent aussi le stationnement pendant les périodes de repos, des douches, des sanitaires décents et un minimum de vie sociale leur sont indispensables.
À défaut d’être entendus par les pouvoirs publics leurs syndicats envisagent de passer rapidement à l’action. Sans réponse rapide ils menacent de «prendre [leurs] responsabilités, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer».
On voit comment une question au départ en apparence marginale, un grain de sable dans la mécanique administrative, peut déclencher une réaction en chaine avec à la clé une avalanche de demandes de dérogations si on y répond positivement ou un blocage de très grande ampleur dans le cas inverse.
Le cas du bâtiment est également révélateur de ce qui se passe lorsqu’on prétend tout régir à coup de normes et de décrets. Il est prévu que si une seule personne est détectée positive sur un chantier, l’ensemble du personnel qui y est employé passe automatiquement en « cas contact » et donc arrête de travailler.
On comprend aisément le degré très élevé d’incertitude que cela génère pour les clients comme pour les entreprises du secteur. On voit mal dans ces conditions comment le BTP pourrait retrouver une activité normale avant longtemps.
L’OUKASE DU TÉLÉTRAVAIL
« Télétravailler cinq jours sur cinq », telle est l’injonction du gouvernement. Pour la ministre du Travail, le télétravail doit être la règle, il n’est pas une option mais bien « une obligation » quand le poste le permet, c’est-à-dire sauf exception justifiée et contrôlée.
Face à un sujet complexe on lance donc un mot d’ordre uniforme et simple qui dicte aux entreprises la manière dont elles devraient organiser leur fonctionnement. C’est une prérogative que le gouvernement ne s’était pas jusqu’alors attribuée.
En agissant ainsi il ne tient aucun compte des particularités propres à chaque branche d’activité ni à chaque entreprise. Philippe Darmayan, président de l’Union des Industries et Métiers de la Métallurgie déplore à juste titre cette intervention excessive de l’État : « On est en train de rogner sur la responsabilité du chef d’entreprise, qui est d’organiser le travail et de mener le dialogue social ».
Sur le terrain les inspecteurs du travail sont déjà à l’œuvre pour mener des contrôles et infliger des sanctions alors qu’on devrait laisser à chaque entreprise la souplesse d’appliquer le télétravail à la carte en fonction de leur situation particulière et des réactions de ceux de leurs salariés disant ne pas pouvoir supporter un deuxième confinement. L’économie ne doit ni s’arrêter ni s’effondrer mais le dirigisme ambiant ne l’y aide pas.
LES ACTEURS DE TERRAIN COMPTENT AUSSI
Ceux qui nous gouvernent ne voient manifestement l’économie que d’en haut, en position de surplomb. Or il faut la voir d’en bas et pour inverser la régression en cours se référer à une autre approche, hostile à sa représentation en termes de système dont la marche serait déconnectée des comportements des individus interagissant sur les marchés.
Au lieu de la penser comme un tout, il faut la penser comme une organisation décentralisée assurant néanmoins, mais de façon involontaire, la coordination des activités. C’est ce à quoi nous invite Hayek pour qui « la liberté est cette conduite humaine particulière où la coercition de certains par d’autres se trouve réduite au minimum possible dans une société »1.
Dès lors le rôle auquel l’État devrait se cantonner est de définir un cadre de règles simples, stables et peu nombreuses. Il est de rendre les acteurs de l’économie responsables de leurs actions, de leur faire confiance a priori dans la poursuite de leurs objectifs et le cas échéant de les sanctionner en faisant jouer ses prérogatives régaliennes.
Dans le domaine sanitaire, il était de dimensionner correctement le système de soins dont il s’est attribué la charge en 1945 à la création de la Sécurité sociale, et accompagné des partenaires sociaux.
À l’évidence, en dépit du niveau extraordinairement élevé des dépenses publiques dans notre pays, cela n’a pas été le cas. Face à l’épidémie il devait définir une stratégie équilibrée en limitant les mesures de confinement aux plus fragiles qui sont souvent les plus âgés.
C’est ce que recommandent avec de solides arguments bien des économistes comme Daron Acemoglu ou Christian Gollier, directeur général de la Toulouse School of Economics
On s’est empressé de ne pas leur demander leur avis.
LES VERTUS DE L’ORDRE SPONTANÉ
En définitive l’épisode de très fortes turbulences que traverse la société française met en lumière tous les dysfonctionnements d’une économie qu’on prétend régir d’en haut.
Or comme Hayek nous le rappelle :
« Nous devrions en savoir assez long pour éviter de détruire notre civilisation en étouffant le processus spontané de l’interaction des individus, en chargeant une quelconque autorité de le diriger. Mais pour ne pas tomber dans cette faute, nous devons rejeter l’illusion d’être capables de délibérément créer l’avenir de l’humanité. »2.
- À lire aussi : Fâché comme un Français avec l’économie, de Pierre Robert, un article de Johan Rivalland
- La Constitution de la Liberté, 1960, édition française, 1994, p. 11.
- Droit, Législation et Liberté, vol. 3, L’Ordre politique d’un peuple libre, 1979, éd. française, 1983, p.182.
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Read MoreContrepoint : Jusqu’où sacrifier l’économie à des impératifs de santé publique ?
Entre le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron et « le bilan va s’alourdir quoi qu’on fasse » d’Olivier Veran, on mesure l’ampleur des difficultés auxquelles notre économie est aujourd’hui dramatiquement confrontée.
Par Pierre Robert.
Les indicateurs qui servent de base aux décisions du gouvernement semblent tous annoncer une deuxième vague covid de grande ampleur : le nombre de cas positifs détectés chaque jour, ainsi que le taux de positivité des tests augmentent depuis le mois de juillet alors que le nombre de personnes hospitalisées ou, plus grave, admises en réanimation croît depuis la mi-août.
On observe toutefois que le nombre quotidien de décès est sans commune mesure avec ce que l’on enregistrait au mois d’avril avec 116 décès Covid le 25 octobre, majoritairement en EPHAD ou à domicile, contre 1438 le 15 avril. Quant aux données sur la surmortalité due à l’épidémie, on dispose des chiffres détaillés publiés par l’INSEE tous les 15 jours.
Selon le document publié le 16 octobre il apparaît que depuis le 1ᵉʳ mai, il y a eu 1 % de décès en plus que pendant la même période en 2019. L’INSEE constate aussi que la hausse concerne les plus de 65 ans tandis que le nombre de décès continue de diminuer en dessous de 50 ans. Compte tenu de la tendance de fond au vieillissement de notre population cette évolution n’a rien de spectaculaire.
Cet ensemble d’indications a toutefois poussé les responsables politiques, qui ont déjà confiné toute la population pendant 55 jours, à la mettre sous couvre-feu dans 54 départements. La crise économique qui sévit déjà avec une exceptionnelle sévérité ne peut qu’en être aggravée.
À UN DEMI-SIÈCLE D’ÉCART DEUX CHOCS SANITAIRES D’INTENSITÉ COMPARABLE
Les données sur la crise sanitaire que nous subissons sont comparables avec celles de la grippe dite de Hong Kong, première pandémie à avoir été surveillée par un réseau international.
Après un premier épisode qui semble avoir été peu meurtrier en 1968, survient entre décembre 1969 et janvier 1970 une seconde vague qui l’a été bien davantage. Selon les recherches menées en 2003 par Antoine Flahaut, épidémiologiste à l’Inserm, elle aurait fait en 2 mois plus de 31 000 morts en France.
On estime au total à 40 000 décès l’excédent de mortalité qu’elle a provoqué dans notre pays alors peuplé de 50 millions d’habitants contre plus de 67 aujourd’hui (soit une augmentation de plus du tiers).
Les dégâts ont été du même ordre en Allemagne de l’Ouest et on considère qu’il y a eu au total environ un million de victimes dans un monde deux fois moins peuplé qu’aujourd’hui.
On est donc fondé à comparer l’incidence socio-démographique de ces deux pandémies.
Ce qui les différencie est que le virus actuel semble être plus meurtrier, en particulier pour les plus de 65 ans dont le nombre et la proportion sont beaucoup plus élevés dans un pays vieillissant qu’ils ne l’étaient en 1968 à une époque où le décès de ceux ayant dépassé cet âge était socialement accepté comme « naturel », ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Cette caractéristique et les incertitudes sur les séquelles que la maladie pourrait laisser aux survivants ont poussé le gouvernement, sous la pression des média et de l’opinion publique, à faire le choix légitime mais extrêmement coûteux de protéger à tout prix les plus vulnérables.
Leur stratégie a aussi été guidée par l’impératif d’éviter quoi qu’il en coûte l’engorgement des hôpitaux publics et la multiplication des procès qui pourraient leur être intentés pour manquement à l’obligation de soins appropriés. L’incidence sur les activités économiques n’est évidemment pas du tout la même que si, comme à la fin des années 1960, il avait été décidé de ne rien faire.
UN RETENTISSEMENT SOCIAL ET ÉCONOMIQUE SANS COMMUNE MESURE
L’épidémie de la grippe de Hong Kong a certes eu un impact sur l’économie de la France : beaucoup d’écoles et de commerces ont été contraints de fermer, 15 % des cheminots ont été infectés et la capacité industrielle a provisoirement fléchi avec 20 % de personnels en moins dans les usines.
Mais ce douloureux épisode n’a pas laissé de traces sensibles sur le sismographe de la croissance et n’a pas réellement marqué les esprits contemporains qui très vite vont l’oublier.
En revanche les mesures drastiques prises en 2020 pour lutter contre la pandémie ont entraîné un effondrement de l’activité, avec une chute de près de 20 % au premier semestre et de 10 % sur l’année selon les prévisions du gouvernement qui les maintient alors que le PIB devrait lourdement rechuter au quatrième trimestre.
Pour l’économie française le coût qui en résulte a jusqu’à maintenant été différé par les dispositifs provisoires de soutien mis en place par l’État (fonds de solidarité, exonérations de cotisations et chômage partiel). Mais ce n’est que partie remise. La facture devrait bientôt se révéler écrasante.
UN COÛT ASTRONOMIQUE POUR L’ ÉCONOMIE FRANÇAISE
L’impact sur l’emploi est d’ores et déjà énorme avec une note particulièrement salée dans le cas de la France en raison de la nature des spécialisations de son économie : tourisme, aviation, automobile.
Comme le note l’institut Rexecode : « L’emploi réagit en général avec retard à l’évolution de l’activité et les entreprises vont ajuster leurs coûts pour rester solvables ». Pour l’année prochaine ses experts anticipent globalement la disparition de 57 000 emplois là où le gouvernement table toujours sur 435 000 créations. Ce sont donc 500 000 emplois qui risquent de passer à la trappe par rapport à ce qui était attendu.
Pour ce qui est de l’emploi des cadres l’APEC estime que sur l’ensemble de l’année 2020 leurs recrutements devraient chuter de près de 40 %.
Il apparaît aussi que la rentabilité des entreprises s’est considérablement dégradée ce qui est de très mauvais augure pour les investissements de demain et l’emploi d’après-demain. La dernière édition du « Profil financier du CAC 40 » publiée par EY montre que la crise du coronavirus a porté un coup brutal aux grandes entreprises cotées dont les profits se sont effondrés. Dans le même temps leur endettement grimpe en flèche.
DES FINANCES PUBLIQUES EN CRISE
Le coût de la première vague est déjà fabuleux pour les finances publiques avec 470 milliards d’euros de manque à gagner et de dépenses supplémentaires dans une situation budgétaire depuis longtemps dégradée. C’est une différence majeure avec l’Allemagne qui dispose de marges de manœuvre beaucoup plus importantes que les nôtres, ce qui souligne l’intérêt de mener sur la durée une politique budgétaire équilibrée.
Aux dépenses déjà engagées s’ajoutent celles du plan de relance de 100 millards d’euros et des mesures prises pour atténuer la seconde vague. Financée par des expédients (création de monnaie à jet continu et emprunts publics tous azimuts) la facture ne cesse de s’alourdir sans que l’on puisse encore en deviner le montant final.
« THE 90 % ECONOMY »
À ces effets de court terme s’ajoutent ceux que l’on peut prévoir à moyen et long terme si s’installe ce que The Economist a qualifié de « 90 % economy ». En tout état de cause, avec la remise en cause de la mondialisation, les dysfonctionnements monétaires probables (qu’il s’agisse d’un approfondissement de la déflation ou d’une reprise de l’inflation), l’appauvrissement des ménages du fait du chômage et l’éventualité d’une crise financière de grande ampleur, la croissance potentielle devrait partout diminuer.
Mais elle risque de le faire bien plus encore et plus longtemps en France dont l’économie souffre de toutes sortes de rigidités persistantes en dépit des efforts récemment entrepris pour les atténuer.
Outre ce qui se voit, il faut aussi tenir compte de ce qui ne se voit pas et qui pourrait plomber notre croissance future dans la mesure où la pandémie devrait accentuer toutes les fractures caractéristiques de notre société où le sort des jeunes générations est désormais rien moins qu’enviable.
Le seul côté positif de la crise sanitaire est d’avoir donné un coup d’accélérateur décisif à des processus porteurs de considérables gains de productivité comme le télétravail, le téléenseignement et plus généralement la numérisation des activités
L’ IMPOSSIBLE ARBITRAGE
Comme l’a déclaré Edouard Philippe devant la commission l’enquête de l’Assemblée Nationale :
« Confiner trop longtemps, c’est l’effondrement du pays et déconfiner trop vite, c’est le redémarrage de l’épidémie ».
Cette réflexion garde sa pertinence face à la deuxième vague. Elle rappelle que le traitement de questions aussi difficiles que celles que pose la pandémie requiert une série d’arbitrages très délicats. Or la France est particulièrement mal équipée pour les mettre en œuvre de manière efficace.
Notre administration obèse est ankylosée par la multiplication irrationnelle d’échelons hiérarchiques et l’absence d’un management digne de ce nom. La gestion de l’épidémie a révélé ses défaillances, sur les masques d’abord, les tests ensuite, sans oublier le fiasco de l’application Stop-Covid.
Victime du syndrome « un problème, une loi » notre pays est aussi étouffé par la prolifération de normes à l’application incertaine. Confronté aux défaillances de ses instances de socialisation, il subit une crise de l’autorité de l’État en particulier et de ses institutions en général.
Dans ces conditions la défiance est partout et la décentralisation, qui permet à l’Allemagne de mieux s’en sortir, reste un leurre.
Pour mieux affronter les crises de l’avenir qui ne manqueront pas de survenir, on voit ce que sont les réformes à entreprendre… Elles vont toutes dans le même sens : recentrer l’État sur ses missions vitales alors qu’il disperse ses forces et nos moyens dans des interventions économiques qui paralysent les initiatives.
« QUOI QU’ON FASSE … »
Face à une pandémie comme celle qui sévit actuellement toute stratégie a ses coûts et ses avantages. Tout dépend en définitive de ce qu’une communauté est prête à payer pour éviter une mort supplémentaire au sein du groupe de ceux qui pour leur malheur se retrouvent à l’hôpital.
Manifestement quelques-uns ont décidé pour nous que ce prix n’avait pas d’importance, aussi élevé soit-il. Entre le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron et « le bilan va s’alourdir quoi qu’on fasse » d’Olivier Veran on mesure l’ampleur des difficultés auxquelles notre économie est aujourd’hui dramatiquement confrontée et le sera demain davantage encore.
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Read MoreContrepoint : Le plan France relance : potion ou poison ?
Par Pierre Robert.
Le 3 septembre dernier le ministre des Finances a détaillé les mesures d’un plan de relance qui se veut historique. D’un montant de 100 milliards d’euros, il a pour objectif de redresser durablement notre économie. Mais on peut douter sérieusement que la voie choisie pour y parvenir soit la bonne après le terrible choc que lui ont infligé nos responsables politiques.
UN MUNICH SANITAIRE, UNE ÉCONOMIE EN DÉROUTE
Face au virus, en mars dernier, ils ont choisi précipitamment la voie de la capitulation en confinant pendant 55 jours non pas seulement les personnes les plus susceptibles de développer la maladie mais tous les Français sans exception.
Ce véritable Munich sanitaire a cassé le dynamisme de nos entreprises et provoqué un véritable désastre pour l’emploi, en particulier celui des plus jeunes et des plus fragiles.
Aujourd’hui l’économie est en déroute avec une chute drastique de la richesse créée, le naufrage de secteurs entiers d’activité et des millions d’actifs maintenus en chômage partiel, l’arme au pied dans l’attente d’une hypothétique reprise.
Les finances publiques le sont aussi, les 470 milliards qu’ont coûté les mesures d’urgence ayant fait bondir notre taux d’endettement à près de 120 % du PIB. Les dégâts sont donc incommensurables.
LE VIRUS TECHNOCRATIQUE
En présentant le plan « France Relance » le 3 septembre dernier, le Président a montré qu’il en avait conscience en jugeant qu’après la guerre imposée par le virus, nous entrions dans « une nouvelle phase, celle de la reconstruction » sous l’égide d’un plan par lequel « notre Nation reprend son destin économique en main ».
Cela a toutes les chances de rester lettre morte du fait de l’approche retenue pour faire face à la situation, une approche entièrement conçue par de hauts fonctionnaires convaincus qu’ils en savent plus que les acteurs privés qui interagissent sur les marchés.
Cette approche que Friedrich Hayek aurait qualifiée de constructiviste proclame que les choix publics doivent être guidés par la volonté de construire un certain type de société, en l’occurrence une France plus verte à l’horizon 2030.
Se donnant pour mission d’investir pour bâtir cette France de demain, ce plan ne se veut rien moins qu’ « une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays ».
Il est donc sous-tendu par un objectif collectif qu’on prétend réaliser par des moyens politiques avec la fausse certitude qu’armé des schémas de pensée adéquats « on peut construire une société selon ses propres vœux, qu’on peut la conduire comme on le ferait d’une quelconque machine » pour reprendre une formule de Pascal Salin (Libéralisme, Odile Jacob, Paris, 2000, p.25).
Cette idée est profondément ancrée dans l’esprit des élites de notre pays, convaincue que l’économie ne peut fonctionner correctement que si elle est pilotée d’en haut par des spécialistes ne se fiant qu’aux prédictions de leurs modèles.
Or, en se limitant à établir directement des relations entre de grandes variables globales (la consommation, l’investissement, l’épargne, la production) sans passer par l’analyse des comportements individuels des consommateurs ou des producteurs, ces modèles laissent échapper des éléments essentiels de la réalité qu’ils ne peuvent donc maitriser.
PLAN DE RELANCE : UN BIAIS FORTEMENT CONSTRUCTIVISTE
Le plan s’appuie sur trois piliers qui ont pour nom écologie, compétitivité et cohésion. Quel que soit le sujet, il est marqué par le recours privilégié à la méthode des appels à projet.
Il s’agit à chaque fois pour les instances publiques qui détiennent les clés du financement (Ademe, BPI etc.) de sélectionner les projets qui méritent d’être soutenus selon des critères politiques en faisant l’hypothèse que leurs responsables savent mieux que les acteurs privés ce qu’il faut faire pour développer la filière hydrogène et les transports du futur, décarboner l’industrie, créer de l’activité dans les territoires, revaloriser leurs tissus industriels, relocaliser les industries jugées stratégiques, identifier les secteurs et les technologies d’avenir propres ou encore moderniser l’agriculture.
UNE DANGEREUSE LACUNE DANS CE PLAN
En revanche, à aucun moment le plan dont la transition écologique est pourtant une thématique centrale n’aborde le délicat sujet de la taxe carbone.
Avec les travaux de Jean Tirole (Économie du bien commun, PUF, 2016) l’analyse économique a pourtant clairement établi que le seul moyen efficace pour décarboner l’industrie et réduire les émissions de CO2 est d’instituer un prix unique du carbone en créant un marché des droits à polluer et non en subventionnant telle ou telle technologie plus ou moins arbitrairement choisie.
Les auteurs du plan préfèrent toutefois ignorer ce moyen politiquement difficile à mettre en œuvre mais qui pourrait être rendu acceptable par des mécanismes redistributifs en faveur des plus précaires.
LA RÉPÉTITION DES ERREURS DIRIGISTES DU PASSÉ
Comme nos dirigeants ont souvent été enclins à le faire, le plan défend une stratégie dirigiste de création de filière qui a toujours échoué, qu’il s’agisse de la filière graphite-gaz, du plan calcul, des machines-outils, des composants ou des industries numériques. Il en sera sans doute de même demain de la filière hydrogène et de ses ramifications dans le domaine des transports maritimes et aériens.
Selon une autre résurgence du passé, le plan affecte des montants considérables d’argent public à la SNCF, une entreprise publique dont on connait la capacité à gaspiller des ressources et qui n’a pas été réformée en profondeur. Il consacre d’importants moyens au retour des petites lignes non rentables et à la coûteuse remise en circulation des trains de nuit, ce qui probablement fera plaisir à quelques nostalgiques.
UN PLAN DE RELANCE AUX SIGNES D’IRRÉALISME
On note aussi qu’il flèche des sommes très importantes vers la formation et la rénovation énergétique. Dans les deux cas, il témoigne du manque de connaissance des réalités du terrain souvent de mise dans l’atmosphère éthérée des cabinets ministériels.
En effet comme le remarque Pierre Cahuc, « notre outil de formation ne fonctionne pas encore. Il risque de ne pas pouvoir suivre » (« Les économistes jugent le plan de relance cohérent mais insuffisant », Challenges, 3-09-2020)
Le constat est identique pour les 6,7 milliards d’euros que le plan consacre à la rénovation énergétique des bâtiments où selon Patrick Artus, faute de main-d’œuvre, « les entreprises risquent de ne pas pouvoir répondre à la demande » (même source).
UN SIGNAL POSITIF MAIS TROP FAIBLE
Seul aspect positif, les impôts de production dont le poids était devenu insupportable devraient diminuer de 10 milliards d’euros par an pendant deux ans.
Cet allègement est bien sûr favorable aux entreprises mais ne fait que réduire leur handicap dans ce domaine sans l’annuler puisque selon le Conseil d’Analyse économique, les impôts de production sont cinq fois plus élevés en France qu’en Allemagne.
La baisse de 10 milliards est donc très insuffisante pour combler cet écart. Elle n’est pas non plus suffisante pour rendre la France plus attractive et ainsi relocaliser des entreprises à terme.
En outre le plan de relance ne supprime ni ne réduit la Contribution sociale de solidarité des sociétés, pourtant considérée comme le plus nocif des impôts en termes de compétitivité.
VERS UNE DICTATURE SANITAIRE ?
Les promoteurs du plan souhaitent que « la relance génère un élan dont chacun, à son échelle, doit se saisir », ce qui permettrait de « libérer les énergies de la Nation pour renouer avec la croissance ». À cette fin on l’accompagne même d’un « choc de simplification ».
Mais avec une approche aussi constructiviste, se méfiant par nature des initiatives des acteurs privés, cela risque fort de rester à l’état de slogans vides et de vœux pieux.
Ce logiciel technocratique qui infantilise tout le monde nous a mené tout droit au couvre-feu décrété le 14 octobre et dont on va devoir aussi supporter les lourdes conséquences pendant de longues semaines.
À plus long terme, il semble qu’on évolue sûrement mais de moins en moins lentement vers un régime inquiétant dans lequel l’État paie les salaires, prétend créer les emplois, bénéficie d’une création illimitée de monnaie et restreint de plus en plus sévèrement nos libertés.
Si nous n’y prenons garde, la crise du Covid risque d’enfanter et de pérenniser une forme de gouvernement par la peur et d’économie strictement subordonnée à des impératifs sanitaires dans le cadre d’une société reconstruite mais muselée et contrainte à la décroissance.
Annexes
– Un lien avec un article publié le 31 mars 2020 sur le site de l’institut sapiens : https://www.institutsapiens.fr/stress-test/
– Un lien avec une leçon sur l’économie vue comme une organisation décentralisée consultable sur mon site hecosphere.com :
– Un lien avec une leçon sur l’économie vue comme une organisation décentralisée consultable sur mon site hecosphere.com : https://hecosphere.com/cours/les-fondements-de-leconomie/lecon/2-leconomie-vue-sous-langle-de-la-production-et-de-la-consommation/
Read MoreContrepoint : Notre prospérité s’est-elle bâtie sur le pillage des colonies ?
Par Pierre Robert.
Cette question cruciale est à nouveau au cœur du débat public avec pour beaucoup la conviction que la colonisation a été un facteur décisif de l’enrichissement de l’Occident qui de ce fait doit réparation aux peuples anciennement colonisés.
UN MYTHE DÉNONCÉ PAR L’HISTOIRE ÉCONOMIQUE
Pour y voir plus clair il n’est pas inutile de se référer aux travaux des historiens de l’économie et en particulier à ceux de Paul Bairoch, qui font autorité. Dans Mythes et Paradoxes de l’Histoire Économique (1994), il établit clairement que les pays développés sont parvenus à un très haut niveau d’industrialisation grâce aux matières premières locales.
Ce n’est qu’à partir de 1955 que la dépendance de l’Occident à l’égard du tiers-monde pour les ressources minérales et énergétiques devint une réalité. Les matières premières du tiers monde n’ont donc pas été indispensables à l’industrialisation occidentale.
De son étude, il ressort aussi que le colonialisme n’a eu qu’un faible impact au premier stade de la révolution industrielle. En Angleterre il n’a pas contribué de manière significative au décollage de son économie lorsqu’il se produit au tournant des XVIIIe et XIXe siècles.
DES PARADOXES
Quant aux débouchés coloniaux, ils n’ont pas joué un rôle décisif dans le développement des industries occidentales. Bairoch relève même un paradoxe : les puissances coloniales comme la France ou la Grande-Bretagne ont connu une croissance plus faible que les autres pays développés. Entre colonialisme, industrialisation et croissance économique la corrélation est plutôt négative.
Mais si l’Occident n’y a pas beaucoup gagné, cela ne signifie pas que le tiers monde n’y ait pas beaucoup perdu. Les économistes libéraux y étaient d’ailleurs fondamentalement hostiles. Sur ce sujet on peut relire avec profit les passages qu’Adam Smith lui consacre dans La richesse des Nations. Dans les projets de conquêtes coloniales il ne voyait que des entreprises politiques néfastes menées sous la pression de groupes d’intérêt fermés hostiles à la libre concurrence et à l’économie de marché.
D’ÉNORMES DÉGÂTS
Si d’un côté les gains furent peu importants, de l’autre les coûts n’en furent pas moins considérables. Comme l’écrit Bairoch :
« Il ne fait aucun doute que l’origine de nombreuses caractéristiques structurelles négatives du processus du sous-développement économique remontent à la colonisation européenne ».
Il relève d’abord que si les exportations n’étaient pas vitales pour les industries occidentales, elles n’en ont pas moins abouti à la désindustrialisation du sous-continent indien qui, du fait de la colonisation, avait complètement perdu la maitrise de sa politique douanière. À la fin du XIXe siècle on estime que 75 % de la consommation textile de l’Inde étaient importés. Le pourcentage s’élève à 95 % pour la métallurgie.
On doit aussi souligner l’effet négatif de l’essor des cultures d’exportations vers les pays occidentaux. Les meilleures terres leur furent souvent réservées par la force, les cultures de subsistance étant reléguées sur des terres moins fertiles. Dans un système colonial opaque et verrouillé de nombreuses plantations appartenaient à des Européens qui avaient recours au travail forcé.
L’OPPOSITION RÉSOLUE DES LIBÉRAUX
Nous sommes aux antipodes des idées libérales condamnant l’introduction dans les colonies de « moyens violents d’exploitation, au premier rang desquels il faut placer l’esclavage » pour reprendre les termes de Jean-Baptiste Say (Traité d’Économie Politique, 1803, Économica, p. 402).
Organisée par des négociants sans scrupules et cautionnée par des États qui cherchaient à étendre leur influence et leurs capacités militaires, la traite transatlantique a été dénoncée sans relâche par les économistes libéraux mais relancée par le très dirigiste Napoléon.
Ce qui est ici en cause ce n’est donc pas le libéralisme mais le dirigisme borné de gouvernements manipulés par des groupes de pression fondamentalement hostiles à la concurrence et à la liberté.
L’histoire économique montre donc clairement que les pays développés ne doivent pas leur prospérité à la colonisation mais que celle-ci a été un dramatique jeu à somme négative que récusaient les partisans du libéralisme économique.
Pierre Robert est l’auteur de Fâché comme un Français avec l’économie, Éditions Larousse (2019).
Un article publié initialement le 8 octobre 2020
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L’Union européenne peut-elle un jour s’affranchir de la tutelle du dollar ? Pierre Robert, profites du 49e anniversaire de la décision par laquelle le président Nixon a imposé au monde de nouvelles règles du jeu monétaire, pour poser à nouveau la question.
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Institut Sapiens : Faut-il s’attendre à un retour de l’inflation ?
Interview Croisé de Pierre Robert et François-Xavier Oliveau
Jugez-vous que la période pré-confinement était une période d’inflation ou pas? Si non, comment la caractérisez-vous?
Pierre Robert – Il n’est pas inutile de rappeler que l’inflation n’est pas un simple épisode temporaire de hausse des prix. C’est un processus cumulatif et auto-entretenu de hausse du niveau général des prix des biens et services mesuré par l’évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC).
Globalement la période qui a précédé le confinement n’était pas inflationniste. La plupart des économies dans le monde traversaient une phase de faible progression des prix. Dans la zone euro, avec 1,6 % sur un an en décembre 2019, elle était inférieure à l’objectif annuel de 2% que s’est fixé la BCE. Toutefois on observait un début de tensions sur le front des prix en Chine où en rythme annuel l’IPC passe de 1,71% en janvier 2019 à 4,41% en décembre[1] puis à 4,53% pour la moyenne des 4 premiers mois de 2020 en dépit de la forte baisse du coût de l’énergie et du fort ralentissement de l’économie. Aux Etats-Unis, en janvier 2020, l’inflation progressait de 2,49% par rapport à janvier 2019 avec une accélération depuis juin. La situation était donc caractérisée par la coexistence de pressions déflationnistes persistantes en Europe ainsi qu’au Japon et d’un début de tensions inflationnistes en Chine et dans une moindre mesure aux Etats-Unis.
François-Xavier Oliveau – Nous sommes dans un état d’inflation quasi-nulle depuis au moins dix ans. Hors matières premières, la hausse des prix est inférieure à la cible de la BCE (légèrement en dessous de 2%) depuis 2009. Et pourtant, la masse monétaire a doublé en dix ans avec les politiques très accommodantes de la BCE.
L’explication tient certainement en la baisse naturelle des prix, notamment sous l’effet de la technologie. Les gains de productivité dans les entreprises ne sont plus absorbés par une forte demande, mais plutôt par des prix en baisse. Hors création monétaire, nous serions en déflation permanente. C’était d’ailleurs le cas au XIXe siècle, du temps de l’étalon-or, et c’est plutôt le signe que l’économie crée de la valeur. Simplement elle se matérialise en baisse des prix et non en hausse des volumes.
La crise du Covid 19 a provoqué deux mouvements: l’explosion des liquidités et une forte augmentation des contraintes sur l’offre. Faut-il dans ce contexte s’attendre à une augmentation de l’inflation?
Pierre Robert – Si la chute de la demande exclut la résurgence de l’inflation en 2020, il faut envisager son retour en 2021 selon une intensité qui dépendra de la plus ou moins grande rapidité de la reprise mais qui ne devrait pas être inférieure à 5% par an dans un premier temps selon Charles Goodhart et Manoj Pradham. Cela devrait se produire par le canal des coûts, non pas via le canal de la monnaie.
Le rôle que jouait la Chine dans l’économie globalisée a en effet changé. Pourvoyeuse d’une offre illimitée de main d’œuvre à bas coût elle était le foyer central des tensions déflationnistes qui ont marqué les trente dernières années. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les coûts de production y sont en augmentation et son économie se recentre sur son marché intérieur. A cela s’ajoutent les mesures protectionnistes initiées par l’administration Trump et les réactions en retour de Pékin, les surcoûts provoqués par le Brexit pour les entreprises européennes ainsi qu’un probable mouvement à venir de relocalisation de certaines activités vers les pays développés à hauts salaires. Cela ne peut que renchérir les conditions de l’offre. Les règles sanitaires prises pour lutter contre la pandémie vont dans le même sens en dégradant la productivité horaire du travail qui pour un temps indéterminé devrait diminuer d’au moins 10%. Cela intervient dans un contexte où les gains de productivité stagnent depuis des années selon une tendance que la chute prévisible des investissements ne devrait pas contrer.
François-Xavier Oliveau – Je ne pense pas, bien au contraire. La contrainte de l’offre est relativement temporaire et les chaînes logistiques se reconstituent. En revanche, côté demande, il y a un fort attentisme des ménages, des comportements d’épargne et une demande qui sera très affectée par la hausse prévisible du chômage, avec des marges de manœuvre de négociations salariales quasi-nulles en dehors du secteur public, notamment de la santé. Donc sur le plan microéconomique, je vois plutôt des pressions déflationnistes.
En matière monétaire, il y a en effet de fortes quantités de liquidités créées, comme d’ailleurs depuis dix ans. Mais elles risquent de largement demeurer dans les sphères du refinancement des entreprises ou d’être épargnées par les agents économiques. La hausse du risque perçu par les prêteurs est également défavorable à la hausse illimitée de l’endettement.
De fait, l’inflation en mai est très basse, à 0,1% en zone euro et 0,9% hors énergie, produits alimentaires et tabacs. La BCE ne publie pas la vitesse de circulation de la monnaie, mais aux Etats-Unis, les chiffres de la Fed montrent qu’elle n’a jamais été aussi basse. Tout indique une situation de «trappe à liquidités»: l’argent est injecté mais il ne circule pas, donc ne soutient pas le niveau des prix.
Dans le cas où l’on assisterait à un puissant retour de l’inflation, serait-ce pour des causes réelles ou monétaires? Quelle autorité pourrait alors la réguler ou la juguler?
Pierre Robert – L’inflation peut se réveiller pour des causes avant tout réelles liées à la dégradation des conditions de l’offre. Cela ne veut pas dire que la création massive de liquidités n’aurait pas d’incidence, contrairement à ce que prédit le consensus actuel.
Cela vaut en effet la peine de s’intéresser au scénario contraire en envisageant les conséquences inflationnistes de la création massive de monnaie et de la très forte hausse des dépenses publiques induite par les plans de relance qui vont être mis en œuvre. Les mesures monétaires et budgétaires de soutien à l’économie sont en effet environ 8 fois plus importantes qu’en 2008. Elles sont donc d’une tout autre ampleur avec de plus un impact très concentré dans le temps.
En outre, les injections de monnaie auxquelles on est en train de procéder n’ont pas la même destination que celles qui ont suivi la crise de 2008. Ces dernières étaient restées assez largement confinées dans le système bancaire sous la forme de réserves excédentaires sans pour autant affecter les agrégats monétaires qui servent à mesurer l’inflation. Cette fois-ci c’est différent. Les mesures prises se traduisent par des flux massifs de trésorerie vers les entreprises en difficulté et par un soutien direct du pouvoir d’achat des ménages avec dans les deux cas un fort impact potentiel sur la demande de biens et de services. Toutefois les causes monétaires ne viendront qu’en appui des causes réelles évoquées ci-dessus dont elles amplifieront l’impact. S’il s’enclenche, le processus est appelé à perdurer et à s’accélérer car il sera quasiment impossible aux autorités monétaires de l’enrayer. Elles prétendront d’abord que ce n’est qu’un bip temporaire et ne feront rien. Puis on dira que cela permet de retrouver à moyen terme l’objectif de 2% et on ne fera rien. Ensuite on ne fera toujours rien car augmenter les taux d’intérêt provoquerait un krach obligataire et ferait replonger les économies dans la récession, ce qui n’est pas envisageable. Si le processus se déclenche, seul le désendettement peut le stopper car il redonnerait aux banques centrales des armes pour le contrer.
François-Xavier Oliveau – Il y aurait quelques raisons «réelles» que les prix augmentent, liées notamment aux surcoûts liés aux mesures sanitaires. Mais pour qu’ils se matérialisent en inflation, il faudrait d’abord que ces mesures se prolongent, ce qui est loin d’être évident, et surtout que les producteurs puissent les répercuter dans les prix. Or ce n’est pas ce qui semble se passer, compte-tenu d’une demande très faible.
Si toutefois un retour de l’inflation se produisait, la BCE dispose de multiples leviers pour la contrer, depuis la hausse des taux jusqu’à la réduction de son bilan. Mais je doute fort que ce soit le cas.
Quelles sont les conséquences macroéconomiques à attendre de la période actuelle selon vous?
Pierre Robert – Au sein du monde du travail seront perdants tous ceux dont l’emploi est menacé.
Mais d’autres éléments vont jouer en sens contraire. On peut faire l’hypothèse que la rémunération des actifs occupant des postes qui les mettent au contact direct du public devrait augmenter. Cela devrait être en premier lieu le cas pour les personnels de santé dont les traitements sont nettement inférieurs en France à ceux de leurs homologues européens. Les enseignants sont dans une situation comparable et sont aussi en bonne position pour obtenir une revalorisation de leurs traitements. Les augmentations de salaires pourraient ensuite se diffuser plus largement par revendication de parité au sein de l’ensemble des agents publics et para-publics, soit dans notre pays près du quart de la population active. Là serait le foyer d’un retour possible de l’inflation. Dans le monde d’après il est également prévisible que toutes les activités liées à la numérisation, à l’intelligence artificielle, aux bio-technologies et autres secteurs de pointe vont être fortement demandeuses de personnes qualifiées et très qualifiées alors qu’elles sont rares sur le marché de l’emploi.
Ce scénario n’est peut-être pas le bon car tout dépend de la façon dont la demande et l’offre globales vont se déplacer sur le marché des biens, ce qui dépend du comportement des ménages (traumatisés vont-ils augmenter leur épargne de précaution?), des entreprises (vont-elles chercher en priorité à se désendetter?) et des Etats (quand vont-ils se préoccuper de rééquilibrer leurs comptes ?).
Pour le moment l’hypothèse centrale de la BCE est que «domineront les effets modérateurs sur les prix d’une reprise de la demande plus lente que celle de l’offre». Cette hypothèse me semble fragile car l’équation comporte encore beaucoup d’inconnues. En tout état de cause il faut s’attendre à une vaste redistribution des cartes qui ne se fera pas sereinement et qui concerne également les débiteurs et les créanciers. Si l’inflation repart, le puissant lobby des emprunteurs a tout à y gagner car elle allège d’autant le poids réel de leurs remboursements. Ceux qui en souffriront seront donc les épargnants.
François-Xavier Oliveau – La période actuelle est un accélérateur extraordinaire de la numérisation de l’économie. Le numérique a plus progressé en deux mois qu’en cinq ans. Soumises à un effet ciseau entre des prix impossibles à monter et des coûts en hausse, les entreprises vont faire de gros efforts de productivité, en faisant notamment appel aux nouvelles technologies. Une supposée relocalisation a peu de chances de faire monter les prix: dans un contexte pareil, aucune entreprise ne sera assez folle pour relocaliser moyennant une hausse de ses coûts, qui ne serait pas validée par le marché.
La conséquence devrait être une forte pression à la baisse sur les prix, a fortiori une fois que la crise sanitaire et ses surcoûts seront derrière nous. La BCE va bien devoir, enfin, admettre l’épuisement de sa boîte à outils.
Quelles seront les solutions à apporter pour stabiliser notre économie?
Pierre Robert – En premier lieu il faut concentrer les plans de soutien sur l’offre afin de renforcer la compétitivité des entreprises pour diminuer la pression à la hausse des coûts. Cela peut passer par un allongement provisoire de la durée du travail dans certains secteurs.
En deuxième lieu il ne faut pas céder à la tentation d’une annulation des dettes publiques détenues par la banque centrale ni de leur conversion en dette perpétuelle qui ne résoudrait rien. Comme l’a rappelé le Gouverneur de la Banque de France dans son discours du 25 mai mentionné ci-dessus, l’interdiction du financement monétaire des déficits est un pilier fondateur de l’accord de création de l’euro. La BCE doit à tout prix conserver son indépendance et ne pas céder aux injonctions de ceux qui lui demandent de s’engager à ne jamais remonter ses taux d’intérêt car «alors s’enclencherait une spirale inflationniste potentiellement incontrôlable»
En troisième lieu, la politique budgétaire doit à moyen terme ne pas perdre de vue l’objectif d’une gestion plus efficace des dépenses publiques. Il faut aussi éviter de laisser la machinerie administrative céder à l’ivresse réglementaire dont elle est coutumière.
François-Xavier Oliveau – Je ne vois que deux solutions à court terme. La première serait une monétisation des actifs au bilan de la banque centrale, c’est-à-dire une annulation pure et simple d’obligations d’Etat répartie entre les Etats à proportion de leur participation au capital pour éviter tout débat entre pays «cigales» et «fourmis». Cette action ne devrait pas relancer directement l’inflation, car elle n’aura pas d’impact sur la partie circulante de la monnaie, mais faciliterait l’endettement des Etats et donc le financement des politiques de relance, notamment de soutien direct à la consommation. Notons qu’il faudrait amender les traités européens pour qu’elle soit juridiquement possible – une opération pas très compliquée, déjà faite en 2012 lors du sauvetage de la Grèce. Une telle opération sera probablement nécessaire dans l’urgence, mais porte un aléa moral considérable en retransférant de fait aux Etats le pouvoir de battre monnaie, ce qui me semble, à terme, très dangereux.
La seconde étape, largement préférable, serait une distribution monétaire directe au profit des ménages. J’ai décrit ce dispositif et ses fondements théoriques dans ma note publiée par l’Institut Sapiens. L’idée est de compenser la baisse des prix, qui correspond à une véritable création de valeur, par la distribution d’une somme d’argent aux ménages calibrée pour atteindre l’inflation cible. Un tel dispositif est la seule solution durable permettant de stabiliser le niveau des prix sans empiler à l’infini un endettement délétère et facteur de crises graves. La question est: quelle banque centrale l’osera en premier? Car une fois qu’il sera testé, il s’étendra très rapidement.
[1] Source Inflation.eu – world inflation data
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Opinion | Et si l’inflation se réveillait ?
L’inflation a des chances de se réveiller au sortir de la crise sanitaire due au coronavirus, ce qui n’était pas le cas après la financière de 2008. Les explications de Pierre Robert, professeur de sciences économiques et sociales.
Par Pierre Robert (professeur de sciences économiques et sociales et auteur)Publié le 21 mai 2020 à 9:32Mis à jour le 21 mai 2020 à 9:35
Il semble aujourd’hui entendu que la crise sanitaire n’aura pas de conséquences inflationnistes, malgré la création massive de monnaie et la très forte hausse des dépenses publiques qu’elle provoque. A l’appui de cette analyse on fait valoir que depuis une trentaine d’années le gonflement du bilan des banques centrales est manifestement décorrélé de l’évolution de l’indice des prix des biens et des services.
Les politiques monétaires non conventionnelles mises en œuvre aux Etats-Unis puis en Europe à l’issue de la crise de 2008 ont effectivement été sans incidence sur le niveau des prix dont la progression annuelle est même depuis longtemps nettement inférieure aux 2 % qui servent de référence à la Banque centrale européenne. Elles se sont avant tout traduites par une forte progression de la valeur des actifs financiers et immobiliers. C’est par rapport à eux que la valeur de la monnaie s’est dépréciée et non en termes de pouvoir d’achat des consommateurs.
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